DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 397

31 may 1870 Rome KELLER Emile

L’hérésie commence.

Informations générales
  • DR08_397
  • 4063
  • DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 397
  • Brouillon autographe ACR, AO 58; D'A., T.D.39, n.2, pp.294-296.
Informations détaillées
  • 1 ADVERSAIRES
    1 APATHIE SPIRITUELLE
    1 CALOMNIE
    1 COLERE
    1 COMPORTEMENT
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 CRAINTE
    1 CRITIQUES
    1 DOGME
    1 EGLISE
    1 ENSEIGNEMENT DE LA VERITE
    1 ERREUR
    1 EVEQUE
    1 FRANCHISE
    1 GALLICANISME
    1 GRAVITE
    1 HERESIE
    1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
    1 JANSENISME
    1 LIBERALISME CATHOLIQUE
    1 LIBERTE
    1 LIVRES
    1 MANQUE DE FOI
    1 MENSONGE
    1 PAIX DE L'AME
    1 POLEMIQUE
    1 PRESSE
    1 PROFESSEURS D'UNIVERSITE
    1 PROVIDENCE
    1 PUBLICATIONS
    1 THEOLOGIE
    1 THOMAS D'AQUIN
    2 GRATRY, ALPHONSE
    2 LOYSON, HYACINTHE
    2 MARET, HENRI
    2 RAESS, ANDRE
    3 ALLEMAGNE
    3 AMERIQUE
    3 HONGRIE
    3 STRASBOURG
  • A MONSIEUR EMILE KELLER
  • KELLER Emile
  • Rome, 31 mai [18]70.
  • 31 may 1870
  • Rome
La lettre

A mesure que la discussion conciliaire sur l’infaillibilité se développe, on sent ici un cri sortir de toutes les consciences catholiques, cri qui déchire le coeur de ceux qui le profèrent, mais qu’il serait, je crois, très dangereux, d’étouffer: l’hérésie commence.

L’hérésie commence et le meilleur moyen d’arrêter ses progrès, c’est de la signaler dès son apparition.

L’hérésie commence, à en juger par le ton de certaines correspondances où le concile est traité avec la même désinvolture qu’une assemblée politique. Ceux qui composent ces comptes rendus ont-ils la foi? peut-être, mais à coup sûr leurs appréciations en sont complètement dépourvues.

L’hérésie commence dans certaines brochures répandues à profusion, et malheureusement on sait trop d’où elles sortent.

L’hérésie commence si certaines lettres, certains propos attribués par les journaux qui n’ont pas été démentis, à quelques évêques sont bien des Pères du concile à qui on les prête; et si leurs discours(1) ont été dans le concile même ce qu’affirment certains admirateurs, bien coupables, s’ils sont exacts dans leur admiration, non moins coupables s’ils manquent d’exactitude dans leurs calomnieux éloges.

L’hérésie commence dans un autre sens. Tout le monde est ici convaincu qu’au point où en sont les choses une solution est indispensable. Les agitations de la minorité ne l’empêcheront pas. Il y aura donc une définition. La contradiction de la vérité définie serait l’hérésie. Et que l’on ne dise pas que l’on fait un dogme nouveau. On proclamera plus explicitement la vérité devant une(2) nouvelle erreur. C’est l’erreur et non la vérité qui est nouvelle. Saint Thomas nous dit que beaucoup de propositions sont aujourd’hui reconnues hérétiques, qui auparavant ne l’étaient pas, parce qu’on saisit beaucoup mieux certaines de leurs conséquences non apparentes jusque-là: « Multa (remarquez multa) nunc reputantur haeretica quae prius non reputabantur, propter quod magis est manifestum quid ex eis sequatur »(Pars Ia, Q. 33, art. 4). On découvre aujourd’hui (ce qu’on n’apercevait pas aussi bien autrefois)(3), les conséquences du gallicanisme, et l’on sent la nécessité de le déclarer hérétique.

Derrière les correspondances, les brochures, la conduite de plusieurs on voit l’hérésie apparaître et l’on comprend combien il importe de la condamner.

Les lenteurs de la discussion ont peut-être eu ceci de bon que, d’une part, on a pu juger des dispositions de la minorité, dont bien des membres cherchent à se rapprocher du grand nombre, tandis que quelques autres, bien rares, semblent provoquer la foudre; d’autre part, les mécontentements si souvent manifestés par la majorité contre la lenteur et même l’inertie des légats ont prouvé que si quelqu’un a le droit de se plaindre, ce n’est pas la minorité. Les présidents ont-ils été débordés? Avaient-ils le sens d’une grande assemblée telle que le concile? L’histoire le dira un jour. Ce qui est sûr, c’est que la majorité a toujours obéi, quoiqu’on murmurât de la perte de temps, tandis que la minorité peut se rendre le témoignage de n’avoir jamais été satisfaite. Allait-on lentement? Que de temps perdu! Allait-on vite? On n’a pas le temps de se préparer, criaient les journaux du petit nombre. Que faire pour leur être agréable? Ah! ne pas aborder la question de l’infaillibilité. Mais sur ce point il n’y avait plus(4) moyen de céder, l’hérésie naissante forçait à frapper un grand coup.

Mais qu’on y fasse attention. Si la minorité se dit mécontente, la majorité qui, pour d’autres motifs, ne l’est pas moins, peut agir extraconciliairement. L’évêque de Strasbourg a condamné le P. Gratry. Je sais que si la condamnation du gallicanisme n’est pas tout ce que la majorité désire, un certain nombre d’évêques pourront fort bien condamner le livre de Mgr Maret. Les propositions du livre sont extraites, les notes théologiques infligées. Le Jansénisme ne fut pas condamné autrement; seulement à une condamnation générale on joindra une condamnation personnelle absolue, mais qui ne sera pas séparée. Si la sanction du concile est trouvée par l’expérience insuffisante, la condamnation du fameux mémoire pour la paix donnera tout ce que la foi peut réclamer. Du reste, la minorité a été loyalement prévenue.

Ne croyez pas que je parle à la légère, et c’est pour cela que je vous livre mon nom, heureux de pouvoir me rétracter, si je me trompe. A dire vrai, je crois que le temps de la discussion en dehors du concile est passé. A quoi bon, jusqu’au moment solennel où l’Eglise rendra son jugement aigrir les esprits? Si, d’un côté, l’hérésie commence, de l’autre, l’apaisement se fait. Les lettres de Hongrie, d’Allemagne, d’Amérique attestent que les terreurs sur beaucoup de points étaient vaines. L’hérésie cette fois, ne sera pas populaire. Quelques catholiques soi-disant libéraux, quelques journalistes, quelques professeurs d’université…, car, à moins d’un miracle, les hérétiques y seront. Quel trait de Providence que l’ex-Père Hyacinthe, jetant son froc aux orties, ait révélé le secret de la faction, en annonçant que le concile n’en serait pas un par défaut de liberté: l’hérésie conspirait d’avance contre le talon qui devait lui écraser la tête.

E. D'ALZON|des Augustins de l'Assomption.
Notes et post-scriptum
1. Transcription des T.D. : *tous* leurs discours.
2. Transcription des T.D.: *la* nouvelle erreur.
3. Les parenthèses n'ont pas été reproduites dans les T.D.
4. Transcription des T.D.: *pas* moyen.