DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 136

19 jan 1870 Rome CHABERT Louise

Messe pour votre père – L’abbé Darras – Le moment ou jamais de venir à Rome – Conditions pour un voyage fructueux – Jetez-vous entre les bras de Dieu – Acquérir une intelligence et un coeur catholiques – Vous me parlerez de vos grands projets – Destruction des gallicans – Coupez les liens de votre coeur à la terre.

Informations générales
  • DR08_136
  • 3847
  • DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 136
  • Orig.ms. ACR, AM 314; D'A., T.D.38, n.10, pp.16-19.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DU CHRIST
    1 AUTEURS SPIRITUELS
    1 BATEAU
    1 CHEMIN DE FER
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 CONFESSION SACRAMENTELLE
    1 CONVERSATIONS
    1 CROIX DU CHRETIEN
    1 DEPENSES
    1 DILIGENCE
    1 GALLICANISME
    1 GLOIRE DE DIEU
    1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
    1 LIBERTE
    1 LIVRES
    1 LOISIRS
    1 MESSE DE REQUIEM
    1 PRETRE
    1 PRIERES POUR LES DEFUNTS
    1 REFORME DU COEUR
    1 RENONCEMENT
    1 RENOUVELLEMENT
    1 SENTIMENTS
    1 SOUFFRANCE
    1 SOUMISSION SPIRITUELLE A JESUS-CHRIST
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 VIE DE PRIERE
    1 VOYAGES
    2 ALLOU, AUGUSTE
    2 BARNOUIN, HENRI
    2 CATHERINE DE SIENNE, SAINTE
    2 CHABERT
    2 DARRAS, JOSEPH-EPIPHANE
    2 ESCHBACH, ALPHONSE
    2 FONTENAY, ABBE DE
    2 GIGNOUX, JOSEPH-ARMAND
    2 LADOUE, THOMAS DE
    2 MAUPIED, FRANCOIS
    2 SIMONIS, CHANOINE
    3 GENES
    3 ITALIE
    3 MEAUX
    3 MONT CENIS
    3 NICE
    3 ROME
    3 ROME, SEMINAIRE FRANCAIS
  • A MADEMOISELLE LOUISE CHABERT
  • CHABERT Louise
  • Rome, 19 janvier [18]70.
  • 19 jan 1870
  • Rome
La lettre

J’ai reçu votre bonne lettre de six pages, ma chère enfant, et j’ai pu dire. ce matin, la messe pour l’âme de votre père. Je prie bien pour lui, je vous assure, et je vous conjure de m’en parler et de m’en dire tout ce que vous désirez que j’en connaisse, afin de pouvoir vous en parler, à mon tour, quelquefois.

Laissez-moi vous conter tout de suite une petite histoire. L’abbé Darras est venu se confesser, il y a quelques heures. Après ses affaires réglées, je lui ai lu le passage de votre lettre, où vous me parlez de lui. Il m’a chargé de vous dire qu’il était bien heureux de penser que son livre pouvait servir à consoler une âme dans la souffrance(1). Voilà des liens de fraternité établis entre vous et lui.

Vous avez envie, me dites-vous, de venir à Rome. Je ne pense pas que le motif que vous m’alléguez puisse vous retenir. Je crois que c’est à présent ou jamais que vous pouvez faire ce voyage avec fruit. Je veux, si vous venez, vous aider à le bien faire, si c’est possible. Mais le pourrai-je? Figurez-vous que j’ai voulu lire un livre de philosophie. Je comptais en lire 100 pages par jour. Avant-hier, j’en ai lu 10 pages, hier 3, aujourd’hui, à 7 heures du soir, point. Ma vie est aussi intéressante que possible, mais je ne m’appartiens pas. Il ne faut donc pas trop compter sur moi. Dans ce cas, avec qui voyagerez-vous? Si vous avez quelqu’un instruit, sérieux, venez. Souvenez-vous que, pour venir dans de bonnes conditions, il faut calculer sur 1.000 à 1.200 francs de dépenses. Sur ce point, vous savez mieux que moi ce que vous pouvez faire. Si vous redoutez la mer, prenez le chemin de fer jusqu’à Nice, de Nice à Gênes la diligence, de Gênes à Rome le chemin de fer. Au retour, vous passerez par le mont Cenis.

Ainsi, d’une part, j’approuve entièrement ce voyage, si vous le faites dans d’utiles conditions, avec des compagnons intelligents; car, quelquefois, on ne sait pas apprécier les plus belles choses, faute d’être bien guidé. Si vous voulez faire votre course en chrétienne, vous devez y porter une préparation toute spéciale par des lectures. Ici, je vous indiquerai certains ouvrages. Si vous venez, n’en parlez pas trop; cela aurait d’assez graves inconvénients. Il faudra mettre en avant le besoin de distraction, après le coup qui vous a frappée. Qu’après cela je sois bien heureux de vous voir, vous savez bien ce qui en est. J’ai voulu aborder ce sujet sous toutes ses faces.

Au retour de M. Barnouin, vous pourrez le prier de passer chez vous, si vous croyez ne pouvoir aller chez lui. Vous lui demanderez le secret. Je lui parlerai de vous, sans vous nommer, afin qu’il soit bien campé à votre égard.

Rome a pour moi, dans ce moment, un immense intérêt; mais, à cause de ma position, je ne puis vous en parler(2), même à des prêtres avec qui je suis intimement lié. Je vois se traiter une foule d’affaires, s’agiter une mer de sentiments opposés. Dieu, il faut l’espérer, tirera sa gloire de tout cela. Enfin, je commence à me faire une idée de ce que c’est qu’un concile.

Profitez de votre douleur pour vous jeter entre les bras de Dieu et vous transformer en créature toute nouvelle. Adieu, mon enfant. Je suis forcé de m’arrêter pour ce soir. Si demain, avant la poste, j’ai un instant, je vous écrirai un mot.

Votre père.

E.D’ALZON.

20 [janvier 1870].

Je réfléchis toujours à la possibilité de votre voyage. Pourquoi ne le feriez-vous pas? Vers la fin du carnaval, rien ne s’y opposerait, et M. Barnouin vous indiquera le moyen de voyager à travers l’Italie d’une manière assez rapide. Mais combien de temps voudriez-vous donner à votre excursion? Enfin, parlez-moi un peu en détail, quand vous n’avez pas la tête trop fatiguée. Ma grande préoccupation est que vous acquériez une intelligence et un coeur vraiment catholiques. Au milieu de votre malheur, vous avez un admirable privilège, la liberté de faire ce que vous voudrez. Réfléchissez-y bien. Cela implique de grandes obligations pour une vierge chrétienne. L’étude, la prière, le sacrifice de soi, ce n’est pas toujours bien doux. Mais qu’est-ce qui est doux dans la vie, où sont condamnés les serviteurs de Jésus-Christ qui ont pris la croix pour drapeau? Aussi désirerai-je bien fort que sainte Catherine de Sienne vous prenne sous sa protection et vous montre la nécessité de devenir une toute nouvelle créature.

Quand vous serez ici, si vous y venez évidemment, je pourrai vous dire une foule de choses qui s’expliquent dans une courte conversation et qui ne s’expliquent pas dans une longue lettre. Puis vous avez à me parler de vos grands projets, mais cela viendra plus tard.

Vous n’êtes pas sans avoir envie de savoir quelque chose du concile. Eh! bien, on peut vous dire qu’il ne va pas aussi rapidement qu’on le désirerait. Les gallicans, qui redoutent la définition de l’infaillibilité, auraient pris la résolution d’incidenter sur tout. On m’assure que, pour couper court à ces inconvénients, on va sous très peu aborder la question redoutée. Une fois cette question votée, on passera vite sur tout le reste.

Adieu, ma bien chère enfant. Coupez au fond de votre coeur toutes les racines qui peuvent l’attacher encore à la terre, pour le fixer de plus en plus dans le coeur de notre adorable Sauveur. Mille fois vôtre, ma fille. Recevez mes meilleures bénédictions.

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. En dehors de l'*Histoire générale de l'Eglise depuis la création jusqu'à nos jours* et d'une *Histoire de N.S.J.Christ* en 2 vol., parue à Paris en 1864, la bibliographie de l'abbé Darras comporte une production hagiographique abondante.
2. A la date du 29 décembre, les Annales du Séminaire français ont noté: "Ce soir à 5h. a eu lieu, au salon, la première réunion d'une vingtaine d'évêques avec leurs théologiens. Ces sortes de réunions n'ont qu'un caractère privé. On a jugé qu'elles pouvaient être utiles et les Pères du Concile se réunissent par petits groupes dans les divers quartiers de la ville. Le groupe du Séminaire Français a pour président honoraire Mgr Allou [évêque de Meaux depuis 1839], mais à cause de son infirmité (faiblesse de la vue), celui-ci a cédé le fauteuil de la présidence à Mgr Gignoux.
M. l'abbé Darras, l'historien de l'Eglise, est nommé secrétaire chargé de la rédaction des procès-verbaux. les résolutions prises seront déposées entre les mains du président des grandes Commissions conciliaires
Parmi les théologiens prenant part à ces réunions, on remarque Mgr Maupied, prélat, M. l'abbé Simonis plus tard député au Reichstag, le T.R.P. d'Alzon, M. de Fontenay, de Ladoue, etc... Le P. Eschbach, directeur du Séminaire Français en fait également partie. Les *schemata* du Concile leur seront remis sous la loi du secret" (cité par ESCHBACH, *Séminaire français*, pp.248-249).