DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 265

19 mar 1870 Rome BAILLY_VINCENT de Paul aa|PICARD François aa

Faire quelque chose mais où? – Le service pour Montalembert – Le concile s’embourbe – La nouvelle rédaction du schéma *de fide* – L’opposition – Faites copier pour Keller.

Informations générales
  • DR08_265
  • 3945
  • DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 265
  • Orig.ms. ACR, AE 345; D'A., T.D.25, n.345, pp.291-293.
Informations détaillées
  • 1 ADVERSAIRES
    1 COLERE
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 CRITIQUES
    1 DIPLOMATIE
    1 DOCTRINE CATHOLIQUE
    1 DOGME
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 ENSEIGNEMENT
    1 EPISCOPAT
    1 EVEQUE
    1 FOI
    1 GOUVERNEMENT
    1 HERESIE
    1 HUMILITE
    1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
    1 LIBERALISME CATHOLIQUE
    1 MESSE DE REQUIEM
    1 NOMINATIONS
    1 PAPE
    1 PARDON
    1 PATIENCE
    1 PRIERE DE DEMANDE
    1 PRIERES POUR LES DEFUNTS
    1 PUBLICATIONS
    1 RESSOURCES FINANCIERES
    1 RESSOURCES MATERIELLES
    1 RUSE
    1 SAINT-SIEGE
    1 SERVICE DE L'EGLISE
    1 THEOLOGIENS
    1 TIEDEUR
    1 UNIVERSITES CATHOLIQUES
    1 UNIVERSITES D'ETAT
    1 VIN
    2 CAPALTI, ANNIBALE
    2 DARBOY, GEORGES
    2 DEHON, LEON
    2 DUPANLOUP, FELIX
    2 KELLER, EMILE
    2 LECANUET, EDOUARD
    2 MABILE, JEAN-PIERRE
    2 MERODE, XAVIER DE
    2 MONTALEMBERT, CHARLES DE
    2 PIE IX
    2 PIE, LOUIS
    2 SIMOR, JANOS
    3 BELGIQUE
    3 ESZTERGOM
    3 FRANCE
    3 HONGRIE
    3 NIMES
    3 ORLEANS
    3 PARIS
    3 PARIS, RUE FRANCOIS Ier
    3 POITIERS
    3 ROME, CAPITOLE
    3 ROME, EGLISE DE L'ARA COELI
    3 ROME, EGLISE SANTA-MARIA TRASPONTINA
    3 VERSAILLES
  • AUX PERES FRANCOIS PICARD ET VINCENT DE PAUL BAILLY
  • BAILLY_VINCENT de Paul aa|PICARD François aa
  • Rome, 19 mars [18]70.
  • 19 mar 1870
  • Rome
La lettre

Mes chers amis,

J’ai lu attentivement vos lettres et je suis entièrement de votre avis, il faut faire quelque chose. Mais à moins que vous ne m’indiquiez des moyens matériels pour agir à Paris, il est impossible de songer à faire quoi que ce soit dans ce cher pays(1). Si nous faisons quelque chose, c’est hors et très hors de Paris. Pour ma part, je ne répugnerais pas à faire quelque chose à Nîmes, mais où trouver de l’argent? Car il en faudra, et beaucoup. Il ne faut pas se faire illusion, sans argent on ne peut rien commencer. La très grande difficulté après cela consistera à échapper à l’action des évêques. En Belgique c’est bien, et pour longtemps l’épiscopat est sûr de bien marcher. Mais en France, avec les nominations d’évêques au choix du gouvernement, et avec les gouvernements avec des influences si contradictoires, je vois, je l’avoue, des montagnes de difficultés. Avez-vous un plan? Avez-vous des idées? Avez-vous des ressources? L’archevêque laissera-t-il faire une université à Paris? Allons à Versailles. Et si Versailles qui est vieux, vient à mourir? Allons à Nîmes. Et si, pour détruire l’action de Nîmes, son successeur est comme sont tant d’autres évêques? Qui soutiendra la lutte entre les catholiques et les évêques? Car, voilà ce qu’il faut prévoir, un évêque plus favorable à l’université de l’Etat qu’à l’université catholique. Vous pouvez discuter tout cela entre vous, et vous verrez qu’avant de mettre la main à la pâte, il faut y réfléchir plus d’une fois.

Remerciez Keller d’avoir pensé à moi(2), mais pour le moment il faudrait que Keller me poussât bien fort, pour que je pusse consentir à m’ébranler. -(Le reste est pour lui – vous copierez).

La grosse nouvelle est le service que les libéraux avaient voulu faire célébrer à l’église d’Ara Coeli, c’est-à-dire au Capitole, en l’honneur de M. de Montalembert. C’était une manifestation(3). Un moment, Mgr d’Orléans avait dû y parler. Le Pape, à qui l’on n’avait rien dit, le sut la veille au soir et défendit cette apothéose de celui qui l’avait appelé l’idole du Vatican; mais en même temps il donna l’ordre, sans dire pour qui, de commander à ses frais un service à Sta Maria Traspontina. Et hier, tandis que les évêques étaient en Congrégation générale, il se rendit au service ordonné par lui(4). Il n’avait prévenu personne, afin que l’on vît bien que si le Pontife-roi réprimait les manifestations turbulentes, Pie IX pardonnait et faisait prier pour celui qui, malgré ses dernières lignes, avait rendu de si grands services à l’Eglise.

Quant au concile, il s’embourbe. Il n’y a pas d’hommes pour le présider. Le seul, Capalti, a peur de se mettre toujours sur la brèche; les autres, ou sont vieux, ou sont diplomates, ou ne savent pas. C’est triste, mais c’est ainsi. Vous figurez-vous que la Congrégation d’hier a été employée, sauf le rapport de Mgr Simor(5) sur le schéma De fide réformé, à entendre trois orateurs, qui l’un dans l’autre n’ont pas parlé plus de 15 minutes chacun: 45 minutes de discussion. Ce n’est pas beaucoup. On ne s’aperçoit pas que toutes les patiences se lassent.

Le schéma de fide a été rendu aux Pères. La réflexion la plus générale que j’entende faire, c’est que la nouvelle rédaction est une réduction(6) homéopathique du premier projet, à la 300ième dilution.

Le schéma tamisé par les évêques prouve la médiocrité du niveau intellectuel. A ce point de vue, l’évêque de Poitiers a désillusionné tout le monde. Il était de la sous-commission préparatoire. Enfin, Dieu veut nous humilier. Les théologiens du premier schéma ne se gênent pas pour dire que les têtes épiscopales n’étaient pas de force à porter le vin généreux de la première rédaction. Alors on leur a servi de [la] piquette. Sachant que ces notes seront adoucies et même supprimées au besoin, j’aime mieux tout vous dire, nous pataugeons dans le médiocre.

D’autre part, les opposants reviennent. Quelques-uns se détestent réciproquement. Paris commence à tirer de son côté, il lâche le Dupanloup. Les deux se jouent des tours. Le salut viendra, s’il vient, de nos ennemis. La brochure d’Orléans fait long feu, elle a raté. On la croit perfide; je la trouve pleine de rage calme, mais on sent le commencement de la fin.

Si l’on mettait que l’infaillibilité est de doctrine catholique, au lieu de dogme catholique, tout le monde accepterait; mais au point où en sont les esprits, on pense qu’il faut parler net. Car il importe de prévoir l’avenir, en se rappelant toutes les hérésies produites par les demi-mesures.

Notes et post-scriptum
1. Dans une très intéressante lettre du 15 mars, le P. Picard avait écrit : "Paris offre une place sérieuse à prendre, c'est un poste avancé, un poste de combat, mais un poste d'honneur. Nous devrions occuper ce poste, notre esprit de congrégation, les bénédictions que Dieu répand sur notre pauvre maison nous l'indiquent; la valeur seule des hommes et leur nombre manquent, il faut rester l'arme au bras, remplir le rôle de conservateurs, lorsqu'il faudrait aller en avant."
2. Le P. Picard se disait poursuivi par l'idée d'une université catholique à fonder à Paris par les évêques de France. "Mais il faut l'entente des évêques, il faut l'approbation de Rome, il faut un homme pour rechercher les éléments, pour poser la question auprès des évêques. Pourquoi ne seriez-vous pas cet homme?" C'était, ajoutait-il, ce que pensait Keller.
3.Mgr de Mérode, dit Lecanuet, avait pris soin de convoquer les prélats de la majorité aussi bien que ceux de la minorité et d'annoncer qu'aucun discours ne serait prononcé... (III, p. 475).
4. "C'était bien un de ces tours malicieux comme savait en jouer Pie IX" (DEHON, *Diario*, p.107).
5. Archevêque d'Esztergom et primat de Hongrie.
6.Les T.D. ont lu *rédaction* mais le ms a *réduction*.