DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 320

14 apr 1870 Rome INCONNUS

Le calendrier du concile – Le pape de la villa Grazioli – La minorité se réunit chez l’archevêque de Paris – La manoeuvre dont a été victime l’archevêque de Poitiers – L’audience de M. de Banneville.

Informations générales
  • DR08_320
  • 3991
  • DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 320
  • Brouillon autographe ACR, AP 171; D'A., T.D.40, n.4, pp.319bis-321.
Informations détaillées
  • 1 AMERICAINS
    1 AUTORITE PAPALE
    1 COLERE
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 CONCILE OECUMENIQUE
    1 CONVERSATIONS
    1 DIPLOMATIE
    1 ELECTION
    1 EPISCOPAT
    1 EVEQUE
    1 GALLICANISME
    1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
    1 PAPE
    1 PAQUES
    1 PASSION DE JESUS-CHRIST
    1 PEUPLES DU MONDE
    1 POLEMIQUE
    1 POLITIQUE
    1 PRIMAUTE DU PAPE
    1 RUSE
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SEPARATION DE L'EGLISE ET DE L'ETAT
    1 TRAITRES
    2 ANTONELLI, GIACOMO
    2 BANNEVILLE, GASTON MORIN DE
    2 DARBOY, GEORGES
    2 DARU, NAPOLEON
    2 DREUX-BREZE, PIERRE-SIMON DE
    2 DUPANLOUP, FELIX
    2 FALLOUX, FREDERIC DE
    2 FILIPPI, LUIGI
    2 JUDAS
    2 MARET, HENRI
    2 NAPOLEON III
    2 OLLIVIER, EMILE
    2 PIE IX
    2 PIE, LOUIS
    3 AQUILA
    3 MOULINS
    3 ORLEANS
    3 PARIS
    3 POITIERS
    3 ROME, VATICAN
    3 ROME, VILLA GRAZZIOLI
  • A MONSIEUR X.
  • INCONNUS
  • Rome, 14 avril 1870.
  • 14 apr 1870
  • Rome
La lettre

Les nouvelles du concile prennent un caractère de plus en plus sérieux. On veut que se réalise le mot du cardinal Antonelli: « Le concile, à proprement parler, ne commencera qu’à Pâques » La session, où les premiers canons seront formulés, n’aura lieu en effet que le dimanche de Quasimodo. Immédiatement après, si les espérances données par les présidents se réalisent, on prendra le schéma De Summo Pontifice. La majorité commence à s’irriter de tous les égards que l’on a pour une minorité très habile, et qui compte surtout par le bruit qu’elle fait et la peur qu’elle voudrait faire, et le mot de trahison a circulé sur plusieurs lèvres épiscopales. Des évêques ne craignent pas de demander en très haut lieu combien de temps on aura deux Papes, celui du Vatican et celui de la villa Grazioli.

Toutefois, en ce moment, rendons justice à Monseigneur d’Orléans; ce n’est pas chez lui qu’ont lieu les réunions, mais bien chez l’archevêque de Paris. Hier soir, Mercredi Saint, on affirme que cent évêques s’y trouvaient pour aviser aux moyens d’empêcher qu’on ne présentât le schéma sur l’infaillibilité. Ces réunions sont fréquentes, et c’est à la suite de je ne sais quelle décision prise par les prélats gallicans que Monseigneur de Poitiers a été complètement dupe d’une manoeuvre, qui, malgré tout le monde, tournera, je l’espère, au triomphe définitif de la papauté. Voici le fait.

Bien que Mgr Maret affirme, dans son fameux Mémoire, que si le Pape est avec la minorité et s’y obstine, il peut être déposé par la majorité, Messieurs les gallicans soutiennent aujourd’hui qu’il faut l’unanimité morale pour promulguer un canon dogmatique, prétention absurde et contredite par presque tous les conciles généraux, sinon par tous. Or, quelques-uns des présidents du concile se sont laissés bercer de l’espoir bien trompeur que cette unanimité, ils l’obtiendraient par le premier vote général. Pour les entretenir dans cette illusion. Monseigneur de Paris députa vers Monseigneur de Poitiers M. l’abbé de Falloux, pour dire que si le rapport était fait dans des termes très adoucis, on pourrait espérer de l’opposition cette unanimité morale. Monseigneur de Poitiers, malgré son grand talent, peut-être à cause d’un désir excessif de popularité, se laissa aller à des mitigations telles que j’ai vu des évêques de diverses nations plus qu’affligés d’un tel amoindrissement. Pourtant une minorité de 83 sur 598 votants se prononça contre lui. Et dire qu’au moment où il allait prendre la parole, Monseigneur de Paris se serait approché de lui pour renouveler ses promesses! Mais ses dilutions n’avaient pas atteint un degré assez atténué. Malgré les promesses, le soufflet était bel et bien donné. Etait-il mérité?

Quelques prélats sont sortis navrés de cette séance. Faut-il s’en affliger au point que quelques-uns le veulent? Ce n’est point mon avis.

1° L’on a la preuve que l’opposition ne sera satisfaite que quand elle aura foulé aux pieds l’immense majorité.

2° Cette opposition, qui se disait de 140, n’a pas même les 83 voix dont on se vante. En effet, parmi ceux qu’il faut y compter, se trouvaient des Américains très dévoués à l’infaillibilité et d’autres évêques, qui, comme l’évêque d’Aquila(1) ou l’évêque de Moulins, ont voulu montrer un mécontentement d’une tout autre espèce, le mécontentement causé par la faiblesse des présidents.

3° Mais ce qu’il y a de capital, c’est que l’opposition de 83 votants n’empêchera pas les Chapitres acceptés d’être promulgués le dimanche de Quasimodo. Et voici ce qui aura lieu. On aura donné par anticipation la preuve que l’unanimité morale n’est pas nécessaire, et quand viendra la question de l’infaillibilité, l’opposition de Messieurs les gallicans ne fera pas un contraste pénible avec l’unanimité que les premières définitions avaient obtenues. Et c’est ainsi que le Saint-Esprit s’est un peu moqué des calculs de l’opposition, de Monseigneur de Poitiers, et, faut-il le dire? des présidents.

M. de Banneville va avoir, dans quelques heures, une audience du Saint-Père, ce soir probablement. Il s’est fait précéder d’un télégramme, où il annonce l’intention de remettre un Memorandum, où M. Daru dit que si le concile s’obstine à prononcer l’infaillibilité du Pape, il faut s’attendre à la séparation complète de l’Eglise et de l’Etat, à la suppression du budget du clergé, etc.(2) Aujourd’hui, jeudi Saint, cette audience aura lieu probablement à l’heure où Notre-Seigneur fut entouré par ses bourreaux au jardin des Olives. Dieu me préserve de comparer au disciple apostat notre ambassadeur, qui, depuis quelque temps surtout, malgré les difficultés de la situation, montre le plus noble caractère, et dont la position a été un moment ébranlée par sa loyauté même. Mais quels sont les princes des prêtres qui poussent un ministre, peut-être en ce moment tombé, à donner à travers une note diplomatique au Vicaire de Jésus-Christ le baiser de Judas?

Notes et post-scriptum
1. Aloisio Filippi, depuis 1853.
2. Aucune de ces menaces ne figurait dans le *Memorandum* de Daru dont le texte était connu depuis le début d'avril. Ce document renouvelait les représentations faites par la dépêche du 20 février (v. *Lettre* 3904, n.2). M. de Banneville en donna communication au cardinal Antonelli le 15 avril (Vendredi saint) mais les cérémonies de la Semaine sainte et les fêtes pascales retardèrent son audience de Pie IX jusqu'au 22. Entretemps, le 18 avril, Daru, en désaccord avec l'empereur sur l'organisation d'un plébiscite à propos d'un nouveau texte constitutionnel plus libéral, avait démissionné et le premier ministre Ollivier avait aussitôt fait savoir qu'il n'entendait pas s'immiscer dans les affaires du concile. Texte du *Memorandum* dans OLLIVIER, *o.c.*, II, pp. 559-566.