DERAEDT, Lettres, vol.12 p. 337

27 feb 1878|28 feb 1878 Rome BAILLY_EMMANUEL aa

Correspondances pour le journal – Rome et le pape avant le couronnement.

Informations générales
  • DR12_337
  • 6195
  • DERAEDT, Lettres, vol.12 p. 337
  • Orig.ms. ACR, AI 360; D'A., T.D. 31, n. 358, pp. 293-299.
Informations détaillées
  • 1 APOSTOLAT DE LA CHARITE
    1 ARMEE
    1 ARMEE PONTIFICALE
    1 ASSOCIATIONS OEUVRES
    1 BUT DE LA VIE
    1 CARDINAL
    1 CATHOLIQUE
    1 CHANOINES
    1 CHEMIN DE FER
    1 CLERGE ROMAIN
    1 COLERE
    1 COMBATS DE L'EGLISE
    1 CONGREGATION DE LA PROPAGANDE
    1 CONGREGATIONS ROMAINES
    1 CREANCES A PAYER
    1 CRITIQUES
    1 DEPOUILLE
    1 DIGNITES ECCLESIASTIQUES
    1 DIPLOMATIE
    1 DOULEUR
    1 ECONOMIES
    1 ECRITURE SAINTE
    1 ELECTION
    1 ENERGIE
    1 ESPERANCE
    1 ETUDES ECCLESIASTIQUES
    1 FATIGUE
    1 FECONDITE APOSTOLIQUE
    1 FEMMES
    1 FORTUNE
    1 FRANC-MACONNERIE
    1 FUNERAILLES
    1 GOUVERNEMENT
    1 GUERRE
    1 HARDIESSE DE L'APOTRE
    1 HISTOIRE DE L'EGLISE
    1 INTERETS
    1 JOIE
    1 MALADIES
    1 MARTYRS
    1 MISSIONS ETRANGERES
    1 NOMINATIONS
    1 NONCE
    1 PAPE
    1 PATERNITE SPIRITUELLE
    1 PELERINAGES
    1 PERSECUTIONS
    1 PEUPLE
    1 PRESSE
    1 REPARATIONS D'IMMEUBLES
    1 REPUBLIQUE ADVERSAIRE
    1 REVOLTE
    1 REVOLUTIONNAIRES ADVERSAIRES
    1 ROYALISTES
    1 SAINT-SIEGE
    1 SECRETAIRERIE D'ETAT
    1 SUBVENTIONS
    1 THEOLOGIE DE SAINT THOMAS D'AQUIN
    1 THEOLOGIENS
    1 TOMBEAU
    1 TRIOMPHE DE L'EGLISE
    1 VENERATION DE RELIQUES
    2 AGNES, SAINTE
    2 AMAT, LUIGI
    2 BARAGNON, NUMA
    2 BARNOUIN, HENRI
    2 BAUDE, GEORGE-NAPOLEON
    2 BISMARCK, OTTO VON
    2 CALIXTE SAINT
    2 CECILE, SAINTE
    2 CICCOLINI, STEFANO
    2 CRETONI, SERAFINO
    2 DAMAS, PAUL DE
    2 DI PIETRO, CAMILLO
    2 DOMITIEN
    2 DUBOIS, JOURNALISTE
    2 FRANCHI, ALESSANDRO
    2 FRANCOIS DE SALES, SAINT
    2 GREGOIRE I LE GRAND, SAINT
    2 GREGOIRE II, SAINT
    2 GREGOIRE III, SAINT
    2 GREGOIRE VII, SAINT
    2 HELIOGABALE
    2 HUMBERT I
    2 KANZLER, HERMANN
    2 LAR., MARQUISE
    2 LEON I LE GRAND, SAINT
    2 LEON II, SAINT
    2 LEON III, SAINT
    2 LEON IV, SAINT
    2 LEON IX, SAINT
    2 LEON XIII
    2 MACCHI, LUIGI
    2 MARGUERITE DE SAVOIE, REINE D'ITALIE
    2 MEGLIA, PIER-FRANCESCO
    2 MUN, ALBERT DE
    2 PAUL, SAINT
    2 PICARD, FRANCOIS
    2 PIE IX
    2 PIE V, SAINT
    2 SACCONI, CARLO
    2 SIMEONI, GIOVANNI
    2 SONNENBERG, ALFRED DE
    2 VALENTINE, SAINTE
    2 VICTOR-EMMANUEL II
    2 ZENON, SAINT
    3 CASTEL GANDOLFO
    3 FRANCE
    3 ITALIE
    3 MALTE
    3 NIMES, EGLISE SAINT-FRANCOIS DE SALES
    3 PEROUSE
    3 ROME
    3 ROME, BASILIQUE SAINT-PIERRE
    3 ROME, CHAPELLE SIXTINE
    3 ROME, PALAIS DU LATRAN
    3 ROME, PANTHEON
    3 ROME, QUIRINAL
    3 ROME, VATICAN
    3 TURIN
  • AU PERE EMMANUEL BAILLY
  • BAILLY_EMMANUEL aa
  • [Rome, 27 et 28 février 1878].
  • 27 feb 1878|28 feb 1878
  • Rome
La lettre

Cher ami,

Vous pouvez dire à l’abbé Barnouin que je mourrai probablement du rhume, pris par moi à Saint-François de Sales(1). Du reste, rien de plus que ma correspondance au journal(2). Dubois se conduit mal, en ne me l’envoyant pas par le train de 2 heures du matin.

Adieu et tout vôtre.

On nous écrit de Rome, [le] 27 février [18]78.

Le Pape, quoique fatigué, donne encore beaucoup d’audiences. Hier soir, il fit prier qu’on se retirât; mais comme on lui demandait une simple bénédiction de la porte de son cabinet, il vint et parla successivement à une quarantaine de personnes. Le matin, il avait été parfait pour le P. Picard et M. de Damas, les deux chefs du pèlerinage. Comme certains personnages avaient fait, comme de coutume, quelques objections, le P. Picard aborda nettement la question, et le Pape lui répondit de façon à prouver que les objections l’avaient peu ému. -« Alors, Très Saint Père, vous désirez que nous poussions aux pèlerinages?- Comment pouvez-vous croire, a répondu le Pape, qu’un père ne désire pas voir ses enfants le plus souvent possible? ».

Vous le voyez, le Pape désire beaucoup qu’on aille le voir. J’espère qu’on aura égard à ses désirs.

Passons à un autre sujet. Si Léon XIII s’était montré à la loggia extérieure de Saint-Pierre, les 101 coups de canon étaient prêts chez les Piémontais. Ils ont fait conjurer qu’on leur fît savoir un petit bout de quelque chose. Silence absolu. Alors ils ont fait proposer qu’on leur écrivît à Turin. Silence sur toute la ligne. On ne s’est pas découragé, on a dépêché au Vatican une des dames d’honneur de la princesse Marguerite(3). Elle a pris le bras du bailly de Malte, M…, dont le nom m’échappe, elle est entrée dans l’antichambre. A peine l’a-t-on reconnue qu’on a donné l’ordre d’évacuer l’antichambre, qui en ce moment est commune au Pape et au cardinal Simeoni. La marquise Lar. ne s’est pas tenue pour battue, elle est restée d’un pied ferme sur l’escalier. Voyant cela, ordre a été donné à M. de Sonn[enberg](4), officier suisse, de la faire évacuer un peu plus bas. Mais la marquise a poussé des cris de chouette. M. de Sonn[enberg] s’est confondu en excuses, mais ses ordres étaient là. La marquise a hurlé. Ce que voyant et entendant, deux soldats suisses qui n’y comprenaient rien, voyant leur commandant apostrophé, ont poussé la dite marquise par les épaules. Heureusement le cardinal di Pietro(5) descendait. La marquise a signifié que si elle s’en allait, elle s’en irait dans sa compagnie, et le pauvre Sonn[enberg] a dû dire au cardinal: « Votre Eminence pourrait-elle permettre à Mme la marquise Lar… de s’en aller avec elle? Je dois prévenir que Madame a la tête assez dure ». Malgré ce, le cardinal a permis, et la marquise, lâchant pied, (on ne dit pas si elle a pris le bras du cardinal) est allée conter son aventure au Quirinal.

Ceci pour vous faire comprendre les dispositions du Pape envers les Piémontais.

On ne sait rien de positif sur les charges à donner. Le cardinal Sacconi reste prodataire; c’est la première dignité de la cour romaine. Simeoni reste secrétaire d’Etat, dit-on, mais il y a grand remue-ménage aux antichambres.

Quant aux économies, voici les détails. On donnait jadis 25.000 francs au Chapitre de Saint-Pierre pour les funérailles du Pape; cette fois, Léon XIII a refusé. « Je paierai les dépenses, a-t-il dit, mais l’Eglise est trop pauvre pour faire des largesses ». On lui présentait une liste de gratifications à donner; le tout se montait à 400.000 francs. « Que faut-il que je fasse? -Très Saint Père, il faudrait mettre là quelque chose.- Donnez-moi une plume ». Il a pris une plume et a fait une croix sur toute la liste. Les gens frustrés ne sont pas contents, le peuple est ravi. Léon XIII pense qu’avec la suppression de ces générosités on peut faire face à beaucoup de dépenses nécessaires. C’est ainsi qu’il a procédé à Pérouse, où il a fondé tant d’oeuvres. Le Pape profite des expériences de l’archevêque.

Décidément le couronnement se fera dimanche, à la Sixtine, et la proclamation à Saint-Pierre, une seconde fois de la fenêtre intérieure. Ce soir, j’ai vu enlever les balustres de la fenêtre principale afin que le Pape puisse être mieux vu. La situation déjà accentuée s’accentuera encore davantage. On sent la vraie population romaine reprendre courage devant une pareille énergie. Je ne sais si M. de Bismarck continue à être content du choix fait par le Sacré- Collège; je me permets d’en douter.

J’avais craint, d’après les on-dit, que le brave général Kanzler(6) ne quittât le Vatican; pourtant il a repris son appartement, mais on ne lui a encore rien dit de positif. Rien de décidé pour le secrétaire d’Etat. Un haut personnage, qui n’aime pas le cardinal Franchi(7), me parlait de lui comme très possible.

On nous écrit de Rome, 27 février 1878:

Les incertitudes sur la nomination du cardinal Simeoni à la charge de secrétaire d’Etat viendraient, paraît-il, de ce qu’il hésite à accepter. Je le regretterais, parce que nous aurions en France un nonce autre que celui désigné depuis longtemps, pour remplacer Mgr Meglia et qui possède les plus précieuses qualités.

Je laisse de côté les bruits sur le départ de M. Baude. Qu’y gagnerait-on? Qu’a gagné l’Empire à donner au Saint-Père des ambassadeurs désagréables? La désaffection des catholiques. Est-ce que la République aurait peur qu’on ne l’aime trop? Qu’elle se rassure.

Mais j’ai à vous entretenir d’un sujet plus important encore. On parle d’enlever au Pape le Vatican. Je n’en crois pas le premier mot; mais si, par impossible, le gouvernement s’obstinait à reléguer le Pape au palais du Latran, voici ce qui paraît devoir arriver. L’agence Havas prétend que le Pape fait réparer son château de Castel-Gandolfo pour aller y passer la saison d’été. Pas du tout. Il le fait, paraît-il, réparer pour aller s’y fixer le jour où les Piémontais s’empareront du musée et de la bibliothèque du Vatican. Mais le lendemain de ce jour-là, la misère soulèverait les Romains. Les Romains ne vivent que de l’or catholique, les Piémontais ne leur donnent que du papier. Le change est au 8 ou 9 pour cent. Si la guerre éclate, ce sera bien autre chose. Et si le Pape part de Rome, pour les Romains ce sera pire encore. A Castel-Gandolfo, le Pape sera entouré d’une population compacte, groupée sur un très petit espace, dans des villages et de petites villes formant un tout de 80.000 âmes. Les Piémontais, déjà très impopulaires à Rome, le seraient en peu de temps bien davantage, et l’on pourrait prévoir le moment où ils deviendraient impossibles. Que si on voulait poursuivre Léon XIII dans son asile, alors il pourrait prendre son vol vers l’exil.

Et il y eut grand signe dans le ciel: une femme… poussait des cris comme si elle enfantait… Et voilà qu’un grand dragon apparut ayant sept têtes et dix cornes, et sur ses têtes sept diadèmes… Et le dragon s’arrêta devant la femme sur le point d’enfanter pour dévorer l’enfant qu’elle mettrait au monde… Et l’on donna à la femme des ailes, comme celles d’un aigle puissant, pour s’envoler au désert, où l’on devait la nourrir(8).

C’est ce que fera la papauté, poursuivie par le dragon révolutionnaire, mais le dragon révolutionnaire n’en viendra pas à bout. Il y échoue depuis dix-neuf cents ans, il y échouera longtemps encore.

Me fais-je illusion? Il me semble qu’en ce moment les catholiques tout court reprennent leurs forces d’autrefois. Ils sont battus, comme l’ont été les chrétiens des premiers siècles, dont je visitais hier les humbles et glorieux tombeaux. Qui eût dit que les vierges Cécile, Valentine, Agnès sortiraient un jour des réduits, où les avait cachées la piété des fidèles? Qui eût dit que les papes si nombreux, dont les corps martyrisés ont reposé dans les catacombes de Saint-Calixte, auraient pour successeurs saint Grégoire, saint Léon, saint Pie V, Pie IX, Léon XIII(9)? Ces catacombes prolongeront-elles Leurs allées sépulcrales pour recevoir la dépouille de nouveaux martyrs? Ils y furent ensevelis en foule. Près du lieu où saint Paul fut décapité, reposent les corps de 10.200 soldats chrétiens, immolés avec leur tribun Zénon(10) à la fureur de quelque Domitien ou de quelque Héliogabale. On a le nom de leur chef, on n’a pas pris la peine d’inscrire celui de l’empereur qui commanda leur supplice. Je pense que la poussière des corps saints, recueillis en si grand nombre au Panthéon, a dû tressaillir, quand on leur a imposé le voisinage des cendres de Victor-Emmanuel.

Je serais infini, si j’énumérais les lieux où sont déposés par mille et dizaines de mille les reliques de ces témoins de la vérité et de la force de l’Eglise qui la prêche. Eh bien, aujourd’hui, que nous ayons ou que nous n’ayons pas de martyrs, la vigueur nous revient, une nouvelle impulsion nous est donnée. Croyez-vous que cette étonnante germination d’oeuvres, qui ont envoyé dimanche dernier plus de cent de leurs représentants, ne soit pas un grave et heureux symptôme de fécondité? Croyez-vous que les discours de MM. Baragnon et de Mun n’aient pas fait frémir sur leurs bancs certains chefs de la franc-maçonnerie, surpris de tant de hardiesse et de l’avenir que cette hardiesse leur présage? Croyez-vous que le cri de douleur, poussé à la mort de Pie IX, et le cri d’espérance et de joie, qui a retenti d’un bout du monde à l’autre, à l’élection de Léon XIII, ne soient pas un signe des temps? Qui connaissait le cardinal Pecci? Ce n’est pas à l’homme, c’est à la papauté, à l’institution pontificale que ces acclamations s’adressent. Croyez-vous qu’une Puissance, dépouillée de tout secours politique et qui suscite dans l’univers entier un tel enthousiasme, soit prête à s’enfoncer dans la nuit et le néant? Croyez-le, si vous le voulez. Moi, je dis qu’elle se prépare à de nouveaux combats, mais aussi à de nouveaux triomphes.

On peut biffer les longueurs.

28 février.

Le Pape a conservé Mgr Macchi pour maître de chambre, mais il change les quatre camériers secrets. Il prend Mgr Cretoni, archiviste de la Propagande depuis près de vingt-cinq ans, homme très intelligent et connaissant sur le bout du doigt toutes les affaires des Missions étrangères; Mgr Ciccolini, président de l’Académie des arcades et littérateur distingué; le troisième est un prêtre de la Pace, prédicateur connu, mais voué aux bonnes oeuvres; on n’a pu me dire le nom du quatrième, mais c’est une personne de mérite(11). Le Pape tient à voir par lui-même et veut être entouré d’hommes qui le tiennent au courant de tout. Il n’est pas seulement théologien remarquable de l’école de saint Thomas, il aime les lettres, a toujours énormément travaillé. On est surpris de ces choix qui dénotent sa connaissance du clergé romain et l’impulsion qu’il veut donner aux affaires, aux études et aux bonnes oeuvres. Evidemment on étudiera, on s’occupera des oeuvres, et les bureaux des Congrégations prendront plus d’activité.

Notes et post-scriptum
1. La paroisse de l'abbé Barnouin. Le 3 février le P. d'Alzon y avait prononcé le panégyrique de saint François de Sales devant les cercles ouvriers.
2. Elle est toujours épinglée au billet adressé au P. Emmanuel. Les critiques qu'elle suscita (v. *Lettre* 6207 et n.) prouvent qu'elle fut vraiment publiée.
3. Femme d'Humbert Ier, donc en fait reine d'Italie depuis la mort de Victor-Emmanuel II, survenue quelques semaines plus tôt.
4. Colonel de la garde suisse.
5. Vice-doyen du Sacré Collège, cardinal in petto en 1853, publié en 1856. Il sera bientôt, après la mort du cardinal Amat (30 mars), doyen du Sacré Collège et camerlingue.
6. Hermann Kanzler (1822-1888) avait été commandant en chef de l'armée pontificale et pro-ministre des Armes. C'était un homme de bien, et depuis la fin des Etats pontificaux il se montrait très soucieux du bien-être de ses anciens soldats.
7. Franchi prit la place de Simeoni à la Secrétairie d'Etat et Simeoni celle de Franchi à la Propagande.
8. Ap. 12, 13-14.
9. Les trois premiers Grégoire, dont Grégoire I le Grand (590-604), sont saints, ainsi que Grégoire VII (1073-1085). De même les quatre premiers Léon et Léon IX (1002-1054), pape alsacien. St Pie V (1566-1572) fut le grand maître d'oeuvre de la réforme catholique. il fit notamment publier le catéchisme du concile de Trente ainsi que le bréviaire et le missel romains.
10. Le martyre de Zénon et de ses 10203 compagnons appartient au domaine des légendes hagiographiques.
11. Dans la première édition (Pie IX) comme dans la deuxième (Léon XIII) de la *Gierarchia ecclesiastica* de 1878, le nombre des camériers secrets *partecipanti* est de neuf. Dans la deuxième liste cinq noms sont nouveaux. Parmi eux nous trouvons en effet Cretoni, qui devient pro-substitut à la Secrétairie d'Etat, et Ciccolini.