DERAEDT, Lettres, vol.12 p. 83

5 may 1877 Rome PRESSE_CITOYEN

Le côté économique des pèlerinages – L’ex-boulet temporel – Pourquoi une guerre générale est inévitable – La Révolution, tigresse insatiable – Le pèlerinage national de France et l’audience du pape – Le cardinal Simeoni et l’envoyé de Gambetta.

Informations générales
  • DR12_083
  • 5903
  • DERAEDT, Lettres, vol.12 p. 83
  • Parue dans le *Citoyen* de Marseille du 9 mai 1877; Coupure de presse ACR, AP 166.
Informations détaillées
  • 1 ACTES PONTIFICAUX
    1 ALLEMANDS
    1 AMBITION
    1 ASSISTANCE A LA MESSE
    1 AVARICE
    1 BONTE
    1 BUDGETS
    1 CHANT GREGORIEN
    1 CLERGE
    1 COMMERCE
    1 CONTRAT DE LOCATION
    1 CONVERSATIONS
    1 CRAINTE
    1 DIPLOMATIE
    1 ECRITURE SAINTE
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 ENSEIGNEMENT DE L'HISTOIRE
    1 ESCLAVAGE
    1 FAMILLE
    1 FRANC-MACONNERIE
    1 FRANCAIS
    1 GOUVERNEMENT
    1 GUERRE
    1 INJURES
    1 JOIE
    1 LEGISLATION
    1 MECHANTS
    1 MENSONGE
    1 OBJETS DE DEVOTION
    1 PAIX DE L'AME
    1 PARLEMENT
    1 PARLEMENTAIRE
    1 PASSION DE JESUS-CHRIST
    1 PELERINAGES
    1 PERSECUTIONS
    1 PERSEVERANCE
    1 PEUPLES DU MONDE
    1 POLITIQUE
    1 POUVOIR
    1 POUVOIR TEMPOREL DU PAPE
    1 PUBLICATIONS
    1 RADICAUX ADVERSAIRES
    1 RECONNAISSANCE
    1 REPUBLIQUE ADVERSAIRE
    1 RESURRECTION DE JESUS-CHRIST
    1 REVOLUTION ADVERSAIRE
    1 SAINT-SIEGE
    1 SALUT DES AMES
    1 SEVERITE
    1 SOCIETES SECRETES
    1 SOUFFRANCES DE JESUS-CHRIST
    1 SOUVERAIN PROFANE
    1 TRAITEMENTS
    1 TRIOMPHE DE L'EGLISE
    1 VIE DE PRIERE
    2 BISMARCK, OTTO VON
    2 DAMAS, PAUL DE
    2 GAMBETTA, LEON
    2 GUILLAUME I, EMPEREUR
    2 MACCHI, LUIGI
    2 PIE IX
    2 PIERRE, SAINT
    2 SIMEONI, GIOVANNI
    2 SIMON, JULES
    3 EMS
    3 EUROPE
    3 FRANCE
    3 LEIPZIG
    3 MARSEILLE
    3 PRUSSE
    3 ROME
    3 ROME, BASILIQUE SAINT-PIERRE
    3 ROME, CHAPELLE PAULINE
    3 ROME, CHAPELLE SIXTINE
    3 VERSAILLES
  • AU JOURNAL "LE CITOYEN"
  • PRESSE_CITOYEN
  • Rome, 5 mai 1877.
  • 5 may 1877
  • Rome
La lettre

Les pèlerins affluent et les Piémontais sont bien embarrassés. S’ils les traitent impoliment, -et ils en ont bien envie- les pèlerins s’en iront et remporteront leur argent. Mais les Piémontais aiment plus que tout l’argent des pèlerins, et ils font bon visage aux propriétaires des bourses pour avoir les bourses et surtout leur contenu.

Remarquez que le commerce le plus florissant à Rome est le commerce des croix, médailles et chapelets qu’achètent les pèlerins. C’est tout de même vexant pour des gens qui font des lois contre les abus du clergé. Que deviendraient une foule de familles, si elles ne pouvaient louer leurs appartements aux visiteurs de Pie IX? Un personnage très haut placé dans la diplomatie me disait que le Pape parti, Rome redeviendrait vite une ville de quinze mille âmes.

Voici, m’assure-t-on, ce qui aurait été dit à Versailles, il y a peu de jours: « Le Pape avec ses allocutions et les sottises qu’il excite est devenu intolérable; et cela vient de ce qu’on ne peut plus lui faire aucune objection. S’il avait un pouvoir temporel, cela ne se passerait pas ainsi, et on ne pourra se tirer d’affaire contre lui qu’en lui mettant, quoi qu’on fasse, les boulets temporels aux pieds ».

Le personnage qui aurait dit cela passe pour être très lacrymatoire, quand il est à la tribune.

Aurons-nous la guerre générale? Un peu plus tôt, un peu plus tard, nous ne pourrons l’éviter. Voici pourquoi. La guerre de 70 était annoncée depuis longtemps, parce que la Prusse voulait faire l’empire, et les sociétés secrètes de la Prusse voulaient l’empire pour faire la république universelle. Cela a été dit à Ems en 1867. L’année suivante, on imprimait à Leipzig la liste des francs-maçons soumis au roi de Prusse; on y comptait une trentaine de députés des Chambres françaises. Plus tard, le roi de Prusse passa la grande maîtrise au prince héréditaire qui la passa à M. de Bismarck.

Quand l’homme de fer et de sang demanda sa retraite, je me permis de dire à plusieurs personnes: voilà le commencement de la lutte entre Guillaume et son chancelier. Or, pas plus tard qu’hier, un Bavarois très grave et très bien renseigné m’assurait que mon affirmation était la conviction très profonde d’une foule d’hommes sérieux dans l’empire allemand.

A quoi cela aboutira-t-il? A deux choses. D’abord, à satisfaire l’ambition personnelle du prince de Bismarck; en second lieu, à opérer un remaniement dans la carte de l’Europe. Et comprenez-vous pourquoi les radicaux montrent tant de servilité envers l’Allemagne? Si en 1868 trente députés français lui étaient vendus, vous voudriez que bon nombre de teneurs de plumes ne le fussent pas aujourd’hui?

M. de Bismarck est-il bien libre de ses mouvements? A vrai dire, je ne le crois pas. La Révolution est une tigresse qui a besoin de dévorer sans cesse et finit par dévorer même ceux qui lui donnent à manger, quand elle a un surcroît d’appétit. N’est-il pas évident que si nous passons sous sa dent, Jules Simon, Gambetta et bien d’autres ne tarderont pas à avoir leur tour? Puis viendra celui du chancelier, tenu en bride comme toujours par quelques êtres aussi dépravés qu’obscurs, et à qui la passion du pouvoir pour le pouvoir suffit sans autre profit que celui de savoir qu’ils sont les maîtres inconnus des peuples et des rois.

Avant-hier, le pèlerinage national de France est arrivé. Hier, on est allé au Vatican entendre la messe dite par Mgr Macchi, à l’autel de la chaire de saint Pierre. Les chants grégoriens produisaient un effet admirable. Aujourd’hui, nous partons pour l’audience; elle aura lieu à midi.

Nous arrivons du Vatican. Foule énorme: trois mille à trois mille cinq cents personnes debout, pressées dans la salle ducale. Plusieurs ont dû rester dans la salle royale, celle qui précède les chapelles Pauline et Sixtine. La direction du pèlerinage national avait distribué 3.000 cartes, et Mgr Macchi s’en était réservé un certain nombre.

L’adresse lue par M. le vicomte de Damas(1) a paru faire un vif plaisir au Pape; il approuvait et disait quelques mots. Aussi quand l’orateur a dit que, de même que Jésus-Christ avait souffert et était mort, mais était ressuscité le troisième jour, -de même les catholiques espéraient qu’après la persécution viendrait pour l’Eglise l’heure de la résurrection et du triomphe, le Pape n’a pu s’empêcher de s’écrier: Utinam!

Puis, se levant, il a remercié ses chers enfants. Rapportera-t-on tout son discours? Je lui ai entendu dire: « Vous me consolez de certaines injures. On dit, par exemple, que le Pape est un menteur. C’est un gouvernement qui dit cela. Ce gouvernement, je ne sais comment l’appeler, un certain ordre de choses, je devrais dire un désordre. Quoi qu’il en soit, de pareilles paroles n’ont aucune dignité ». Puis il a montré l’arche captive des Philistins et brisant pendant la nuit l’idole des Philistins qu’on appelait Dagon(2). « Il y a, à Rome, depuis quelque temps, bien des Dagons. Espérons qu’eux aussi seront brisés. Tandis que vous êtes dans la joie, eux, ils sont toujours dans la crainte. Et sic trepidaverunt timore, ubi non erat timor(3) ». Et engageant les catholiques à persévérer dans la prière, il les a bénis avec une voix admirable de force et de souplesse.

-Voulez-vous connaître un fait que je vous garantis? Il y a peu de jours, un jeune homme se présente chez le cardinal Simeoni(4):

-Eminence, je suis envoyé par M. Gambetta…

-Ah! très bien!

-Et je vous assure que M. Gambetta n’est pas si mauvais qu’on le prétend.

-Ah! tant mieux pour lui!

-Et, s’il arrive au pouvoir, il sera très bienveillant pour la religion.

-Je l’en félicite bien.

-Et qu’au budget il fait ce qu’il peut pour maintenir le traitement des évêques et des prêtres.

-Pardon, nous ne voyons pas précisément cela, mais après tout ce que veut ou ne veut pas M. Gambetta ne nous regarde pas, nous autres ne nous occupons que du salut des âmes.

Et le cardinal congédia le visiteur. Je vous garantis l’exactitude de la conversation. M. Gambetta la niera peut-être, elle n’est pas moins très exacte et peint le cardinal Simeoni dans sa paix et son inébranlable fermeté.

Notes et post-scriptum
1. Texte dans le *Pèlerin* du 12 mai 1877, pp. 288-290.
2. 1 Samuel 5, 1-4.
3. Ps. 13, 5.
4. Secrétaire d'Etat.