DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 409

6 jun 1870 Rome PRESSE_GAZETTE_DU_MIDI

La discussion générale est close – Elle ne fut pas trop rapide et fut libre – Prier pour éviter la séparation – Strossmayer et Maret.

Informations générales
  • DR08_409
  • 4075
  • DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 409
  • Extrait de la *Gazette du Midi* du 19 juin 1870; D'A., T.D.40, n.5, pp.321-324.
Informations détaillées
  • 1 CARDINAL
    1 CLERGE ROMAIN
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 CONCILE OECUMENIQUE
    1 CONGREGATIONS ROMAINES
    1 DEFENSE DE L'EGLISE
    1 DIVINITE DE JESUS-CHRIST
    1 ELECTION
    1 EVEQUE
    1 FILS DE L'EGLISE
    1 GALLICANISME
    1 HERESIE
    1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
    1 LIBERTE
    1 POLEMIQUE
    1 PRESSE
    1 PRIERE DE DEMANDE
    1 PRIMAUTE DU PAPE
    1 PUBLICATIONS
    1 REVOLTE
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    2 ADAM, KARL
    2 AUBERT, ROGER
    2 BANNEVILLE, GASTON MORIN DE
    2 BILIO, LUIGI
    2 BONNECHOSE, HENRI-M.-GASTON DE
    2 LAVIGERIE, CHARLES
    2 MARET, HENRI
    2 PIE IX
    2 PIE, LOUIS
    2 PIERRE, SAINT
    2 ROBIANO, ALBERT DE
    2 SIMON, ALOIS
    2 STROSSMAYER, JOSEPH-GEORG
  • A M. LE DIRECTEUR DE LA GAZETTE DU MIDI
  • PRESSE_GAZETTE_DU_MIDI
  • Rome, 6 juin [1870].
  • 6 jun 1870
  • Rome
La lettre

La clôture générale de la discussion sur la constitution de la primauté et de l’infaillibilité a été prononcée vendredi dernier. Le surlendemain, il n’y a pas eu de séance. On va commencer la discussion particulière. On voudrait avoir fini pour la Saint-Pierre, tel est le voeu du Pape et de la majorité. C’est l’effroi de la minorité. La discussion n’a pas été, certes, trop vite: cinquante discours pour une controverse qui dure depuis deux cents ans. C’est plus qu’il ne faut, à coup sûr. Or, la discussion générale close, que restera- t-il des luttes de détails? Mais, vous le savez bien, on votera les principes. Ce qu’on obtiendra sera une condamnation plus formelle, plus explicite, plus précautionnée contre toutes les échappatoires que la minorité semble prendre plaisir à signaler elle-même.

Et qu’on ne vienne plus nous dire, comme dernière ressource, que le concile n’était pas libre. Voyons, qui lui donnait ces chaînes? Etait-ce le Pape? Mais tous les évêques de la majorité sont là pour attester qu’il a fallu lui faire violence pour introduire la question de l’infaillibilité, non qu’il n’en désirât pas la définition, mais parce qu’il était résolu de ne pas en prendre l’initiative. Ce n’étaient pas les cardinaux. Selon certains journaux, conseillés par Pie IX sur le concile, ils ne l’auraient trouvé ni opportun ni nécessaire. Le clergé de la ville? Mais les curés de Rome n’ont pas vu la nécessité de faire une adresse au Pape, comme tant de prêtres du monde catholique. Il est vrai qu’à Rome l’infaillibilité est tellement passée à l’état de croyance qu’on ne comprend pas, à cause de cela même, la nécessité d’intervenir. Ce n’étaient pas, non plus, les Commissions préparatoires. Celle de la foi n’a été saisie de ce grave sujet que tout au dernier moment, et, quand j’arrivai à Rome, plusieurs consulteurs me dirent que l’infaillibilité ne serait, sans doute, pas mise en discussion. Mais la fameuse Curie romaine, dont on parle tant! Elle se compose du Pape, des cardinaux, du clergé, des Congrégations. Or, ni les Congrégations, ni le clergé, ni les cardinaux, ni le Pape lui-même n’étaient assez enthousiasmés pour entreprendre cette grosse affaire.

Qui donc y a poussé? Qui donc a pesé sur le concile? Il faut le reconnaître, l’immense majorité a pesé sur le Pape, sur les cardinaux, sur les présidents en particulier. Mais quoi! ces évêques arrivés des quatre vents s’étaient-ils entendus? Est-ce à eux qu’il faut reprocher les brochures répandues à travers le monde, les courses en France et en Allemagne, les correspondances avec l’Orient? Cinq cents évêques, dès les premiers jours, ont signé la demande d’introduction de l’infaillibilité pontificale. La majorité du concile prive la minorité de sa liberté, comme toute assemblée délibérante prive de leur liberté ceux de ses membres qui se séparent du grand nombre.

Quoi qu’il en soit, rappelons-nous que les gallicans ont trois semaines pour se soumettre à une décision moralement indubitable. Les évêques qui furent ariens, macédoniens, nestoriens, eutychiens(1), étaient catholiques avant les conciles de Nicée, de Constantinople, d’Ephèse, de Chalcédoine; après, ils furent hérétiques. Les gallicans sont encore catholiques. S’ils continuaient à être gallicans, ils se prépareraient à être hérétiques. Eux aussi tomberont, sous prétexte que le concile n’a pas été libre, s’ils refusent de se soumettre. Espérons qu’aucun ne recourra à ce subterfuge connu de tous les temps et de tous les tribunaux. Il est certain que leurs raisons ne seraient pas plus acceptées du monde catholique que ne le furent celles des révoltés des siècles précédents. Mais les vrais fils de l’Eglise doivent redoubler leurs prières, pour que la séparation ne soit pas consommée.

Un détail sur la séance où la clôture a été votée(2). Cette clôture a été demandée depuis longtemps, mais les présidents avaient déclaré qu’elle ne serait mise aux voix qu’après les discours de Mgr Strossmayer(3) et de Mgr Maret. Je crois pouvoir dire que Mgr Strossmayer s’est honoré en commençant son discours par des excuses sur la vivacité de ses paroles précédentes, et la modération qu’il a observée dans les formes, cette fois, a été du meilleur effet(4). Quant à Mgr Maret, il dut être interrompu à cause de ses doctrines. Comme il est sourd, le cardinal Bilio parlait d’un côté, lui du sien. Mgr Maret descendit de l’ambon dans une solitude à peu près absolue. Les présidents se sentent plus forts de l’appui moral de l’assemblée. Quand Monseigneur de Sura fut rappelé à l’ordre, la voix du légat fut couverte d’applaudissements, ce qui n’avait pas eu lieu jusqu’alors.

Je vous demande la permission de signer ces lignes, écrites trop rapidement peut-être; mais assez d’anonymes attaquent l’Eglise, pour que ce me soit un honneur de la défendre à visage découvert.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Rappelons que les ariens niaient la divinité du Christ et les macédoniens celle du Saint-Esprit, que les nestoriens professaient qu'il y a deux personnes et les eutychiens une seule nature en Jésus-Christ. Ils furent condamnés respectivement à Nicée (325), Constantinople I (381), Ephèse (431) et Chalcédoine (451).
2. Par assis et levé, le 3 juin. Sur cette séance et le discours de Mgr Maret : *Lettre* 4072.
3. Mgr Strossmayer était intervenu le 2 juin à la 63e congrégation générale.
4. Dans une lettre à sa soeur, le 10 juin 1870, le comte Albert de Robiano constate une certaine trêve dans la lutte entre partisans et adversaires de l'infaillibilité. L'ambassadeur de France avait fait la même constatation. M. Aubert (dans *Mélanges Karl Adam*, p. 255, Dusseldorf, 1951) attribue cette modération à l'action d'un tiers-parti qui essayait de concilier infaillibilistes et anti-infaillibilistes. Ce parti aurait compté parmi ses membres le cardinal de Bonnechose et Mgr Lavigerie (A. SIMON, *Catholicisme et politique, p. 110, Wetteren, 1955). Le P. d'Alzon, lui, ne parle pas de conciliation, qu'il considère même comme impossible (*Lettre* 4069), et s'il salue ici la modération de Strossmayer, il n'en tire aucune conclusion générale.
Deux mois plus tôt, le P. d'Alzon avait fait allusion à un tiers-parti (*Lettre* 3983). A ce moment il était surtout préoccupé de l'organisation de la majorité et il considérait avec méfiance les efforts de l'évêque de Poitiers, par exemple, pour rapprocher les deux partis (*Lettre* 3991).