DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 277

23 mar 1870 Rome COLLEGE de l'Assomption

Réagir contre les calomnies de journaux soi-disant catholiques – Une réaction s’amorce contre les manoeuvres gallicanes de temporisation – L’incident Strossmayer – Evêques pieux mais qui ne comprennent pas beaucoup.

Informations générales
  • DR08_277
  • 3954
  • DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 277
  • Orig.ms. ACR, AK 418; D'A., T.D.33, n.8, pp.320-322.
Informations détaillées
  • 1 ARMENIENS
    1 CALOMNIE
    1 COLERE
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 CONCILE OECUMENIQUE
    1 CRITIQUES
    1 ENERGIE
    1 ESPAGNOLS
    1 EVECHES
    1 EVEQUE
    1 EXEMPTION
    1 FOI
    1 FRANC-MACONNERIE
    1 FRANCAIS
    1 GALLICANISME
    1 HERESIE
    1 HIERARCHIE ECCLESIASTIQUE
    1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
    1 INSTITUTS RELIGIEUX
    1 LANGUE
    1 LIBERALISME CATHOLIQUE
    1 LIBERTE
    1 NOMINATIONS
    1 PAPE
    1 PERSECUTIONS
    1 PRESSE CATHOLIQUE
    1 PRIERE POUR L'EGLISE
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 REGLEMENTS
    1 RUSE
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SANTE
    1 SCANDALE
    1 SOUVERAIN PROFANE
    1 SYMPTOMES
    1 TIEDEUR
    1 ULTRAMONTANISME
    1 VIE DE SILENCE
    2 BAILLY, EMMANUEL
    2 BERNARD DE CLAIRVAUX, SAINT
    2 BILIO, LUIGI
    2 CAPALTI, ANNIBALE
    2 DARBOY, GEORGES
    2 DAVID, AUGUSTIN
    2 DE ANGELIS, FILIPPO
    2 DUMAZER, ALEXIS
    2 DUPANLOUP, FELIX
    2 GALABERT, VICTORIN
    2 GRATRY, ALPHONSE
    2 GUIZOT, FRANCOIS
    2 LUTHER, MARTIN
    2 MANNING, HENRY-EDWARD
    2 MANSI, GIOVANNI-DOMENICO
    2 NAPOLEON Ier
    2 PIE IX
    2 SCHWARTZENBERG, FRIEDRICH VON
    2 STROSSMAYER, JOSEPH-GEORG
    2 VEUILLOT, LOUIS
    3 FRANCE
    3 ORLEANS
    3 PARIS
    3 ROME
    3 ROME, VILLA GRAZZIOLI
    3 SAINT-BRIEUC
  • AUX ELEVES DU COLLEGE DE L'ASSOMPTION, A NIMES
  • COLLEGE de l'Assomption
  • Rome, 23 mars 1870.
  • 23 mar 1870
  • Rome
La lettre

Mes chers enfants,

Il y a, dit le Saint-Esprit, un temps de se taire, mais il y a aussi un temps de parler. Je crois le temps de parler venu. J’étais depuis longtemps déjà indigné de la manière dont les journaux d’une certaine couleur catholico-libérale parlaient du concile. Mais il y a un mois environ, outré d’une correspondance infâme -le mot n’est pas trop fort -insérée dans l’Union nationale, j’allai trouver un des présidents et je lui dis: « Eminence, les journaux soit-disant catholiques publient les plus incroyables calomnies sur le concile. Si l’on ne répond pas à certaines abominations, le public sera perverti par de faux renseignements. L’attaque aura lieu et la défense ne sera pas permise ». Le cardinal trouva que j’avais raison. « Demain, me répondit-il, les présidents se réunissent. Venez demain soir, je vous ferai part de leur décision ». Je fus exact au rendez- vous. Le cardinal me dit: « Votre observation a frappé, en effet. Entendez-vous avec certaines personnes et puis faites ce qui sera convenable ».

Ce que j’ai jugé convenable de faire, je n’ai pas à vous en parler; seulement je profite de la permission pour vous instruire sur quelque chose qui s’est passé hier au concile. Il faut vous dire que plusieurs évêques dévoués au Pape étaient indignés de la manière dont les gallicans avaient pris la résolution de faire traîner le concile en longueur. J’étais allé, encouragé par quelques-uns, trouver le cardinal Capalti, le plus jeune des présidents par la nomination, mais de fait le plus capable de beaucoup, et je lui fis observer que le temps se perdait, que dans tous les cas les gallicans faisaient, sans s’en douter, les affaires des francs-maçons qui triomphaient de l’amoindrissement du concile par l’effet des lenteurs catholico-libérales(1). Capalti me repondit: « Vous autres, Français, vous avez trop d’ardeur dans un sens, tandis que les gallicans ont trop de fureur dans un autre. Laissez-nous faire. Nous allons avoir une session, où le traité sur la foi sera voté; puis, viendra la question de l’infaillibilité. -Eminence, lui répondis-je, si je ne me plaçais qu’à mon point de vue personnel, je n’aurais qu’à me frotter les mains, car, comme simple religieux, il est facile de prévoir que du train dont se font certaines nominations aux évêchés, d’ici à quelque temps, Rome, pour se faire défendre en France, aura besoin de donner d’elle-même toutes les exemptions possibles, tous les privilèges aux familles religieuses, à moins qu’elle ne veuille se suicider ». Le cardinal eut l’air assez frappé de mon observation et me dit avec une grande vigueur: « Tenez pour certain que, quelque mollesse qu’on vous reproche, si un évêque de l’opposition se permet de sortir de la question, c’est moi qui me chargerai de l’y ramener ».

C’était avant-hier que je l’ai vu. Hier eut lieu une Congrégation générale. Le cardinal Schwartzenberg ayant voulu critiquer le règlement fut interrompu et prié par Capalti de rester dans le sujet. Mais le fameux Strossmayer, le saint Bernard du concile, comme vous savez, ayant blâmé la formule adoptée pour montrer que les évêques décidaient avec le Pape, puis ayant fait non seulement l’éloge des protestants, mais des oeuvres religieuses de M. Guizot(2) et ayant dit que tous les catholiques devraient les avoir entre les mains, une tempête s’éleva. Les uns criaient: « A l’hérétique! » les Espagnols criaient: « Anathème! » Tous les présidents se levèrent. Le plus vieux, de Angelis, voulut imposer silence à Strossmayer, mais sa langue était un peu embarrassée. Alors Capalti prit la parole et interpella Strossmayer. Celui-ci eut l’audace de dire: « Protestor contra concilium non liberum« . Ce fut une explosion universelle. Les amis de Strossmayer comprirent qu’il était impossible de le défendre. Il résista encore quelque temps, mais Capalti lui ordonna de descendre de l’ambon, et, s’il y était resté, l’immense majorité l’y aurait forcé(3). Il est malheureux que quelques personnes m’aient assuré l’avoir vu causer, au moment où il allait prendre la parole, avec l’archevêque de Paris, et les évêques d’Orléans et de Saint-Brieuc. Aux yeux d’un très grand nombre, la responsabilité de ce qu’a dit Strossmayer pèse en partie sur ces trois prélats. Du reste, Mgr d’Orléans est dans un état de santé inquiétant. Hier un évêque de mes amis le rencontra après la scène dans un des couloirs du concile, il avait la figure et les yeux tout injectés de sang.

L’effet général de cette déplorable incartade est excellent. Les évêques chaldéens, qui donnaient un peu du chagrin au Pape(4), sont allés porter à M. Veuillot leur adhésion à la condamnation de M. Gratry, pour la faire rendre publique. Un évêque arménien un peu villa-Grazioliste disait au P. Galabert: « Oh! c’est trop fort. Il n’y a plus moyen de marcher avec ces gens-là ». Mgr Manning, qui vint me voir en sortant de la séance, me dit qu’il en était affligé, à cause du scandale, mais réjoui parce que l’on commence à voir clair dans les dispositions des chefs de la faction. Une foule d’évêques ont envoyé leur carte à Capalti pour le féliciter de son énergie.

Si vous voulez savoir le véritable état des choses, le voici. On a cru faire merveille en laissant se développer les prétentions d’une minorité révolutionnaire, on voit à quoi cela a servi. A côté de cela, la minorité, très infime, a usé de toutes les intrigues politiques et autres pour enchaîner le concile, et elle hurle que le concile n’est pas libre, parce qu’elle ne peut pas faire ses quatre volontés. Eh! bien, la séance d’hier aura révélé l’état des esprits, et, en particulier, de ces hommes de qui je disais, il y a vingt-cinq ans et plus, qu’ils aspirent à devenir des napoléons du catholicisme. Le catholicisme ne veut pas avoir de napoléon. Il veut l’ordre dans la hiérarchie des évêques unis au Pape, et les évêques qui se plaindront trop de l’absence de la liberté subiront les anathèmes, que dans des conciles généraux d’autres évêques ont déjà subis.

J’autorise ceux d’entre vous qui voudront communiquer cette lettre à leurs parents de demander au P. Emmanuel de la leur faire dicter. Priez pour le Pape, pour le concile et pour l’Eglise.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
En me relisant, j'aperçois une nuance à relever dans ce que je vous dis. Je parle d'une faction. Cela ne s'applique qu'à un très petit nombre; mais ils ont derrière eux un certain nombre d'évêques très pieux, mais qui ne sont guère que pieux et qui, à cause de leur instruction théologique, ne comprennent pas beaucoup. Aussi recherche-t-on avec intérêt où ont été élevés les évêques français qui donnent le plus de chagrin au Pape.1. Un an plus tard, le 15 avril 1871, le P. Alexis Dumazer, étudiant à Rome, communiquait au P. d'Alzon cette réflexion du cardinal Capalti à qui il venait de rendre visite : "Le P. d'Alzon, nous a-t-il dit en riant, ah oui! il était toujours sur moi pour faire la guerre aux évêques. Il est bien dévoué à l'Eglise!"
2. Cet éloge ne provoquerait certainement plus aujourd'hui la réaction qu'il suscita à la 31e congrégation de Vatican I. François Guizot (1787-1874) était protestant mais il fit toujours preuve d'un grand esprit d'ouverture vis-à-vis du catholicisme. Il estimait d'ailleurs que, devant la montée de l'incrédulité, catholiques et protestants devaient se serrer les coudes. C'était un des thèmes de son livre *L'Eglise et la société chrétienne* (1861). Le P. d'Alzon avait dans sa bibliothèque ce livre de son concitoyen. Cependant ce n'est pas de ce livre que parlait Mgr Strossmayer quand la tempête s'éleva, mais des *Méditations sur l'essence de la religion chrétienne* dont il recommandait vivement la lecture (voir *Lettre* 3537, n.1).
3. D'après le compte-rendu de la séance la scène fut plus mouvementée encore. On entendit crier par exemple : "C'est Lucifer! Anathème! C'est un autre Luther! Qu'on l'expulse!" (MANSI, 51, c. 72-77).
4. Voir *Lettre* 3860 n.