DERAEDT, Lettres, vol.11 , p. 32

21 jan 1875 Nice BOUVY Edmond aa

Les numéros de l’*Assomption* – L’olivier niçois – Des gamins qui chantent les vêpres chaque jour.

Informations générales
  • DR11_032
  • 5223
  • DERAEDT, Lettres, vol.11 , p. 32
  • Orig.ms. ACR, AK 401; D'A., T.D.33, n.2, pp.297-298 et T.D.7, pp.91-92; publiée par l'*Assomption*, 1ère année, n°3 (1er février 1875), pp.17-18.
Informations détaillées
  • 1 ALUMNATS
    1 CHANT DES VEPRES
    1 ITALIENS
    1 JARDINS
    1 MOEURS ACTUELLES
    1 OLIVIER
    1 PELERINAGES
    1 PUBLICATIONS
    1 SANTE
    1 TRAVAUX AGRICOLES
    1 TRAVAUX SCOLAIRES
    2 CAGLIOSTRO
    2 HUGUES CAPET
    3 FRANCE
    3 NICE
    3 NICE, QUARTIER SAINT-BARTHELEMY
  • AU PERE EDMOND BOUVY
  • BOUVY Edmond aa
  • Nice, promenade des Anglais [21 janvier 1875].
  • 21 jan 1875
  • Nice
La lettre

Monsieur le Directeur,

Au fond de la solitude où ma santé m’oblige à humer le soleil et à contempler la mer(1) et les roses, je suis avec le plus vif intérêt les numéros parus de l’Assomption(2). Je les rumine, je les savoure; c’est presque aussi bon que les montagnes qui m’environnent et cette Méditerranée, si changeante, où tantôt le soleil se reflète en or et en azur, tantôt laisse aux nuages le soin de l’assombrir, comme ces coquettes qu’on voit passer des charmes de la gaieté à des caprices de fureur. Moi, avec mon esprit contrariant, j’en veux un peu beaucoup à ces chers Niçois ou Niçards, qui trouvent un cruel plaisir à me cacher les plus beaux horizons par des rideaux d’oliviers.

Ah! l’olivier, c’est l’arbre de Nice, voyez-vous. L’olivier, ça vous ôte, avec ses feuilles, l’âcreté de l’air de la mer. L’olivier, ça vous fait ici des olives de la grosseur d’une tête d’épingle. L’olivier, mais un homme est un pauvre homme quand il n’a pas sa propriété bordée par des oliviers de mille ans. On prétend même qu’on pourrait trouver l’extrait de naissance de plusieurs oliviers au registre de l’état civil, et montrer que les plus jeunes ne remontent qu’à Hugues Capet. Et n’allez pas leur proposer de vous vendre un olivier! Qu’il meure! mais on ne le vend pas. Je sais quelqu’un qui aurait voulu en acheter trois ou quatre seulement pour donner une vue splendide à l’alumnat de Nice, (connaissez-vous cet établissement?). Bernic! Un bon Niçard est d’abord l’ennemi de tous les Italiens qui ne sont pas de la province; à cet égard, il paraît bien que tous les Italiens en sont là. Mais il est surtout l’ennemi des gens de sa province, et plus encore de ses voisins. C’est curieux, mais c’est comme cela. Il en résulte que l’alumnat de Nice auquel vous vous intéressez, je crois, n’a pas une des plus belles vues du monde. Tant pis pour lui!

Dans une de mes promenades j’ai eu l’occasion d’y aller. Je suppose que c’est une bonne petite oeuvre. Il y a là, pour le moment, quatorze ou quinze gaillards qui travaillent à un jardin qu’on leur a prêté, donné, loué, (je n’ai pas compris grand-chose à ce qu’a voulu m’expliquer un Monsieur à grande barbe noire qui se promenait par là). On m’a assuré qu’ils travaillaient assez bien à l’étude. Comme il était deux heures, j’ai entendu un certain bruit: c’étaient nos moutards qui avaient quitté leurs pioches pour aller chanter vêpres. C’est-il curieux que des gamins qui chantent vêpres tous les jours! Voilà qui n’est guère dans nos moeurs, comme disait un Monsieur à propos des pèlerinages. Eh bien! tel que je suis, j’ai l’idée que la France serait sauvée, si tous les Français chantaient vêpres tous les jours, surtout dans une certaine chapelle, avant d’aller dans une certaine Chambre où certaines gens disent certaines choses.

Un Monsieur se disant le Père d’Alzon (vous devez le connaître), que j’ai rencontré dans une de mes excursions, tout près des Capucins de Saint-Barthélemy, m’a assuré qu’une petite correspondance de ma main blanche vous ferait plaisir. Comme je suis correspondant de journaux, j’ai saisi la balle au bond, à condition que vous m’enverriez un timbre-poste de huit sous, moyennant quoi je puis acheter quatre douzaines d’oranges avec lesquelles je suis, Monsieur le Directeur,

Votre très humble et obéissant serviteur(3),

CAGLIOSTRO.

P.-S. -Si vous ne trouvez rien dans ma lettre, veuillez vous souvenir que c’est la perfection du genre correspondance et notes diplomatiques. On peut vous en servir qui aient le sens commun, mais c’est la seconde qualité.

CAGLIOSTRO
Notes et post-scriptum
1. La revue a *les mers*.
2. Le premier numéro de l'*Assomption* parut le 1er janvier. Le journal, bimensuel, était publié au profit de l'oeuvre de N.-D. des Vocations. Direction: à l'Assomption de Nîmes. Rédaction à Nîmes, Paris, Arras, Beaufort (Savoie), le Vigan et Nice. Déjà en 1866, neuf numéros d'un journal interne du collège avaient porté ce titre (v. *Lettre* 2797, n.3). Le dernier numéro de la présente série porte la date des 15 déc.79 - 15 janv.1880.
3. Le P. d'Alzon lui-même (lettre suivante) nous apprend qui se cache sous le nom de Cagliostro.