DERAEDT, Lettres, vol.12 p. 315

13 feb 1878 Rome COLLEGE de l'Assomption

L’annonce du décès de Pie IX et mon départ pour Rome – Que font les cardinaux ? – Le conclave – *In hoc signo vinces* – Pie IX sur son lit de mort.

Informations générales
  • DR12_315
  • 6173
  • DERAEDT, Lettres, vol.12 p. 315
  • Orig.ms. ACR, AK 432; un extrait de cette lettre parut dans l'*Assomption*, 4e année, n°4 (18 février 1868), p. 27; D'A., T.D. 33, n. 22, pp. 351-353.
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA CROIX
    1 AMOUR DU PAPE
    1 AUTORITE PAPALE
    1 CARACTERE
    1 CARDINAL
    1 CELEBRATION DE LA MESSE PAR LE RELIGIEUX
    1 CHEMIN DE FER
    1 CHRISTIANISME
    1 COLERE
    1 CONVERSATIONS
    1 COUVENT D'AUTEUIL
    1 DENIER DE SAINT-PIERRE
    1 DEPOUILLE
    1 ELECTION
    1 EMOTIONS
    1 FAMINE
    1 FATIGUE
    1 FRANCAIS
    1 GOUVERNEMENT
    1 HISTOIRE DE L'EGLISE
    1 IMPRESSION
    1 JARDINS
    1 JESUS-CHRIST
    1 LOISIRS
    1 MORT
    1 NOBLESSE
    1 NONCE
    1 NOTRE-DAME DE SALUT
    1 NUTRITION
    1 OPINION PUBLIQUE
    1 PAIX
    1 PAPE
    1 PEUPLES DU MONDE
    1 POLITIQUE
    1 PRISONNIER
    1 PROVIDENCE
    1 RECITATION DE L'OFFICE
    1 REPAS
    1 REPOS
    1 REVOLTE
    1 SAINT-SIEGE
    1 SANTE
    1 SOUFFRANCE APOSTOLIQUE
    1 SURVEILLANTS
    1 TOMBEAU
    1 TRIOMPHE DE L'EGLISE
    1 VOYAGES
    2 BRICHET, HENRI
    2 CHIGI, FLAVIO
    2 CHIGI, MARIO
    2 CONSTANTIN LE GRAND
    2 MANNING, HENRY-EDWARD
    2 PICARD, FRANCOIS
    2 PIE IX
    2 PIERRE, SAINT
    2 SEGUR, GASTON DE
    2 VEUILLOT, LOUIS
    3 ITALIE
    3 MALTE
    3 MONTE MARIO
    3 NIMES
    3 PARIS
    3 ROME
    3 ROME, BASILIQUE SAINT-PIERRE
    3 TURIN
  • AUX ELEVES DU COLLEGE DE L'ASSOMPTION A NIMES
  • COLLEGE de l'Assomption
  • Rome, 13 février 1878.
  • 13 feb 1878
  • Rome
La lettre

Mes chers enfants,

Vous vous attendez à ce que je vous dise quelque chose des motifs qui m’ont poussé à partir si précipitamment de Paris, et de mes impressions depuis que je suis à Rome. Je ne veux pas tromper votre attente.

En arrivant, le P. Picard me dit: « Le Pape va à merveille. On nous l’assure de la manière la plus positive à la nonciature ». C’était jeudi matin. Dans la journée, Mgr de Ségur, qui était venu présider la réunion générale de Notre-Dame de Salut, était monté chez moi et pendant près d’une heure nous avions parlé de Rome en toute tranquillité, confiants dans les excellentes nouvelles arrivées de toute part. Le soir, fatigué que j’étais de mes nuits passées en chemin de fer, je venais de me coucher, quand le P. Picard entra dans ma chambre et me dit: « J’apprends une bien triste nouvelle, le Pape est mort. On était venu me le dire, j’ai envoyé à la nonciature. On y a confirmé la certitude de la catastrophe ». Ce fut un bouleversement chez moi. Après quoi, comme il est inutile de se perdre en lamentations, je me dis: « Que faire? ». Mon séjour à Paris n’avait plus de motif spécial. Devais-je retourner à Nîmes? Devais-je partir pour Rome? Le lendemain tous mes amis me dirent: « Partez pour Rome ». M. Louis Veuillot ajouta: « Partez et tout de suite, à l’instant même, si vous pouvez ».

J’allai faire une visite à Auteuil, où ma fatigue m’avait empêché d’aller la veille, et, vendredi 8, je partis. Je m’arrêtai à Turin pour dire la messe, et, avant-hier 11, j’arrivai à Rome. Je m’étais proposé de voyager à l’aise et lentement, cela ne m’était plus permis. En effet, vous ne sauriez croire tout ce qu’il y a d’intéressant dans certaines nouvelles, certaines appréciations qui se forment et se déforment avec une assez grande rapidité, mais où l’on recueille, avec le sentiment public, le contre-coup des désirs quelquefois opposés de certaines personnes.

Que font les cardinaux? Ils se préparent, et c’est ici qu’il faut admirer la Providence, dont les dispositions se manifestent à travers les caractères si opposés quelquefois des diverses nations, et des cardinaux de ces nations. Le cardinal Manning a proposé d’aller tenir le Conclave à Malte(1); les Romains ont trouvé que c’était bien loin; les cardinaux français pensent qu’élire un pape hors de Rome, c’est en exclure la Papauté pour cent ans. Que fera le Pape? Plusieurs cardinaux veulent qu’il reste prisonnier. Les conciliateurs veulent qu’il sorte, afin de faire la paix avec l’Italie. On leur répond: « Oui; le premier jour, il sera acclamé par le gouvernement vainqueur, le second jour il sera hué ». Les Romains réfléchissent. Un cardinal français, très courageux, dit: « Moi, je sortirais, comptant sur les insultes pour prouver l’incompatibilité du pouvoir pontifical et du pouvoir piémontais; et si une balle m’atteignait, la preuve serait encore plus forte ». Or les Romains savent subir le martyre, mais ne vont pas au-devant.

Tout ceci passe un peu au-dessus de la tête de plusieurs d’entre vous, mais les grands me comprennent.

On dit que le Pape sera nommé de demain en huit et que le maréchal du Conclave n’aura pas à prendre certaines mesures pour hâter l’élection. Le maréchal du Conclave est un prince romain, (cette fois, le prince Chigi, frère du cardinal); il fait serment d’empêcher les cardinaux de communiquer avec le dehors, il surveille les repas qu’on leur apporte, les fait diminuer si les Cardinaux restent trop longtemps à élire un Pape, et, si la famine ne suffit pas, il a le droit de faire enlever la toiture.

Mais cette fois, ce ne sera pas nécessaire, on a hâte d’en finir.

Je vous envoie quelques feuilles de laurier que j’ai cueillies dans les jardins du Vatican; vous les tirerez en loterie pour le denier de Saint-Pierre.

Le jour de mon arrivée, le P. Brichet me conduisit dans les jardins vides de Pie IX, et comme cet admirable Père a toujours de l’office à dire, il me laissa à mes réflexions. Or, à travers un arceau formé par des buis séculaires, je vis tout à coup devant moi le Monte Mario où apparut à Constantin la croix avec la devise: In hoc signo vince: Triomphe par ce signe. Je crus découvrir la leçon de politique que Jésus-Christ donne sans cesse à la papauté. Je me retournai, et, à travers d’autres arceaux, j’aperçus la coupole de Saint-Pierre. Pierre lui aussi a vaincu par la croix où il est mort, et si sur la colline de Constantin retentit pour les Souverains Pontifes l’écho des paroles: In hoc signo vince, on peut dire que, du fond du tombeau de saint Pierre, part sa réponse: In hoc signo vici.

Mais c’est toujours par la croix qu’il lui faut vaincre. Pie IX l’a portée assez longtemps. Que sera-t-elle pour son successeur? Qu’importe, pourvu que la victoire soit au bout!

Vous ai-je dit que j’ai pu hier baiser le pied de Pie IX? Il était exposé non dans un cercueil, mais sur une sorte de lit. Même dans la mort il attirait, comme il a attiré toute sa vie. Ah! que son successeur sache faire de l’amour de la papauté une institution impérissable et qui ne s’arrête pas au plus aimé des Papes!

Adieu, mes enfants. Je vous écrirai, dès qu’on connaîtra le nouveau Pape.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Alors anglaise comme lui.