DERAEDT, Lettres, vol.9 , p. 74

27 may 1871 Lavagnac BAILLY_VINCENT de Paul aa

Une bonne oeuvre et une bonne affaire – Vous, P. Vincent de Paul, fils de M. Bailly… – Votre Amérique, c’est Paris.

Informations générales
  • DR09_074
  • 4302
  • DERAEDT, Lettres, vol.9 , p. 74
  • Orig.ms. ACR, AG 287; D'A., T.D.27, n.282, pp.236-237.
Informations détaillées
  • 1 APOSTOLAT DE LA CHARITE
    1 COLONIES AGRICOLES
    1 CONFESSION SACRAMENTELLE
    1 IMITATION DES SAINTS
    1 ORPHELINATS
    1 ORPHELINS
    1 PENSIONS
    1 PERSEVERANCE APOSTOLIQUE
    1 PEUPLE
    1 PREDICATION
    1 REVOLUTIONNAIRES ADVERSAIRES
    1 SALUT DES AMES
    2 BAILLY, EMMANUEL SENIOR
    2 DUPRE, GUY
    2 FEVRIER, ALFRED
    2 FRANCK, MARIA-FRANCESCA
    2 FRANCOIS, CHARLES
    2 FREDERIC OZANAM, BIENHEUREUX
    2 PEPIN, ADRIEN
    2 PHILIPPE NERI, SAINT
    2 PICARD, FRANCOIS
    2 ROUSSEL, LOUIS
    2 SEVE, ANDRE
    3 AMERIQUE
    3 MONTMAU
    3 NIMES
    3 PARIS
    3 ROME, SAINT-PAUL-TROIS-FONTAINES ABBAYE
    3 SORRENTE
    3 VERSAILLES
  • AU PERE VINCENT DE PAUL BAILLY
  • BAILLY_VINCENT de Paul aa
  • Lavagnac, 27 mai [18]71.
  • 27 may 1871
  • Lavagnac
La lettre

Mon cher ami,

Vous êtes quelque part, n’est-ce pas? Je vous écris à Versailles, mais si vous êtes à Paris, évidemment on pourra sans trop d’effort vous faire parvenir cette lettre. C’est pourquoi je vous écris à Versailles(1).

Premièrement, pour vous dire que si l’on veut me donner 30 orphelins pour commencer, je les prends, pourvu que l’on donne jusqu’à 15 ans les 300 francs, dont m’avait parlé Mlle Franck. Il me semble que l’on peut faire sans trop de peine une bonne oeuvre et une bonne affaire. Voici pourquoi: Frère Charles a été chez M. Roussel et sait mener les enfants. Il les a fait travailler, il les a fait aider à bâtir, à cultiver la terre. Avec cela il me semble que l’on peut obtenir de bons résultats. J’ai parcouru hier Montmau, j’ai vu qu’il y avait encore bien du terrain [à] défricher, de quoi augmenter les revenus d’un tiers. Eh bien, peu à peu, ces orphelins ne coûtant presque rien aideront à défricher, et si plus tard ils mangent ce qu’ils auront défriché, ce sera une bonne oeuvre, sans bénéfice mais aussi sans perte. Puis, la main-d’oeuvre devient exorbitante dans ces pays-ci. Par conséquent, on ne perd rien à prendre des ouvriers du dehors.

Je voudrais une moyenne de 10 ans. Par conséquent, j’en prendrai quelques-uns de 8 ans, si l’on m’en donne quelques-uns de 12. On peut les envoyer quand on voudra, en me prévenant huit jours à l’avance à Nîmes, où je vais retourner.

Secondement, il me semble que vous devez vous, Père V[incent] de P[aul], fils de M. Bailly, fondateur des Conférences(2), vous rendre compte de ce que vous avez à faire en face de toutes les horreurs commises par les révolutionnaires. Laissez les chefs. Ne croyez- vous pas que l’on peut s’occuper du peuple? Voyez donc. J’aurais bonne envie de vous dire, comme l’abbé de Saint-Paul-Trois-Fontaines à Saint Philippe de Néri: « Vous avez une Amérique à convertir ». Pour vous, c’est Paris. Evidemment, les relations formées pendant le siège par le P. Picard avec un certain nombre de prêtres doivent vous mettre à même d’en grouper autour de vous. Vous avez un bien infini à opérer. Vous aurez peut-être, au commencement des rebuts, c’est tout simple; mais avec un peu de persévérance on ne sait pas le bien que vous ferez. Vous prêcherez, vous confesserez, vous serez original, très original, un immense original. Vous serez le saint Philippe de Néri de Paris. On m’a accusé de vouloir singer ce bon saint; je n’en étais pas digne. Vous, vous l’imiterez; vous en serez la copie intelligente. Cela ne vous va-t-il pas comme un gant(3)?

Dites au Père Picard que M. Février m’a écrit de Sorrente pour avoir de ses nouvelles, et que j’ai répondu quand j’ai su qu’il n’était pas mort. Adieu, et bien tendrement vôtre.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
Dites à Bernard que je l'aime prodigieusement.1. Le P. Bailly est rentré de Versailles à Paris le 26 ou le 27.
2. Emmanuel Bailly (1794-1861) fonda en 1833 avec un groupe d'étudiants les Conférences de Saint-Vincent de Paul. De nombreux documents hérités de la famille et conservés aux ACR montrent que pendant plus de vingt ans ce titre lui fut attribué sans contestation, avant que certaines circonstances, notamment les malheurs financiers de cet homme de bien, amenassent à reporter ce titre sur le nom d'Ozanam, un des étudiants promoteurs de l'oeuvre, devenu le plus actif et le plus illustre de ses animateurs (note de Paul CASTEL, pseudonyme d'Adrien Pepin, dans *Le P. Fr. Picard et le P. V. de P. Bailly dans les luttes de presse*, p.533, *Pro manuscripto*, Rome, 1962).
3. Voilà un paragraphe qui ne manque pas de souffle et où l'apôtre se révèle tel qu'il est. - On a pu parler d'un véritable "élan vers le peuple" chez le P. d'Alzon à partir de 1870. L'expression est de Guy DUPRE dans sa thèse *Formation et rayonnement d'une personnalité catholique au XIXe siècle : le P. Emmanuel d'Alzon*, Aix-en-Provence, 1971. Le P. André SEVE, *Ma vie c'est le Christ. Emmanuel d'Alzon*, pp. 168-172, Centurion, 1980, consacre quelques pages très lucides au "tournant vers le peuple" du P. d'Alzon qu'il situe en 1868. Il nous semble que ce tournant est perceptible dès 1864-1865, époque où le socialisme commença à s'affirmer en France.