DERAEDT, Lettres, vol.9 , p. 204

12 nov 1871 Le Vigan CORRENSON_MERE Emmanuel-Marie

Il y a plusieurs sortes de saintes – N.-S. vous dit : « Rien que moi » – Marie Rogier.

Informations générales
  • DR09_204
  • 4436
  • DERAEDT, Lettres, vol.9 , p. 204
  • Orig.ms. AC O.A.; Photoc. ACR, AH 419; D'A., T.D.30, n.372, pp.194-196; QUENARD, pp.212-213.
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 ANGOISSE
    1 EPOUSES DU CHRIST
    1 EPREUVES
    1 GUERISON
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 PASSION DE JESUS-CHRIST
    1 PUBLICATIONS
    1 RENONCEMENT
    1 SAINTS
    1 SUCCESSIONS
    1 TRISTESSE
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    1 VOIE UNITIVE
    1 VOLONTE DE DIEU
    2 BAILLY, EMMANUEL
    2 BEAUCOURT, GASTON DU FRESNE DE
    2 ROGIER, MARIE
  • A LA MERE EMMANUEL-MARIE CORRENSON
  • CORRENSON_MERE Emmanuel-Marie
  • Le Vigan, 12 nov[embre 18]71.
  • 12 nov 1871
  • Le Vigan
La lettre

Ma bien chère Enfant,

Votre lettre, qui vient de m’arriver, me semble un cri de détresse qui me va directement au coeur. D’abord j’ai la ferme conviction que vous guérirez, ensuite, je suis encore plus persuadé que Dieu vous place dans la voie que doivent suivre les saints. Voulez-vous être une sainte? Il y en a de plusieurs sortes. Les vraies sont celles que Dieu dépouille de tout, qu’il réduit pour ainsi dire au néant. Dans cet état elles ne savent absolument plus où elles en sont, où elles doivent s’appuyer; les créatures semblent les fuir. Dieu pour un temps se retire. Elles éprouvent d’inexprimables angoisses; elles ne trouvent en elles que déchirements, que blessures saignantes; elles n’y voient pour ainsi dire plus, et, un jour, il leur semble entendre une voix qui leur dit: « Veux-tu m’appartenir? Veux-tu être mienne très uniquement, dans la séparation du monde et de tout? Veux-tu entrer dans une vie, où il n’y aura que moi et toi? » Cette question remplit l’âme d’amertume, parce qu’elle dit à Notre-Seigneur: « Mon Dieu, je veux bien vous aimer, mais pas seulement vous. Or, il y a un moment où Notre-Seigneur dit à une âme: « Non, rien que moi. »

Il me semble, ma fille bien-aimée, que vous arrivez à cet état, et il est cruel. C’est quelque chose de ce qui se passait en N.-S., quand, la veille de sa Passion, il disait à ses disciples: « Mon coeur est triste à en mourir ». Eh! oui, pauvre petite Marie, votre âme se dispose à être triste de la tristesse de Notre-Seigneur, et c’est un très très grand bien dans une immense douleur. Si vous comprenez bien ce que je vous dis là, parlez-m’en; car si vous vous reconnaissez ou à peu près dans cette peinture, ce sera une preuve et que votre état m’est très clair et que vous en tirerez un très grand profit, pourvu que vous vous abandonniez avec tous les effrois et toutes les terreurs de la pauvre nature à l’abîme de souffrances, au fond duquel vous comprendrez ce que c’est qu’être véritablement l’épouse d’un Dieu.

Je ne sais pourquoi je ne vous ai pas assez parlé ce langage, ma fille, mais je craindrais de vous laisser perdre votre temps, si je ne vous montrais pas ce que Dieu me semble vous demander. Vous me répondrez bientôt, n’est-ce pas? et je saurai si je dois continuer ou m’arrêter; car si vous ne vous sentez pas encore capable de comprendre ce rude langage, il est inutile de vous le tenir. Pourtant le ton de votre lettre me semble indiquer que c’est bien là ce qui vous convient.

La pauvre Marie Rogier est bien à plaindre. Je ne crois pas que son oncle lui refuse la permission, mais il ne veut pas dire ce qu’il compte un jour lui laisser, si elle se faisait religieuse. Elle n’aurait probablement rien de lui. Avez-vous des nouvelles de vos voyageuses? Mercredi, un Viganais viendra prendre les commissions du P. Emmanuel pour moi. Priez celui-ci de m’envoyer un paquet d’imprimés envoyé par M. de Beaucourt.

Adieu, bien chère enfant. Je ne puis vous dire à quel point je vous suis très tendrement attaché.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum