DERAEDT, Lettres, vol.10 , p. 286

8 aug 1874 Bétharram BARAGNON_NUMA

L’affaire de l’archevêque – Les sollicitations.

Informations générales
  • DR10_286
  • 5076
  • DERAEDT, Lettres, vol.10 , p. 286
  • Orig.ms. ACR, AL 55; D'A., T.D.34, n.54, pp.183-185.
Informations détaillées
  • 1 ACTION POLITIQUE
    1 COMITES CATHOLIQUES
    1 DIPLOMATIE
    1 EGLISE ET ETAT
    1 EVEQUE
    1 FONCTIONNAIRES
    1 GOUVERNEMENT
    2 BARAGNON, NUMA
    2 BARNOUIN, HENRI
    2 BLANCHARD, ADOLPHE
    2 CHAMPVANS, JEAN-CHRYSOGONE DE
    2 CHAPOT, ABBE
    2 GUIBERT, JOSEPH-HIPPOLYTE
    2 LOUIS-PHILIPPE Ier
    2 MAC-MAHON, PATRICE DE
    2 NAPOLEON III
    2 PLANTIER, CLAUDE-HENRI
    2 ROUCOLE, JEAN-BAPTISTE
    2 SAUGRAIN, HIPPOLYTE
    2 VICTOR-EMMANUEL II
    3 BETHARRAM
    3 FRANCE
    3 ITALIE
    3 NIMES
    3 ROME
    3 VIGAN, LE
  • A MONSIEUR NUMA BARAGNON
  • BARAGNON_NUMA
  • Bétharram, le 8 août 1874.
  • 8 aug 1874
  • Bétharram
La lettre

C’est de Bétharram, où je suis venu passer quelques jours, que je veux vous répondre, mon cher ami(1). Ce n’est point ab irato (par un r)(2) que je vous ai écrit mon télégramme. L’impression était vive, mais elle est durable. Après cela, vous avez votre manière de voir, mais je ne la crois ni la plus vraie, ni cette fois la plus habile. Elle n’est pas la plus habile, non pas que j’aie la prétention de connaître toutes les finesses de la chose. Pourtant, comme ce que vous me dites ressemble beaucoup à ce qu’ont répété les journaux, peut-être est-il possible de soupçonner les motifs du gouvernement en faisant sa note. Eh! bien, pourquoi ne pas répondre que les évêques n’étant pas des fonctionnaires, vous ne pouviez vous mêler de leur affaire et autoriser l’Italie à attaquer devant les tribunaux l’archevêque? Vous vous désintéressiez, et voilà tout. Au contraire, vous blâmez. C’est autoriser plus tard des actes plus durs; car, quand on a commencé dans cette voie, on va loin et l’on perd bien des amis. Cette situation n’est pas la vraie. Inutile de discuter, mais je puis vous apporter des témoignages de gens que vous n’accuserez pas d’exagération. L’abbé Barnouin m’a assuré que, s’il vous écrivait, ce serait dans le même sens que moi. Et Blanchard, dont vous connaissez le sang-froid, m’a de lui-même témoigné les tristesses que j’éprouvais, sans les lui avoir manifestées.

Remarquez, d’autre part, que dans mon télégramme je ne vous parlais que de Nîmes. Et ici, il faut distinguer. A Nîmes, vais-je aussi loin que le préfet? Il sait bien que non. Suis-je avec la Gazette? Les rédacteurs ne peuvent me sentir, et Roucole verse des pleurs sur ma sévérité envers lui. Chapot me salue à peine(3). Remarquez que je ne vous ai pas écrit, quand il s’est agi du côté politique. Mais sur le terrain religieux, c’est autre chose. Enfin, vous nous ôtez le moyen de vous défendre. J’étais heureux, dans mon discours de la distribution des prix, de louer votre conduite envers les comités catholiques(4). Je vous ai loué même après mon télégramme, au très grand scandale de plusieurs; mais il est impossible de n’avoir pas le coeur serré devant la participation à certains actes regrettables.

Vous me parlez de la position du préfet. Est-ce que votre position n’est pas dix fois supérieure à la sienne? Ou bien, est-ce moi qui me fais illusion, en croyant que vous êtes beaucoup? ce qui vous oblige à beaucoup. Donc laissons la comparaison entre vous et le préfet, elle n’a aucun point de ressemblance. Dans tous les cas, le pauvre homme s’attend, d’un moment à l’autre, à partir.

Restent les sollicitations du P. Hippolyte(5). Moi aussi, depuis trois mois, je vous ai sollicité. Une fois, en ayant bien soin de vous faire observer que j’aimerais mieux n’avoir rien à vous demander, parce que vous seriez dans l’impossibilité de faire droit à ma demande. Mais, rassurez-vous, vous me rendez un plus grand service que vous ne le pensez. Sous Louis-Philippe et Napoléon, je ne demandais rien; sous Mac-Mahon, j’en reprendrai facilement l’habitude, et le même courrier emporte ma lettre à un solliciteur, où je réponds qu’il s’adresse à d’autres qu’à moi. A vous de voir si la situation que je vous ferai, malgré moi, en étant forcé de déclarer que je ne vous demande plus rien, vous sera avantageuse. Peut-être oui, si désormais vous vous adressez, dans le département, à une autre catégorie d’électeurs que ceux qui vous ont nommé une première fois.

Adieu, bien cher ami. Vous savez beaucoup de choses, mais croyez que la galerie aperçoit souvent des fautes, que les joueurs ne constatent que quand il n’est plus temps.

Bien tendrement vôtre tout de même(6).

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Au retour d'un pèlerinage à Rome, le cardinal Guibert avait publié une lettre violente contre le gouvernement de Victor-Emmanuel. Quelques jours plus tard, le 31 juillet, le *Journal Officiel* exprimait les regrets du gouvernement français. Le sang du P. d'Alzon ne fit qu'un tour. Aussitôt il envoya un télégramme indigné à Baragnon, sous-secrétaire d'Etat à la Justice, le sommant de démissionner. Notre lettre est la réponse à l'accusé de réception par Baragnon (3 août, six pages d'une écriture serrée) du télégramme du P. d'Alzon. Il vaut la peine d'extraire quelques lignes de la lettre de Baragnon.
"Je vous réponds sans plus tarder, ce qui est la meilleure façon de vous prouver mon respect et mon affection, car d'autres laisseraient sans réponse une pareille *sommation* faite *ab irrato*, de loin, sans connaître les circonstances et sous des termes comminatoires aussi blessants qu'une véritable injure."
Baragnon aborde ensuite le fond de la question : "J'approuve la note. Elle était nécessaire, inévitable! [...] le gouvernement était en face d'une édition nouvelle et aggravée de l'affaire de l'évêque de Nîmes [...] l'Italie, appuyée par la Prusse, a demandé une réparation [...] une difficulté diplomatique de ce genre pouvait nous conduire à la guerre avant trois mois [...] Non! il n'est pas possible que des évêques puissent nous mettre en face d'un tel danger sans que nous n'essayons de le détourner. L'important est que leur caractère sacré soit respecté [...] Si vous voulez qu'on soutienne les actes épicopaux jusqu'à la guerre, dites-le..."
2. Si le sens de ces mots n'est pas clair, l'allusion l'est : Baragnon a écrit *ab irrato*.
3. Baragnon a un passage très sévère sur le préfet du Gard, *blanc pur*, qui blâme le gouvernement qu'il sert... "Ici se révèle l'injustice criante et le commode procédé du parti auquel vous semblez vous être rallié. Il lui faut de bons fonctionnaires qui fassent ses affaires, et en haut un gouvernement qui recoive ses coups". *Le parti auquel vous semblez vous être rallié* : piqué au vif, le P. d'Alzon se justifie.
4. Dans ce discours le P. d'Alzon a souligné le mérite qu'a eu un ancien élève de l'Assomption d'aplanir les difficultés légales nées du développement des Comités catholiques (*R.E.C.*, t.7, p.391).
5. Le P. Hippolyte ne manque pas de recourir à Baragnon en faveur de tel ou tel solliciteur, mais il vient de lui écrire qu'il n'aurait plus vingt voix au Vigan, qu'aujourd'hui tous *ses hommes* (souligné par Baragnon) sont à l'extrême-droite.
6. Baragnon, lui, a terminé comme suit : "Adieu, mon cher Père, je vous embrasse de tout mon coeur" et un P.S. donne son adresse pour les prochains jours ainsi que des nouvelles de sa famille. Non, les ponts ne sont pas coupés...