DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 395

31 may 1870 Rome DU_LAC Melchior

L’hérésie commence.

Informations générales
  • DR08_395
  • 4062
  • DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 395
  • Orig.ms. ACR, AN 238; D'A., T.D.39, pp.184-186.
Informations détaillées
  • 1 ACTES PONTIFICAUX
    1 ADVERSAIRES
    1 CALOMNIE
    1 COMPORTEMENT
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 CRITIQUES
    1 DOGME
    1 ERREUR
    1 EVEQUE
    1 FIDELES
    1 FOI
    1 GRAVITE
    1 HERESIE
    1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
    1 LIVRES
    1 MANQUE DE FOI
    1 MENSONGE
    1 POLEMIQUE
    1 PRESSE
    1 PUBLICATIONS
    1 THEOLOGIE
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    2 JANSENIUS
    2 MARET, HENRI
  • M. DU LAC, rédacteur de l'Univers
  • DU_LAC Melchior
  • Rome, 31 mai [18]70.
  • 31 may 1870
  • Rome
La lettre

Mon cher ami,

Permettez-moi de rompre un silence bien long déjà. Je crois devoir remplir un devoir en vous priant de répéter dans les colonnes de l’Univers un cri qui, à Rome, s’échappe de toutes les consciences catholiques, un cri qui déchire le coeur de ceux qui le profèrent, mais qu’il faut bien, malgré soi, prononcer: l’hérésie commence.

L’hérésie commence, et le meilleur moyen de l’étouffer au plus tôt, c’est de signaler son apparition. L’hérésie commence, à en juger par le ton de certaines correspondances, où le concile est traité avec la même désinvolture qu’une assemblée politique. Ces correspondants ont-ils la foi? On peut en douter. L’hérésie commence dans les brochures répandues à profusion, et l’on sait d’où. L’hérésie commence, si certaines lettres ou certains propos attribués par les journaux qui n’ont pas été démentis sont bien des Pères du concile à qui on les prête, et si leurs discours ont été, dans le concile même, ce qu’affirment certains admirateurs, bien coupables s’ils sont exacts dans leur admiration, non moins coupables s’ils manquent d’exactitude dans leurs calomnieux éloges.

L’hérésie commence dans un autre sens. Tout le monde est ici convaincu qu’au point où en sont les choses, il faut une solution. Les agitations de la minorité ne l’empêcheront pas. Il y aura donc une définition. La contradiction de la vérité définie sera l’hérésie. Et qu’on ne dise pas que l’on fait un dogme nouveau. On proclamera la vérité plus explicitement devant une nouvelle erreur, parce que, dit saint Thomas, beaucoup de propositions sont aujourd’hui reconnues hérétiques, qui auparavant n’étaient pas reconnues pour telles, parce qu’on en saisit beaucoup mieux certaines conséquences non apparentes jusque-là. Multa nunc reputantur haeretica, quae prius non reputabantur propter hoc quod nunc magis est manifestum quid ex eis sequatur. (Sum. th., 1a, Q. 33, art. 4).

Les correspondances, les brochures, la conduite de plusieurs ont fait réfléchir et voir la conséquence de certains principes, et l’hérésie est apparue.

Les lenteurs de la discussion ont peut-[être] eu ceci de bon que, d’une part, on a pu juger des vraies dispositions de la minorité par la masse de protestations déposées. De sa part, on a vu l’esprit qui les dictait, la valeur des plaintes dont elles étaient le prétexte. De l’autre côté, la majorité arrivée avec des pensées très paisibles a compris où l’on voulait aller; elle voit plus clairement certaines conséquences et la nécessité d’arrêter à temps les effets de certains principes; elle sent l’urgence de frapper avec vigueur.

Que fera la minorité des évêques devant une condamnation moralement inévitable? Au sein du concile on se soumettra. Mais toutes les intelligences surexcitées par la lecture des pamphlets distribués de très haut se soumettront-elles? Voilà la difficulté. Et sur la conscience de qui retombera la responsabilité de ces surexcitations? Question terrible et que je ne puis résoudre que par ces mots: l’hérésie commence.

Mais lorsque, par impossible, un événement imprévu empêcherait le concile de se prononcer, l’hérésie serait-elle moins frappée? Gardez-vous de le croire. La conscience des évêques de la majorité ne le permettrait pas. Un travail est prêt sur le livre de Mgr Maret, des propositions sont extraites, les notes théologiques sont infligées, l’hérésie du livre est établie: elle sera dénoncée à la face de l’Eglise, comme elle le fut à propos du livre de Jansénius. La marche du procès sera plus lente, mais la condamnation aura lieu. Je sais de la manière la plus positive [qu’il] a été loyalement prévenu.

Ne croyez pas que je parle à la légère. Peut-être, au point où en sont les débats du concile, les évêques sont-ils obligés au silence. Cela se comprend à merveille. Mais il faut pourtant que les fidèles soient avertis. Un prêtre, qui livre son nom, semble avoir le droit de remplir ce rude devoir, et, en le remplissant, j’espère n’être pas démenti. [A moi], après tout, si je me suis trompé, à demander pardon en public. En attendant, ma conscience sera déchargée d’un poids immense, si vous me laissez répéter, aussi loin que votre journal est répandu, l’hérésie commence.

Les fidèles seront préparés, et l’acte de soumission à la future définition, très douloureux pour plusieurs, sera moins pénible, parce qu’il sera prévu. Quant à ceux qui s’obstineront, ils ne pourront se plaindre de n’avoir pas été prévenus.

J’ai une prière très instante à vous faire. Le Bref(1), si consolant et si plein d’éloges adressé à l’Univers, justifie votre passé et les reproches qu’on a pu vous faire. Mais pour l’avenir, à cause de la très grande gravité des circonstances, de grâce, suspendez toute réflexion pénible envers les adversaires de l’infaillibilité. Le temps de la discussion, quoi qu’on dise, est passé. L’arrêt va être porté. Qu’aucun mauvais sentiment occasionné par ceux qui croient d’avance n’empêche la soumission de ceux que la sentence pourrait frapper, et que rien n’entrave chez eux un acte de foi qui démentirait -et c’est mon voeu le plus ardent- mes sombres prédictions sur le commencement de l’hérésie.

Tout à vous, mon cher ami.

Emmanuel D'ALZON|des Augustins de l'Assomption.
Notes et post-scriptum
1. Du 19 mai.