DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 424

12 jun 1870 Rome PRESSE_GAZETTE_DU_MIDI

La proclamation de l’infaillibilité approche – Les effets de l’opposition – La soumission sera-t-elle unanime?

Informations générales
  • DR08_424
  • 4091
  • DERAEDT, Lettres, vol.8 , p. 424
  • Extrait de la *Gazette du Midi* du 19 juin 1870; D'A., T.D.40, n.6, pp.324-326; *L'Univers*, 11 juillet 1870.
Informations détaillées
  • 1 ADVERSAIRES
    1 ALLEMANDS
    1 CATHOLIQUE
    1 CLERGE
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 CONCORDATS
    1 CRITIQUES
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 ENSEIGNEMENT DE LA VERITE
    1 ERREUR
    1 EVEQUE
    1 FAUSSES DOCTRINES
    1 FIDELES
    1 GALLICANISME
    1 GOUVERNEMENTS ADVERSAIRES
    1 HERESIE
    1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
    1 LIBERTE
    1 MAL MORAL
    1 NOMINATIONS
    1 PAPE
    1 PATIENCE
    1 PENSEE
    1 PEUPLE
    1 PRESSE
    1 REVOLUTION ADVERSAIRE
    1 SEPARATION DE L'EGLISE ET DE L'ETAT
    1 SERVICE DE L'EGLISE
    1 THEOLOGIENS
    1 UNIVERSITES D'ETAT
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    2 GERIN, ABBE
    2 MANSI, GIOVANNI-DOMENICO
    2 MATEU, ANDRE
    2 PETIT, LOUIS
    2 PIE IX
    2 PIERRE, SAINT
    2 VAILHE, SIMEON
    2 VIVIE, EUGENE DE
    3 ALLEMAGNE
    3 AMERIQUE
    3 FRANCE
    3 ROME
  • A M. LE DIRECTEUR DE LA GAZETTE DU MIDI
  • PRESSE_GAZETTE_DU_MIDI
  • Rome, 12 juin [1870].
  • 12 jun 1870
  • Rome
La lettre

Le temps approche, lentement pour beaucoup, trop vite pour quelques-uns, où l’infaillibilité pontificale sera proclamée. On présume que si la Saint-Pierre n’est pas choisie pour cet acte solennel, il aura lieu dans l’octave de la fête du prince des Apôtres. Ces retards, provoqués par tous les moyens qu’a pu inventer l’opposition, auront très certainement des résultats contraires à ceux qu’elle avait espérés.

1° Ils serviront à constater la patience des présidents, patience si grande que bien souvent elle a été très sévèrement jugée par la majorité. Je n’examine pas l’exactitude des reproches, mais puisqu’ils ont été faits, ils prouvent que la pression, s’il y avait pression, ne venait pas d’en-haut, et que ceux qui dirigeaient les débats ont affronté une certaine impopularité pour respecter la liberté des opposants. Les plaintes de ceux-ci se trouvent avoir tout juste la valeur des plaintes des gens qui cherchent tous les mauvais prétextes pour retarder et invalider leur condamnation. Cela se voit ailleurs qu’au concile.

2° Un autre effet bien autrement important, c’est la connaissance plus claire du mal. On ne le croyait pas si profond, on ne croyait pas le concile aussi nécessaire. On sait à quoi s’en tenir désormais sur certaines protestations d’amour et de dévouement. On comprend enfin où sont les vrais amis, où sont les adversaires. La découverte est cruelle, douloureuse, mais elle est du plus haut prix.

3° Rome, en même temps qu’elle plonge les regards dans les profondeurs du mal, en prépare déjà le remède. Ainsi l’on comprend que le Pape, proclamé docteur infaillible, doit remplir de nouveaux devoirs relatifs non seulement à l’enseignement des fidèles, mais des jeunes générations sacerdotales: question immense et que les oppositions gallicanes rendent plus actuelle, plus opportune, plus urgente que jamais. Qui l’aura voulu?

4° Tous les discours prononcés dans la salle conciliaire sont conservés aux Archives(1). Ils serviront de deux façons: d’abord, à demander plus tard, dans telles circonstances prévues, des rétractations ou, tout au moins, des explications aux orateurs qui, ayant prononcé ces discours, auraient émis de plus ou moins graves erreurs et, à ce point de vue, on ne comprend pas que la minorité n’ait pas pressenti quel avantage elle aurait eu à se taire; ensuite, ces discours sont des pièces du plus haut prix pour l’avenir, et Nos Seigneurs de l’opposition ne se doutent pas de quelle utilité seront les objections présentées par eux. Pour trouver le vrai sens de certaines définitions, quand des théologiens plus ou moins césariens voudront en atténuer la portée, on leur citera les commentaires anticipés de leurs maîtres et on leur dira: « Le concile se rendait parfaitement compte de la signification donnée à certaines formules, à certaines expressions. Voyez plutôt comme elles ont été adoptées, malgré tous les inconvénients que la minorité y signalait, et où la majorité trouvait, au contraire, une avantageuse vérité. Les discours des évêques opposants sont la plus exacte contre-épreuve de ce que le concile a voulu dire, et qui était juste le contraire des opinions renfermées dans ces discours ».

En sorte que, si l’on souffre de voir se prolonger des débats, inutiles en apparence en face d’une inévitable définition, cependant on voit avec quelque joie les fruits portés par ces retards, puisqu’ils fournissent à l’opposition les moyens de préparer elle-même, et par avance, la réfutation de ses propres doctrines.

Maintenant, que dire des gens qui vont de porte en porte conjurer que la question de l’infaillibilité soit renvoyée au mois d’octobre, lorsque les renseignements les plus certains donnent la preuve qu’au mois d’octobre, (peut-être avant), un mouvement révolutionnaire sera tenté contre Rome?

La définition prononcée, la soumission sera-t-elle unanime? Je crois à la résistance de quelques Universités allemandes, de quelques journalistes, de certains catholiques de nom. De la part de quelques évêques étrangers? Le respect me ferme la bouche. Mais tenez pour sûr qu’après des études consciencieuses on n’a aucune crainte grave ni pour l’Allemagne, ni pour l’Amérique. Vous connaissez la France aussi bien que moi.

Les maux actuels, les erreurs du jour sont antipathiques avec une hérésie redoutable. Ou l’on croit, et l’on est catholique; ou l’on ne croit pas, et l’on cesse d’être chrétien. Voilà pour l’ensemble. Mais il peut se former une hérésie mesquine, taquine, vexatoire. Qui sait si, supposé qu’elle fût protégée un certain temps, cette hérésie n’amènerait pas ce que Rome attend, sans le redouter, sans vouloir rien faire pour en activer l’accomplissement: la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la liberté des nominations épiscopales, la fin de concordats devenus oppressifs, la possibilité pour le Souverain Pontife, en face de tous les gouvernements qui le trahissent, de s’appuyer plus fortement sur les peuples, pour préparer, sur les ruines des vieilles sociétés qui tombent après avoir déserté le droit, une nouvelle société? Je sais que plus d’une parole en ce sens a été depuis six mois prononcée au Vatican (2).

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Ces discours et les autres documents relatifs au concile ont fourni près de 3000 pages aux cinq volumes de l'*Amplissima Collectio* de MANSI. Leur publication est due à Mgr Louis Petit A.A. Voir S.VAILHE, *Mgr Louis Petit, Archevêque d'Athènes (1868-1927)*, pp. 80-90, Paris (1944).
2. Cette note, lue dans l'*Univers*, fut à l'origine d'une correspondance au sujet du régime concordataire, entre l'abbé Eugène de Vivie, du diocèse d'Agen, et le P. d'Alzon. Les lettres du P.d'Alzon ne nous sont pas connues, mais celles de l'abbé de Vivie, conservées aux ACR, ont été publiées par M. André MATEU dans un article qui les met dans le contexte de la longue vacance du siège épiscopal d'Agen (1867-1871), par suite de la nomination de l'abbé Gérin à ce siège par le gouvernement: *L'affaire de l'abbé Gérin, évêque nommé d'Agen, ou les avatars du Concordat de 1801* dans *Revue de l'Agenais*, juillet-septembre 2000, n°3, p.257-267 (note ne figurant pas dans l'édition, ajoutée en novembre 2000, d'après les éléments fournis par J.-P. Périer-Muzet).