DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 144

23 jan 1870 Rome BAILLY_EMMANUEL aa

Les signatures – La tactique de l’assommoir – Le second schéma – Coïncidence émouvante – On n’abordera pas la question des religieux – Audience de Mgr Dupanloup – L’Assomption de Marie – L’opinion de gros bonnets *zelanti* – La franc-maçonnerie – Visite du pape à l’évêque de Nîmes.

Informations générales
  • DR08_144
  • 3853
  • DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 144
  • Orig.ms. ACR, AI 96; D'A., T.D.31, n.96, pp.83-86.
Informations détaillées
  • 1 ARMEE PONTIFICALE
    1 ASSOMPTIONNISTES
    1 AUTORITE PAPALE
    1 CELLULE
    1 CLOCHER
    1 COLERE
    1 CONCILE DE TRENTE
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 CONVERSATIONS
    1 DEPENSES
    1 DOGME
    1 ECRITURE SAINTE
    1 ELECTION
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 EVEQUE
    1 FETE DE L'ASSOMPTION
    1 FRANC-MACONNERIE
    1 FRANCAIS
    1 GALLICANISME
    1 IDEES REVOLUTIONNAIRES
    1 IMMACULEE CONCEPTION
    1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
    1 INSTITUTS RELIGIEUX
    1 JUGEMENT DERNIER
    1 MISERICORDE
    1 MISSIONNAIRES
    1 MONARCHIE
    1 PECHE ORIGINEL
    1 PEUPLES DU MONDE
    1 SATAN
    1 SCANDALE
    1 SOCIETES SECRETES
    1 TRAITRES
    1 VISITE DES MALADES
    2 ALLOU, AUGUSTE
    2 BARNOUIN, HENRI
    2 CHESNEL, FRANCOIS
    2 CLASTRON, JULES
    2 DUBUIS, CLAUDE-MARIE
    2 DUPANLOUP, FELIX
    2 ESCHBACH, ALPHONSE
    2 FESSLER, JOSEPH
    2 FREYD, MELCHIOR
    2 GALABERT, VICTORIN
    2 GRATRY, ALPHONSE
    2 JUDAS
    2 LOUIS XVI
    2 MANNING, HENRY-EDWARD
    2 MANSI, GIOVANNI-DOMENICO
    2 PIE IX
    2 PLANTIER, CLAUDE-HENRI
    2 SAMSON, BIBLE
    2 SERGENT, NICOLAS
    3 MEAUX
    3 MEXIQUE
    3 NIMES
    3 ORLEANS
    3 QUIMPER
    3 ROME, SEMINAIRE FRANCAIS
  • AU PERE EMMANUEL BAILLY
  • BAILLY_EMMANUEL aa
  • Rome, 23 et 24 janvier [18]70.
  • 23 jan 1870
  • Rome
La lettre

Mon cher ami,

Procédons avec ordre. Au moment où l’abbé Barnouin partait, (il est parti) j’apprenais que les signatures de l’adresse pour l’infaillibilité s’élevaient au chiffre de 410; ce soir, j’apprends que le Mexique a donné hier ou aujourd’hui, indigné qu’il est d’entendre les éloges que Mgr d’Orléans donnait à la lettre Gratry. On ira à 500; je le regrette presque.

Les orateurs assomment, et je crois que c’est une tactique romaine, parce que viendra le moment où l’on n’y tiendra plus, et ce soir encore un évêque missionnaire me disait qu’il était venu avec 900 francs pour tout potage et que quand ils seraient mangés, il décamperait. Le second schéma est admirable. La royauté spirituelle de Pie IX a été proposée le jour anniversaire de la chute de la royauté terrestre sur l’échafaud de Louis XVI(1). Manning est ravi; Fessler, le secrétaire du concile est enchanté; les pharmaciens sont enfoncés, dit l’abbé Chesnel. Pour moi, je crois que nous aurons un scandale quelconque. Il ne faut pas le demander, à cause des faibles, mais tenez pour sûr que Dieu nous prépare de belles choses, si nous en sommes dignes.

On n’abordera pas, que je sache, la question des Congrégations religieuses; on laissera des postulata. Vous ai-je dit que le Pape avait eu une conversation assez dure avec Orléans et que quand Félix-Philibert était sorti, Pie IX avait dit à un prélat: « Je viens de recevoir le baiser de Judas »? Si Pie IX disait cela de vous, que penseriez-vous de vous?

Je ne pense pas qu’il soit question de définir l’Assomption de la Sainte Vierge(2), mais il serait possible qu’à propos de la résurrection dernière on dise sur l’Assomption ce que le concile de Trente, à propos du péché originel, a dit de l’Immaculée Conception de Marie.

Hier soir, a été tenue une réunion des gros bonnets zelanti. Un tiers a opiné de servir les questions par bouchées; un autre tiers a estimé qu’il fallait procéder rondement, et un autre tiers qui, paraît-il, a fini par l’emporter,a estimé qu’il fallait servir tout le plus tôt possible, afin que quand on aurait bien jasé, bien péroré pendant un certain temps, on vît le moment favorable de clôre la discussion et de ne plus procéder que par votes.

Maintenant, si vous me demandez mon opinion, je vous engagerai à étudier la question de la franc-maçonnerie. Les principes opposés aux principes divins, ce sont les maximes révolutionnaires, mais la société diabolique opposée à la société de J.-C., c’est la société secrète. L’ennemie concrète de l’Eglise, c’est la franc-maçonnerie. Bien aveugle est qui ne le voit pas.

24 au soir.

Par une incroyable bonne fortune, cette lettre a été oubliée par moi. Ecoutez. Vers 4 heures, je remontais de chez mon évêque, quand j’ai entendu la cloche s’agiter indéfiniment. Qu’est-ce que c’est? – Le Pape qui vient voir Mgr de Nîmes. – Vite je cours chez mon pauvre évêque, et, de là, à la porte. Le Pape entrait. Il m’a reconnu. Le P. Galabert, qui était dans ma chambre, s’est présenté dans le cortège. « Qui est celui-là? » a dit le Pape.- « Un religieux du P. d’Alzon », a répondu le P. Freyd.- « Et moi qui le prenais pour un Chinois ». En entrant dans le salon, il a vu le portrait du cardinal [illisible]: « Erat Gallus, sed non gallicanus« , a dit l’évêque de Quimper. Le Pape a souri. En voyant les deux colonnes qui sont au milieu du salon, il s’est arrêté: « Mais voilà une salle qui ressemble à celle des Philistins. Mais, rassurez-vous, ce n’est pas moi qui, comme Samson, les ébranlerai et chercherai à ébranler un établissement aussi précieux que le séminaire français ». J’étais devant lui: « Très Saint-Père, lui ai-je demandé, Votre Sainteté veut-elle voir d’abord l’évêque de Meaux ou Mgr de Nîmes?- Je viens, m’a-t-il répondu, voir les évêques malades. La visite des malades est une oeuvre de miséricorde ». Il est entré dans la chambre de Mgr de Nîmes. On avait préparé un fauteuil, et comme Monseigneur, qui était venu l’attendre à genoux à la porte de sa chambre, l’invitait à s’asseoir; « Non a-t-il dit, à mon âge on se lève difficilement des sièges un peu trop bas, je prendrai une chaise ». Et il s’est assis juste sur celle que j’occupais dix minutes auparavant.

L’entretien a duré plus d’un quart d’heure. Deux prélats qui l’accompagnaient étaient aux deux côtés de la porte entr’ouverte et au dehors; moi, j’étais au milieu d’eux. Dans le corridor assez étroit se trouvaient trois gardes nobles et quelques évêques.

Je n’entendais pas, bien entendu, mais je jouissais du profil de Pie IX causant avec simplicité et animation, et s’inclinant quelquefois vers Monseigneur afin de l’entendre. Monseigneur ne peut parler que très bas. Ce qui s’est dit, Monseigneur m’en a bien raconté quelque chose, mais vous m’en voudriez de le répéter, à mon tour.

En sortant de chez notre évêque, de retour au salon, il a trouvé Mgr de Meaux. « Ah! Monseigneur, lui a-t-il dit, quand on marche comme vous le faites, on est en pleine convalescence ». Il admit les personnes présentes (il y en avait une cinquantaine) au baisement des pieds et a quitté le séminaire, en lui laissant je ne sais quelle joie qui part et de la foi et de l’amour au vicaire de J.-C.(3).

J’espère que vous êtes content de la dépêche que je vous ai adressée. Les détails ne pouvaient vous arriver plus tôt. Adieu, cher ami. Votre père, qui a parlé aujourd’hui cinq ou six fois au Pape.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Le 21 janvier fut distribué aux Pères le schéma *de Ecclesia Christi*.
2. De nombreux voeux en faveur d'une définition dogmatique de l'Assomption parvinrent à la congrégation des *postulata*. L'un d'eux avait recueilli les signatures de près de 200 Pères (MANSI, 53, col. 481-517).
3. Voir aussi CLASTRON, *Plantier*, II, pp.363-364 et ESCHBACH, *Séminaire français*, pp.250-251. Au Séminaire français une inscription destinée à conserver la mémoire de l'événement fut gravée sur un beau marbre (ibid. p.260). - Le P. Melchior Freyd est le supérieur du séminaire.