DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 268

19 mar 1870 Rome MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Pour les deux Assomptions: faire produire au concile tous ses fruits – Un enseignement pénétré d’esprit chrétien, la vie chrétienne dans le monde, la lutte contre les idées libérales – Le noyau d’une Université catholique – Aimer l’Eglise, prier, chercher, enfoncer des portes.

Informations générales
  • DR08_268
  • 3947
  • DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 268
  • Orig.ms. ACR, AD 1550; D'A., T.D.24, n.1057, pp.102-105.
Informations détaillées
  • 1 ADOLESCENTS
    1 AMOUR DE LA VERITE A L'ASSOMPTION
    1 CARACTERE
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 COLERE
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 CONCILE OECUMENIQUE
    1 CONGREGATION DES AUGUSTINS DE L'ASSOMPTION
    1 CONTRITION
    1 DOCTRINE CATHOLIQUE
    1 ECRITURE SAINTE
    1 EFFORT
    1 ENGAGEMENT TEMPOREL DES LAICS
    1 ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
    1 ESPRIT CHRETIEN DE L'ENSEIGNEMENT
    1 EVEQUE
    1 GOUVERNEMENT
    1 HERESIE
    1 HISTOIRE DE L'EGLISE
    1 HUMILITE
    1 INTEMPERIES
    1 LACHETE
    1 LIBERALISME CATHOLIQUE
    1 MALADES
    1 MATIERES DE L'ENSEIGNEMENT ECCLESIASTIQUE
    1 MEDECIN
    1 ORGUEIL
    1 PAPE
    1 PENSEE
    1 PRIERE DE DEMANDE
    1 PRIERE POUR L'EGLISE
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 REMEDES
    1 RENOUVELLEMENT
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SOUFFRANCE
    1 SOUFFRANCE APOSTOLIQUE
    1 TIEDEUR
    1 TRISTESSE
    1 UNIVERSITES CATHOLIQUES
    2 ANTONELLI, GIACOMO
    2 ARISTOTE
    2 ATHANASE, SAINT
    2 BILIO, LUIGI
    2 CYRILLE D'ALEXANDRIE, SAINT
    2 GERBET, PHILIPPE-OLYMPE
    2 HOLTZHAUSER, BARTHELEMY
    2 ICARD, HENRI-JOSEPH
    2 LEON I LE GRAND, SAINT
    2 PIE IX
    2 PIE, LOUIS
    3 EPHESE
    3 FRANCE
    3 JUILLY
    3 KADI-KOY
    3 NICE
    3 NICEE
    3 PARIS, PALAIS DES TUILERIES
    3 PARIS, SEMINAIRE SAINT-SULPICE
    3 SICILE
    3 THIEUX
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Rome, 19 mars 1870.
  • 19 mar 1870
  • Rome
La lettre

J’avais quelques remords, ma chère fille, à vous écrire, comme je l’ai fait ce matin, si je n’avais trouvé une foule de personnes agacées comme moi, soit par le temps qui ces jours-ci porte singulièrement sur les nerfs, soit par je ne sais quelle complicité d’Antonelli et de Bilio, dit-on, pour entraver les affaires. Peut-être je me trompe. Mais Antonelli est l’homme des Tuileries plus qu’on ne pense, et si les Tuileries ne le savent pas, les ennemis des Tuileries, ici, le savent parfaitement. Ni Bilio, ni Antonelli, ne veulent du concile, et l’on dirait qu’ils tiennent à faire expier à Pie IX de le leur avoir imposé. C’est dur, mais il paraît que c’est ainsi. Je le tiens de gens très dévoués et très attristés. Pie IX aura fait comme pape plus qu’aucun Pape pour la doctrine; certains hommes en sont effrayés. Le pauvre Pie IX doit cruellement souffrir, à certains moments, de voir ces efforts faits autour de lui pour rapetisser son oeuvre. C’est triste, mais c’est ainsi.

Est-ce une raison pour se décourager? Non pas, certes. Je crois, au contraire, qu’il faut redoubler d’efforts. Le concile ou plutôt les évêques dans le concile vous font l’effet d’être comme des médecins, qui comprennent qu’ils ont devant eux un enfant malade, qui ne peut être sauvé que par une douloureuse opération; ils veulent bien le sauver, mais comme l’enfant crie, ils se contentent de lui mettre un emplâtre. L’enfant périra, mais ils auront cru pratiquer la charité en ne faisant pas l’opération. Voilà la charité du XIXe siècle, la charité fade et béate.

A côté de cela, il faut se souvenir de ce grand principe d’Aristote, que me citait un jour Mgr Gerbet: tout ce qui est reçu est reçu selon le mode, la forme du récipient. Dans un concile qu’est- ce qui est reçu? C’est le Saint-Esprit. Mais qui est-ce qui reçoit? C’est la tête des évêques. Et si la tête des évêques a été formée dans l’étau de Saint-Sulpice, vous croyez que le Saint-Esprit élargira ces cerveaux? A Nicée la tête de saint Athanase, à Ephèse la tête de saint Cyrille, à Chalcédoine la tête de saint Léon(1) laissèrent couler le Saint-Esprit à pleins bords. Ici nous avons la tête de Pie IX, mais nous avons aussi le crâne de M. Icard. Dans les trois grands conciles que je viens de citer, tous les évêques n’étaient pas des aigles, mais ils étaient humbles et n’avaient pas été moulés dans l’orgueil entêté de l’administration épicopale que Saint-Sulpice injecte à tous les siens.

Savez-vous, quand on cherche attentivement, d’où vient un des plus grands obstacles? De l’évêque de Poitiers. Je ne l’ai pas vu, mais on me disait -et je le crois- qu’entre Dupanloup et Pie non IX, comme l’appelle un de mes amis, il y a pour trait d’union M. Icard(2).

On me faisait tout à l’heure cette question: Que sera en France l’enseignement théologique après le concile? Ne vous faites pas illusion, j’en suis pour ma part épouvanté. J’en reviens à mes moutons. La situation est des plus graves et je vous conjure de prier et de faire prier. Je crois bien voir une position admirable à prendre pour les deux Assomptions, la résolution d’étudier l’esprit du concile et de se dévouer à lui faire produire toutes ses conséquences.

Je voyais, hier soir, un prêtre sicilien très distingué, chargé d’une fort délicate mission; il me parlait d’une prophétie d’Holtzhauser (je ne sais plus comme on écrit ce nom)(3) qui annonça des difficultés pour la réunion du concile -nous les avons vaincues-, des difficultés pour la tenue du concile -nous y sommes en plein-, mais surtout des difficultés pour l’application du concile. Voilà où notre travail, ma chère fille, devrait commencer. Il faut un enseignement tout renouvelé par la pénétration d’un esprit plus chrétien; il faut la vie chrétienne dans le monde, la lutte énergique contre les idées libérales, d’où va sortir (tenez cela pour certain) une nouvelle hérésie. Et les évêques ne le voient pas! Hélas! ce n’est pas la faute du Saint-Esprit, si, au lieu de répandre ses eaux dans de vastes bassins de marbre, il ne rencontre pour les verser dans le concile que des coquilles de noix. Oh! médiocrité!

Il me vient quelquefois à la pensée que je pourrais peut-être faire à Nice ce que l’abbé Gerbet avait fait à Thieux près de Juilly, m’adressant aux jeunes gens dont la poitrine voudrait du repos. On leur proposerait d’aller à Nice depuis le 1er novembre jusqu’au 1er mai, et, pendant sept mois, on les formerait aux études supérieures. Par ce côté Nice me semblerait un excellent centre pour préparer le noyau d’une université catholique. Voilà des rêves, mais le côté pratique, c’est qu’il faut aimer l’Eglise prier et chercher jusqu’à ce que nous ayons trouvé. Je vous assure que je vais mettre en méditation permanente ces paroles de N.-S.: Petite et accipietis, quaerite et invenietis, pulsate et aperietur vobis. Si vous voulez me les faire écrire en lettres dessinées, vous me ferez grand plaisir.

Après le concile il faut recevoir beaucoup, trouver beaucoup et enfoncer une foule de portes qu’on ne veut pas ouvrir. On prétend que c’est la vivacité de mon caractère qui me donne ces immenses tristesses; j’aime mieux croire que c’est mon amour pour l’Eglise. On n’est capable de souffrir ici-bas que lorsqu’on est capable d’aimer, et, comme je vous l’ai dit bien souvent, une bûche n’a jamais souffert.

Adieu, ma fille. Mille fois vôtre, mais souvenez-vous que nous avons encore bien du chemin à parcourir: Grandis enim tibi restat via.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Nicée (325), Ephèse (431), Chalcédoine (451) condamnèrent respectivement l'arianisme, le nestorianisme, le monophysisme. Saint Athanase fut patriarche d'Alexandrie de 328 à 373 et saint Cyrille de 412 à 444. Le pontificat de saint Léon le Grand dura de 440 à 461.
2. M. Icard avait en effet la confiance d'évêques des deux partis.
3. Le P. d'Alzon l'a écrit sans *t*. Barthélemy Holtzhauser (1613-1658), fondateur des Barthélémites ou Clercs séculiers vivant en communauté.