DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 204

16 feb 1870 Rome COLLEGE de l'Assomption

Autour du concile.

Informations générales
  • DR08_204
  • 3898
  • DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 204
  • Orig.ms. ACR, AK 416; D'A., T.D.33, n.6, pp.314-318.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DE L'EGLISE A L'ASSOMPTION
    1 AUTORITE PAPALE
    1 BAVARDAGES
    1 CATECHISME
    1 COLERE
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 CONFESSEUR
    1 CONGREGATIONS ROMAINES
    1 DEVOIRS DE CHRETIENS
    1 DOCTRINE CATHOLIQUE
    1 ECRITURE SAINTE
    1 ELECTION
    1 ENERGIE
    1 ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE
    1 EVEQUE
    1 FATIGUE
    1 HIERARCHIE ECCLESIASTIQUE
    1 HUMILITE
    1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
    1 INJURES
    1 LIBERALISME CATHOLIQUE
    1 LIBERTE
    1 MALADES
    1 PAQUES
    1 PRESSE CATHOLIQUE
    1 PRIERE AU SAINT-ESPRIT
    1 REGLEMENTS
    1 RUSE
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SAINTS
    1 TRIOMPHE DE L'EGLISE
    1 ULTRAMONTANISME
    1 VANITE
    2 BAILLY, EMMANUEL
    2 BAILLY, VINCENT DE PAUL
    2 BARNABO, ALESSANDRO
    2 BILIO, LUIGI
    2 BOSSUET
    2 CALLOT, JEAN-BAPTISTE
    2 CATERINI, PROSPERO
    2 CHAMBOURDON, FRANCOIS
    2 CHESNEL, FRANCOIS
    2 COLOMB, CHRISTOPHE
    2 DARBOY, GEORGES
    2 DAVID, AUGUSTIN
    2 DE LUCA, PIETRO
    2 DONEY, JEAN-MARIE
    2 DUPANLOUP, FELIX
    2 FRUCHAUD, FELIX
    2 GALABERT, VICTORIN
    2 GERMER-DURAND, JOSEPH
    2 GIGNOUX, JOSEPH-ARMAND
    2 GRATRY, ALPHONSE
    2 JACOBINI, LODOVICO
    2 KOBES, ALOYS
    2 PIE IX
    2 PIERRE, SAINT
    2 PITRA, JEAN-BAPTISTE
    2 PLANTIER, CLAUDE-HENRI
    2 SIMEON, VIEILLARD
    2 TARQUINI, CAMILLO
    2 VEUILLOT, LOUIS
    3 AMERIQUE
    3 BEAUVAIS
    3 BELLEY
    3 METHONE
    3 MONTAUBAN
    3 NIMES
    3 ORAN
    3 ORLEANS
    3 PARIS
    3 ROME
    3 SAINT-BRIEUC
    3 SENEGAMBIE
  • AUX ELEVES DU COLLEGE DE L'ASSOMPTION, A NIMES
  • COLLEGE de l'Assomption
  • Rome, [vers le 16] février [18]70.
  • 16 feb 1870
  • Rome
La lettre

Mes chers enfants,

Voilà un siècle que je ne vous ai écrit. Vous n’aurez pas, cette année, de mandement de notre évêque; il est trop souffrant pour prendre la plume. Voulez-vous que nous causions? Evidemment, c’est du concile. N’est-ce pas que vous voulez des nouvelles?

Ce matin, un théologien du Pape(1) est entré chez moi, furieux contre les lenteurs des Très Révérends Pères. Il a beaucoup d’esprit et j’aime ses fureurs. Je lui rapportais un mot prononcé hier par le card[inal] Bilio: « Le Pape espère que pour la Saint-Pierre tout sera fini« . Lui, le théologien, aurait voulu qu’à Pâques nous eussions pu décamper. « Voilà comment vont les choses! s’est-il écrié. On ne sait rien. -Mais prenez donc des renseignements, lui ai-je dit.- Des renseignements! Pour qui me prenez-vous, Monsieur? Je suis allé aux renseignements, Monsieur, et les renseignements puisés aux plus sûres sources, Monsieur, étaient faux le lendemain, Monsieur. Mais, Monsieur, l’évêque de Belley(2) n’a-t-il pas dit à l’évêque de Montauban qu’il y avait 50 orateurs inscrits pour parler sur le petit catéchisme? Le cardinal Pitra ne vous a-t-il pas dit tenir du cardinal de Luca qu’il n’y en avait que 30? Et, au dernier moment, ne se sont-ils pas trouvés 12, Monsieur, sur lesquels un a renoncé à la parole? Et le cardinal Bilio ne vous a-t-il pas dit à vous-même, Monsieur, qu’un règlement allait être distribué, Monsieur? Et le règlement, depuis huit jours, est-il distribué, Monsieur? Et le Pape n’a-t-il pas dit à l’évêque de Beauvais, Monsieur, que l’on ferait passer le schéma de l’infaillibilité avant celui du petit catéchisme? L’a-t-on fait, Monsieur? Et pourquoi cela, Monsieur? Et le Pape lui-même ne serait-il pas le maître? Ou bien… Enfin, monsieur, je ne veux pas prendre de renseignements, parce que si l’on dit que l’on fera une chose un jour, Monsieur, c’est une raison pour qu’on fasse le contraire, vingt-quatre heures après, Monsieur.

« Mais, mon cher ami, lui ai-je répondu, ces hésitations sont un bien. Si elles font voir des incertitudes chez les membres de la cour romaine, elles prouvent, du moins, qu’il n’y a pas de parti-pris pris et qu’on a laissé aux gens la plus grande liberté. Vous savez bien que le mot d’ordre de la coterie, pour le quart d’heure, est qu’on n’a pas de direction. Vous savez bien que l’évêque de Saint- Brieuc l’a dit devant le Père…(3), que l’évêque d’Oran est venu le chanter à l’évêque de Nîmes. Au moins, ils ne peuvent pas se plaindre qu’on pèse trop sur eux. Et puis, l’impatience qui s’empare des bons a un excellent résultat. -Oui, Monsieur, reprenait mon exaspéré, mais vous savez bien aussi que Veuillot a eu le plus grand tort dans son numéro du 9 de parler de cette impatience.

-Voyons, ai-je fait, mon cher ami, ne l’avez-vous pas cent fois constaté comme un fait général, et Mgr Kobès(4) [ne] nous a-t-il pas déclaré, hier soir, que le vieux Barnabo lui-même était dans le paroxysme de l’indignation?

-« Oui, Monsieur, Veuillot pouvait parler de l’impatience générale, il pouvait même dire beaucoup plus, frapper dix fois plus fort, mais non pas en son nom; sans quoi, c’est le sacristain qui fait la leçon à l’archevêque(5), Monsieur. Après cela, que par Veuillot le monde catholique sache que la moutarde commence à monter au nez des honnêtes gens, ce n’est pas un mal que je déplore, Monsieur. Il est bon que l’on sache, Monsieur, de quoi sont capables 600 à 700 honnêtes gens, à qui une coterie, Monsieur, a mis une once de moutarde dans chacune de leurs narines.

-Vous voyez donc, mon très cher, que ces lenteurs ont l’immense avantage de mettre le feu au ventre de tous ces saints évêques, arrivés ici tout confits dans un pot de miel et de sucre affadi, et qu’ils vont comprendre la nécessité de parler ferme, à cause de l’ardeur des autres et de leurs incroyables propositions. On verra le fond de leur pensée, et ce sera un bien immense; ce sera la prophétie de Siméon accomplie, ut ex multis cordibus revelentur cogitationes eorum. Après tout, ils ne sont pas si terribles. Est-ce qu’il est terrible cet évêque qui a dit que Christophe Colomb découvrit l’Amérique: Christophus Columbus discooperuit Americam, comme si cette pauvre Amérique était une dame portant chemise? Et cet autre qui prétendait que son avis était fondé sur plusieurs motifs, multibus de causis? Et le P. Galabert ne vous a-t-il pas dit qu’à son dernier discours l’évêque d’Orléans n’avait pas eu le moindre signe d’approbation? Un autre ne vous a-t-il pas dit que pendant ce même discours bon nombre d’auditeurs avaient décampé? Encore une fois, vous voyez bien qu’ils ne sont pas si terribles. Vous vous rappelez qui vous a dit que Mgr Dupanloup s’était plaint amèrement de ce que Veuillot l’avait coulé à Rome.

-Monsieur, Monsieur, ai-je été interrompu, ne me dites pas cela. Voilà ce qui m’insupporte(6) au suprême degré. Quand Félix-Philibert sera coulé, il se gardera bien de le dire. S’il le dit, c’est une feinte, Monsieur, pour se poser en victime, Monsieur. C’est moi qui vous le dis, Monsieur. Si j’ose m’exprimer ainsi, Monsieur: Ah! que nous ne sommes rien! comme disait le grand Bossuet.

-Je vous l’accorde, ai-je répondu très doucement. L’évêque d’Orléans n’est pas entièrement coulé, mais convenez que tous les jours il se coule et que le P. Gratry l’y aide d’une fameuse façon.

-Pour cela, je vous l’accorde, Monsieur; mais parce que vous aurez eu raison une fois dans votre vie, Monsieur, n’en tirez pas trop vanité, Monsieur. Je vous ramènerai à l’humilité, grâce à ce don que, selon le P. Vincent de Paul, j’ai reçu à mon baptême de mettre les gens à leur place, Monsieur.

-Eh! bien, oui, je me mettrai à ma place, et vous serez bien content de m’y avoir mis, et moi d’avoir une occasion de pratiquer l’humilité. Mais revenons à notre sujet. Je vois dans ces hésitations romaines un immense avantage. Au moment où le Pape va être investi d’un pouvoir si grand, n’y a-t-il pas avantage à ce que la cour romaine soit un peu amoindrie? Vous savez si je suis Romain. Mais cette sorte de perte de prestige est, à mes yeux, un bien. Puis ils comprendront que si le monde vient davantage à Rome, on ne laisse pas le gouvernement de l’Eglise aux seuls Romains. Et le Catarin, et le Jacobin et le Tarquin y regardent à deux fois. (C’est ainsi que mon interlocuteur appelle habituellement le card[inal] Caterini, Mgr Jacobini et le P. Tarquini(7)).

La pensée que ces personnages seraient obligés d’y regarder à deux fois l’a adouci, et il s’en est allé, murmurant comme la mer après une tempête, préparer quelques travaux sur les rapports de l’Eglise avec l’Etat.

Que conclure de tout ceci, mes enfants? Que le concile est tout autre chose qu’on ne se le figure, que les plus saints n’y apportent pas d’idées préconçues, que les tripoteurs y voient leurs plans déjoués, que les curieux n’y voient pas toujours très clair, que les hommes de foi ont par moments des appréciations différentes et que le Saint-Esprit permet que le côté humain apparaisse, afin de faire ressortir encore plus par contraste le côté divin. Et que sortira-t-il du concile? Des fruits merveilleux, si nous voulons les aider à mûrir. Evidemment, celui qui sème sortira pour semer. Heureuse la terre bien préparée qui produira ses fruits dans le temps opportun! Et quelles conclusions pratiques devez-vous tirer, vous autres, là-bas, dans votre Nîmes?

1° Vous devez prier pour que le Saint-Esprit parle le plus promptement possible et le plus sûrement possible.

2° Vous avez à vous préparer à comprendre les enseignements que le concile donnera, soit au point de vue de la religion, soit au point de vue de l’Eglise, car les deux grandes questions qui sortiront du concile auront pour objet la religion et l’Eglise.

3° Vous devez vous tenir en garde contre les fausses interprétations que pourront donner du concile les catholiques libéraux.

4° Enfin, vous aurez à vous rendre compte des grands devoirs qui sont imposés à un catholique, lorsque, aimant l’Eglise comme sa mère, il tient à la protéger des injures du dehors et du dedans, et il veut la faire triompher de ses ennemis.

Voilà, mes chers enfants, ce que le P. Emmanuel vous dit à coup sûr très souvent, mais je voulais vous le dire, de mon côté, afin que vous pussiez comprendre combien est grande l’unité d’enseignement à l’Assomption.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
Cher ami, voyez si cette lettre peut être lue. J'accorde aux Pères Germer et François les pouvoirs pour confesser les élèves et les hommes, pas les femmes encore.|*Totus tibi*. L'évêque est aujourd'hui fatigué, c'est le scirocco. La faction perd encore des voix.1. Chesnel sans doute.
2. Félix Fruchaud, depuis 1859.
3. Le nom propre a été barré par le P. d'Alzon.
4. Evêque *in partibus* de Méthone et vicaire apostolique de Sénégambie.
5. De Paris évidemment... Cet article de Veuillot a été repris dans *Rome pendant le concile*, I, pp.206-210.
6. Ce mot familier à Chesnel montre qu'il s'agit bien de lui : voir *Lettre* 3897*.
7. Le cardinal Prosper Caterini est préfet de la Congrégation du Concile. Camillo Tarquini S.J. (1810-1874), canoniste et archéologue, consulteur de plusieurs Congrégations, membre de la commission de la discipline préparatoire au concile, sera créé cardinal en 1873.