DERAEDT, Lettres, vol.12 p. 246

26 nov 1877 VEUILLOT Louis

Le curé et l’instituteur – L’enseignement primaire dans les campagnes.

Informations générales
  • DR12_246
  • 6088
  • DERAEDT, Lettres, vol.12 p. 246
  • D'après l'*Univers*, du lundi 26 novembre 1877, cop. dactyl. ACR, AP 150; D'A., T.D. 40, n. 6, pp. 258-260; et d'après le *Pèlerin* 5e année, n°48 (9 décembre 1877) pp. 713-714; D'A., T.D. 28, n. 494bis, pp. 110-112.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DES AISES
    1 BUT DE LA VIE
    1 CATHOLIQUE
    1 CITE
    1 CLERICAUX
    1 CONGREGATIONS D'HOMMES
    1 CURE
    1 ELEVES
    1 ENFANTS
    1 ENSEIGNEMENT OFFICIEL
    1 ENSEIGNEMENT PRIMAIRE
    1 ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
    1 ESPERANCE
    1 ETERNITE
    1 EVEQUE
    1 FIDELES
    1 GENEROSITE
    1 GRAVITE
    1 HAINE
    1 INSTITUTEURS
    1 LAICS MEMBRES DE L'EGLISE
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 MAL MORAL
    1 MALADIES
    1 MATERIALISME
    1 MEDECIN
    1 MENEURS
    1 NIHILISME
    1 NOVICIAT
    1 OUVRIER
    1 PENITENCES
    1 PEUPLE
    1 POLITIQUE
    1 RELIGIEUX ENSEIGNANTS
    1 REMEDES
    1 REVOLUTION ADVERSAIRE
    1 SAINTS DESIRS
    1 SALUT DES AMES
    1 SANTE
    1 SOUSCRIPTION
    1 SUFFRAGE UNIVERSEL
    1 VOCATION
    1 VOCATION SACERDOTALE
    2 GUIZOT, FRANCOIS
    2 LOUIS-PHILIPPE Ier
    3 FRANCE
  • A MONSIEUR LOUIS VEUILLOT
  • VEUILLOT Louis
  • [26 novembre 1877](1).
  • 26 nov 1877
La lettre

Mon cher ami,

Tandis que nos politiques semblent prendre à tâche de sauver la France par des expédients, comme un médecin qui voudrait guérir un pestiféré avec la tisane des quatre fleurs, permettez-moi de vous soumettre quelques idées sur une des causes profondes (je ne dis pas toutes) de nos révolutions, et sur un des moyens, lents peut-être mais efficaces, de lui rendre une santé que son fort tempérament peut recouvrer.

Ce fut une horrible idée, enfantée par le cerveau d’un ministre de Louis-Philippe, d’opposer dans les villages l’instituteur au curé. On avait alors la haine du « parti prêtre », comme aujourd’hui du « cléricalisme ». Les noms changent, la haine reste. L’empire comprit la pensée de l’ancien juste-milieu, on y ajouta l’amour du bien-être matériel pour supprimer l’idée de la deuxième vertu théologale; on marcha vers le nihilisme occidental.

Aujourd’hui que la question de l’enseignement supérieur est gagnée, et que dans tous les cas elle a été saisie par les évêques, les fidèles n’ayant guère(2) plus à s’en mêler que pour y fournir des souscriptions et envoyer des élèves, ne pourrait-on pas reporter l’attention des catholiques sur la question non moins importante de l’enseignement primaire?

Nous revenons à un vrai manichéisme. Dans les communes rurales surtout, le curé et le maître d’école représentent les deux principes. Le curé dit: Songez à votre âme. L’instituteur réplique: Fadaises! Songez à votre bien-être matériel.

Le curé dit: Préparons-nous à l’éternité. L’instituteur: Avant tout, jouissons dans ce monde. Le curé: Elevons nos désirs au ciel. -Vive la terre! reprend l’instituteur. Je ne veux certes pas accuser la classe entière des instituteurs(3). Je parle par expérience du mal fait par des hommes, irresponsables à un certain degré, et subissant l’impulsion des chefs de l’enseignement sous l’Empire, impulsion(4) qui depuis va toujours croissant.

Eh bien, je dis que cette impulsion nihiliste, il importe de l’arrêter si l’on ne veut pas s’exposer aux plus terribles catastrophes. Hélas! supposez qu’on soit à temps de les arrêter, pour cela que faut-il? -Créer des instituteurs religieux. Ce ne sera pas l’affaire d’un jour. Qui l’ignore? Mais on peut, je crois, en venir à bout. Voici les moyens que je proposerais.

D’abord, favoriser ce que les Frères des Ecoles chrétiennes appellent les petits noviciats, où les enfants qui montrent un germe de vocation sont plus attentivement préparés au noviciat définitif. Cette oeuvre admirable sollicite la générosité de tous ceux qui ont souci des ouvriers et de leurs enfants dans les villes. Je dirai la même chose pour les congrégations d’hommes voués à l’enseignement primaire dans les villages. Il en faut, et il en faut beaucoup.

Cela ne suffit pas; on peut, en dehors des religieux, avoir d’excellents instituteurs laïques. Pourquoi messieurs les curés, en préparant des vocations ecclésiastiques, ne réserveraient-ils pas, pour l’enseignement primaire, ceux qui ne se sentiraient pas le courage de monter à l’autel? La loi les autorise à avoir quatre élèves; n’en pourraient-ils réserver deux pour le sacerdoce, deux pour l’école? Mais quand on aurait de bons instituteurs, comment les placer?

On ne me persuadera jamais que si les catholiques comprennent bien la gravité de l’avenir, ils ne fassent les sacrifices nécessaires. Qu’il y ait des luttes, c’est certain, mais la lutte chrétienne ne date pas d’aujourd’hui. Je me contente de poser le problème; s’il a l’importance qui me frappe, d’autres traiteront la question avec plus de détails. Mais rien ne me paraît plus sérieux que la formation du peuple; sous le règne du suffrage universel ne pas s’en occuper me paraît s’exposer aux abîmes. Dieu veuille que nous n’y soyons pas tombés avant que le remède que je propose ait produit son effet.

Veuillez…

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Date de la publication dans l'*Univers*. Dans le *Pèlerin*, la lettre est publiée sous le titre *Les maîtres d'école révolutionnaires* et le sous-titre *Plaie sociale*. Elle est introduite par ces mots : "Nous avons reçu du P. d'Alzon la lettre suivante qui a été omise au précédent numéro et qui nous revient heureusement dans diverses feuilles avec les appréciations les plus favorables."
2. Ce mot n'est que dans le *Pèlerin*.
3. Cette phrase est dans le seul *Pèlerin*.
4. Le mot n'est pas répété par le *Pèlerin*.