DERAEDT, Lettres, vol.10 , p. 283

7 aug 1874 Bétharram RA

Des diablotins déguisés en filles de l’Assomption – En pénitence pour mes forfaits, je n’irai pas vous voir aux Eaux-Bonnes.

Informations générales
  • DR10_283
  • 5073
  • DERAEDT, Lettres, vol.10 , p. 283
  • Orig.ms. AC R.A.; D'A., T.D.35, n.13, pp.200-201.
Informations détaillées
  • 1 CURES D'EAUX
    1 PENITENCES
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 RETRAITE SPIRITUELLE
    1 SYMPATHIE
    2 ANTOINE, SAINT
    3 BETHARRAM
    3 EAUX-BONNES
  • A DES RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
  • RA
  • Bétharram, le 7 août 1874.
  • 7 aug 1874
  • Bétharram
La lettre

Me voici dans le plus grand embarras. Voilà longtemps que je n’ai fait de retraite, j’y suis depuis vingt-quatre heures, paff! une lettre, que je crois de mes filles [et] qui m’engage à en sortir. Non, ce ne sont pas mes filles qui me proposent de pareilles désertions; ce sont sept à huit diablotins déguisés en filles de l’Assomption. Diablotins, prenez la fuite! S’il n’avait pas été si tard, j’aurais couru à l’église, j’aurais plongé la lettre dans le bénitier; elle se serait fondue entre mes mains, ne laissant qu’une certaine odeur, comme en ont toujours les diablotins quand on les met en fuite. Petits Satans, retirez-vous! Ah! je vois, vous voulez m’exposer à quelques tentations, comme le grand saint Antoine, mais bernique! Je m’y connais. Ah! bien fin sera celui qui me surprendra aux Eaux-Bonnes! Allons, je suis en retraite, décampez!

La fermeté est une belle chose, surtout quand elle impose des sacrifices, et j’ai besoin d’en faire. Cet après-midi a été pénible. Je repassais avec amertume mes sottises; je me disais que j’étais un gueux, un misérable, un propre à rien, etc.; je me demandais quelle pénitence je pourrais faire pour expier mes forfaits; mais si vous n’êtes pas le diable, je vous ai une grande reconnaissance, puisque vous me fournissez l’occasion de faire la plus affreuse des pénitences en n’allant pas vous voir. Si vous étiez à ma place, vous feriez comme moi et vous profiteriez de la belle occasion d’éviter des années, que dis-je? des siècles de purgatoire, en ne bougeant pas de Bétharram. Au moins, n’allez pas m’admirer. Si je savais que vous m’admirez, j’en aurais de l’amour-propre, et l’amour-propre me priverait des mérites, après lesquels je cours depuis vingt-quatre heures. Et voilà comment il se fera qu’avec une envie frénétique d’aller aux Eaux-Bonnes, je ne bougerai pas d’ici.

Adieu, mes chères filles ou Messieurs les diablotins. J’hésite encore. Si vous êtes mes filles, pardonnez-moi, comprenez-moi, priez pour moi; mais si vous êtes de la race de Béelzébuth, oh! comme je fais bien de ne pas bouger. Je crois bien pourtant que vous êtes mes filles, mais prudence est mère de sûreté, je ne bouge pas. Pourtant ça coûte, mais il faut vaincre la nature, et c’est ce que je fais, non sans d’immenses regrets.

Vous comprenez l’embarras de finir, quand on ne sait si c’est à ses filles ou à Satan qu’on écrit; je ne finis pas, je coupe court.

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum