DERAEDT, Lettres, vol.12 p. 114

6 jun 1877 Rome COLLEGE de l'Assomption

Impressions romaines – L’unité catholique.

Informations générales
  • DR12_114
  • 5936
  • DERAEDT, Lettres, vol.12 p. 114
  • Orig.ms. ACR, AK 431; Publiée par l'*Assomption*, 3e année, n°68 (15 juin 1877), pp.285-286; D'A., T.D. 33, n. 21, pp. 347-350.
Informations détaillées
  • 1 ADVERSAIRES
    1 AMITIE
    1 AMOUR DU PAPE
    1 ATHEISME
    1 AUTORITE PAPALE
    1 BONTE MORALE
    1 CATHOLIQUE
    1 CLERGE NIMOIS
    1 COLERE
    1 CONCILE OECUMENIQUE
    1 CONGREGATIONS ROMAINES
    1 DEGOUTS
    1 DONS EN ARGENT
    1 ENVIE
    1 EVEQUE
    1 FIERTE
    1 FRANCHISE
    1 HUMILITE
    1 IMPRESSION
    1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
    1 ITALIENS
    1 JESUS-CHRIST
    1 JOIE
    1 LIVRES
    1 MISERES DE LA TERRE
    1 NATION
    1 PAPE
    1 PARTI CATHOLIQUE
    1 PELERINAGES
    1 PEUPLES DU MONDE
    1 POLITIQUE
    1 PREDICATION
    1 PRISONNIER
    1 RENOUVELLEMENT
    1 REPOS
    1 REVOLUTION ADVERSAIRE
    1 REVOLUTIONNAIRES ADVERSAIRES
    1 SAINT-SIEGE
    1 SANTE
    1 SOUMISSION DE L'ESPRIT
    1 SOUVERAIN PROFANE
    1 TRAITRES
    1 TRIOMPHE
    1 TRIOMPHE DE L'EGLISE
    1 UNITE CATHOLIQUE
    1 VERTU DE CHASTETE
    1 VIE DE SILENCE
    1 VOLONTE
    2 ABD-UL-HAMID II
    2 ALEXANDRE II, TSAR
    2 CECCONI, EUGENIO
    2 GUILLAUME I, EMPEREUR
    2 HUMBERT I
    2 ISAIE, PROPHETE
    2 MACCHI, LUIGI
    2 MERCURELLI, FRANCESCO
    2 NASSER-ED-DIN-SHAH
    2 PIE IX
    2 VANNUTELLI, VINCENZO
    2 VICTOR-EMMANUEL II
    3 ALLEMAGNE
    3 ESPAGNE
    3 FLORENCE
    3 FRANCE
    3 ITALIE
    3 NIMES
    3 PERSE
    3 ROME
    3 RUSSIE
    3 TURQUIE
  • AUX ELEVES DU COLLEGE DE L'ASSOMPTION A NIMES
  • COLLEGE de l'Assomption
  • Rome, 6 juin 1877.
  • 6 jun 1877
  • Rome
La lettre

Mes chers enfants,

Dans quelques jours, je serai au milieu de vous; mais auparavant, je profite du silence que les pèlerins laissent après eux pour me recueillir et vous communiquer mes impressions générales sur mon séjour dans cette Rome, objet de tant de fureurs et de convoitises chez les uns, de tant d’affection chez les autres. Avant tout, rien n’est plus manifeste que le triomphe de Pie IX. Un révolutionnaire disait, il y a peu de jours, au prince Humbert(1): « Voyez: ici, malgré tout ce que nous avons fait, le Pape est tout, le roi n’est rien. -Il ne fallait pas nous forcer à quitter Florence », répondit sèchement l’héritier présomptif.

Oui, en ce moment, plus que jamais, à Rome le Pape est tout, et les bataillons pacifiques de toutes les nations se dirigeant vers le Vatican montrent la puissance incontestable, quoique encore contestée par la révolution, d’un vieillard, à qui Dieu a donné d’accomplir ce que Jésus-Christ disait de lui-même: Omnia traham ad meipsum(2). Pie IX prisonnier est le maître du monde, comme aucun souverain ne pourrait aspirer à l’être. Ce triomphe est le triomphe de l’unité catholique. Qu’il y ait encore en secret quelques récalcitrants à la définition de l’infaillibilité, peu importe. Le courant irrésistible vers la chaire de Pierre est établi, et nous voyons plus éblouissante que le soleil la réalisation des paroles d’Isaïe: Leva in circuitu oculos tuos, et vide, omnes isti congregati sunt, et venerunt tibi(3). L’unité catholique se fait plus que jamais.

Et l’unité italienne? Ah! vous êtes bien curieux. Je ne fais pas de politique. Croyez-vous que la joie universelle (sauf quelques quinteux) ne soit pas une prédication très paisible, mais très puissante? Or, combien compterez-vous de pèlerins quittant Rome mécontents? On est furieux contre un prélat qui a refusé des cartes d’entrée. On me montre Mgr Macchi, le maître de Chambre, et l’on me dit: « Est-il déplaisant? » -Je montre Mgr Vannutelli, le sous-secrétaire d’Etat, et je dis: « Est-il possible d’être plus aimable? » Quand vous aurez établi qu’un membre de la cour Romaine n’a pas tous les charmes de son maître, qu’est-ce que cela prouvera? Qu’il veut opposer une digue à des inondations d’exigences intolérables, quelquefois criminelles, quand, sous prétexte d’amour pour le Saint-Père, on l’étouffe, on l’épuise au point qu’il lui a fallu quelquefois se mettre au lit après ces démonstrations de tendresse écrasante et renvoyer à vingt-quatre heures des affaires de la plus haute importance. Quand, pénétrant l’intérieur des appartements au Vatican, je vois la santé de Pie XI compromise par des irruptions de tendresse peu discrète, je donne volontiers l’absolution à Mgr Macchi, quoique à vrai dire, il en ait un peu besoin, sinon pour le fond, au moins pour les formes.

Mais que conclure? Que Pie IX, dans son extrême bonté, s’expose à hâter ses jours; que d’indiscrets pèlerins aident, tant qu’ils peuvent, à ce régicide; et qu’un prélat fait un peu trop rudement tout ce qu’il peut pour empêcher la mort du Souverain Pontife. Misères humaines!

Mais j’en reviens à mon sujet principal. Dirai-je qu’on aime trop Pie IX? Ah! je voudrais bien savoir quel souverain est aimé de la sorte! Aujourd’hui on n’aime plus. Guillaume est-il aimé? L’empereur de Russie est-il beaucoup aimé? Et Victor-Emmanuel, le shah de Perse, le roi d’Espagne, le Grand-Turc, etc., etc., sont-ils beaucoup aimés(4)? Un seul homme possède ces grands, ces deux grands rayonnements de la puissance, la vénération et l’amour; et ce seul homme, c’est le Pape. Voilà son grand, son magnifique triomphe.

Laissez-moi ajouter que le triomphe de Pie IX est, aux yeux de tous les étrangers présents à Rome depuis six semaines, le commencement de la résurrection de la France. Nous occupions bien notre rang au milieu des catholiques de toute contrée, nous étions là les premiers. On disait: « Les dons de la France sont les moins nombreux ». D’abord, ils étaient les plus beaux; puis, nous sommes arrivés peu à peu à rivaliser aussi par le nombre. Ne parlons pas des offrandes en argent; personne n’a songé à lutter avec nous. J’étais bien un peu humilié de voir si peu de Nîmois autour de Pie IX. C’est pour cela que je n’ai pas tenu à ce qu’on parlât de notre pèlerinage. Nîmes doit prendre sa revanche par un pèlerinage modèle.

Quoique nous n’ayons pas sujet d’être fiers après tant d’humiliations, la France se relève, et elle se relève par son attachement à la Papauté. Les honnêtes gens (ceux qui m’inspirent une horreur si profonde) ne le comprennent pas. Tant pis pour eux, pourvu que ce ne soit pas tant pis pour la France!

Après tout, j’assiste à un travail de reconstruction de l’unité catholique, qui est un fait aussi manifeste qu’universel. Vraiment le mouvement irréligieux aura été bon à beaucoup de précieux développements. Il y a à Rome une centaine d’évêques qui n’ont pu avoir d’audience privée, ils attendent depuis quinze jours. Moi, je l’obtins le surlendemain du jour où je la demandai à Mgr Mercurelli; à présent, ce serait impossible. Pourtant ces évêques ont à parler au Pape.

Je voyais au commencement de la semaine Mgr Cecconi(5), archevêque de Florence, historien du concile; il n’avait pu encore être reçu. Comme je lui témoignais ma crainte qu’il ne pût, de quelque temps, publier son second volume à cause des détails qu’il aurait à donner sur les évêques inopportunistes: « Non, me dit-il, je ne serai pas embarrassé ». Tous ces Messieurs se sont soumis; je dois les croire sincères, et ce leur est une gloire que de dire le mérite de leur soumission après l’opposition qu’ils ont faite au dogme de l’infaillibilité. Par conséquent, je dirai tout ». Mgr Cecconi est un homme jeune encore, simple, calme, ouvert; ses yeux semblent dire: « Regardez au fond », tant ils sont limpides de pureté et de franchise. Pourtant je le crois très décidé à bien vouloir ce qu’il veut.

J’arriverai probablement, mes chers enfants, avant que l’Assomption n’ait publié ces lignes. Je me hâte de vous les envoyer. Quand on retourne après une absence relativement longue, on est bien peu apte à prendre aussitôt la plume. J’ai préféré me mettre en avance et vous dire ces quelques détails de mes impressions, car je n’ai certes pas tout dit, et nous reviendrons probablement encore sur un sujet si fécond.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Qui succédera à son père l'année suivante.
2. Jn 12, 32.
3. Is 49, 18.
4. Guilaume Ier (1797-1888), empereur d'Allemagne depuis 1871; Alexandre II (1818-1881), tsar de Russie depuis 1855; Victor-Emmanuel II (1820-1878) qui porte le titre de roi d'Italie depuis 1861; Nasser ed-Din (1831-1896), shah de Perse depuis 1846; Abd ul-Hamid II (1842-1918), sultan ottoman depuis 1876.
5. Eugenio Cecconi, historien du concile de Florence et archevêque de cette ville depuis 1874.