DERAEDT, Lettres, vol.12 p. 530

31 aug 1878 Nîmes BOUGAUD Abbé Victor

Les causes de la diminution des vocations sacerdotales.

Informations générales
  • DR12_530
  • 6416
  • DERAEDT, Lettres, vol.12 p. 530
  • Brouillon autogr. ACR, AN 171; D'A., T.D.39, pp.91-99.
Informations détaillées
  • 1 ADOLESCENTS
    1 ALUMNATS
    1 AMBITION
    1 AMOUR DES AISES
    1 ANIMAUX
    1 APOSTOLAT
    1 ARCHITECTURE SACREE
    1 AUSTERITE
    1 AUTEURS SPIRITUELS
    1 BACCALAUREAT
    1 BAPTEME
    1 BON PRETRE
    1 BOURSE D'ETUDES
    1 CATECHISME
    1 CATHOLIQUE
    1 CELEBRATION DE LA MESSE PAR LE PRETRE
    1 CHANT GREGORIEN
    1 CHAPELLE
    1 CHATAIGNIER
    1 CIMETIERE
    1 CITE
    1 CLERGE
    1 CLERGE SECULIER
    1 COLLEGES
    1 CONFESSION SACRAMENTELLE
    1 CONGREGATION DES AUGUSTINS DE L'ASSOMPTION
    1 CONVERSATIONS
    1 CORPS DE JESUS-CHRIST
    1 CRAINTE
    1 CRITERES D'ADMISSION AU POSTULAT
    1 CRITIQUES
    1 CURE
    1 DECADENCE
    1 DEPENSES
    1 DEPOUILLE
    1 DEVOIRS DE CHRETIENS
    1 DISCIPLINE ECCLESIASTIQUE
    1 DOMESTIQUES
    1 DONS EN ARGENT
    1 ECOLES
    1 ECRITURE SAINTE
    1 EDIFICE DU CULTE
    1 EDUCATION EN FAMILLE
    1 EDUCATION RELIGIEUSE
    1 EMPLOIS
    1 ENFANTS
    1 ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE
    1 ENSEIGNEMENT DE L'HISTOIRE
    1 ENSEIGNEMENT DE LA DANSE
    1 ENSEIGNEMENT DE LA LITURGIE
    1 ENSEIGNEMENT PRIMAIRE
    1 EPISCOPAT
    1 ESPRIT DE L'ASSOMPTION
    1 ESPRIT DESINTERESSE A L'ASSOMPTION
    1 ESPRIT ETROIT
    1 ETAT ECCLESIASTIQUE
    1 ETUDES ECCLESIASTIQUES
    1 EVECHES
    1 EVEQUE
    1 EXAMENS ET DIPLOMES
    1 EXAMENS SCOLAIRES
    1 FAUTE D'HABITUDE
    1 FECONDITE APOSTOLIQUE
    1 FILLES DES ECOLES
    1 FORMATION MUSICALE
    1 GRANDS SEMINAIRES
    1 HERESIE
    1 HONTE
    1 HUMANITES
    1 IDEES DU MONDE
    1 INSTITUTS RELIGIEUX
    1 INSTRUCTION RELIGIEUSE
    1 INTELLIGENCE
    1 INTEMPERIES
    1 JEUX
    1 LIVRES
    1 LOI CIVILE
    1 LOISIRS
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 MAITRES
    1 MAITRES CHRETIENS
    1 MAL MORAL
    1 MENSONGE
    1 MERE DE FAMILLE
    1 MISSIONNAIRES
    1 MOEURS DE LA FAMILLE
    1 MOEURS SACERDOTALES
    1 MORTIFICATION
    1 MUSIQUE RELIGIEUSE
    1 NOTRE-DAME DES CHATEAUX
    1 NOTRE-SEIGNEUR
    1 NOVICES ASSOMPTIONNISTES
    1 OEUVRES DE JEUNES
    1 ORATOIRE
    1 ORDINATIONS
    1 ORDRES SACRES
    1 PARDON
    1 PARENTE
    1 PARENTS
    1 PAROISSE
    1 PATRONAGES
    1 PAUVRETE
    1 PECHE
    1 PERFECTION
    1 PETITS SEMINAIRES
    1 PIETE
    1 POPULATION
    1 PREMIERE COMMUNION
    1 PRETRE SECULIER
    1 PROFESSEURS D'UNIVERSITE
    1 PROFESSIONS
    1 PROPRETE
    1 QUETES
    1 RECONNAISSANCE
    1 RECREATIONS DES RELIGIEUX
    1 RECRUTEMENT SACERDOTAL
    1 RELIGIEUX
    1 REMEDES
    1 RENOUVELLEMENT
    1 RESPECT
    1 RESPECT HUMAIN
    1 RESPONSABILITE
    1 RESSOURCES FINANCIERES
    1 RESSOURCES MATERIELLES
    1 RETRAITES PASTORALES
    1 REVOLUTION
    1 RHETORIQUE
    1 RUSE
    1 SACERDOCE
    1 SAINTETE
    1 SAINTETE DE L'EGLISE
    1 SAINTS DESIRS
    1 SATAN
    1 SEMINAIRES
    1 SEMINARISTES
    1 SIMONIE
    1 SOUVENIRS
    1 SUPERIEUR DE COMMUNAUTE
    1 SURVEILLANCE DES ELEVES
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 TRAVAIL MANUEL
    1 VACANCES
    1 VEPRES
    1 VERTU DE CHASTETE
    1 VICAIRE
    1 VICAIRE GENERAL
    1 VICES
    1 VIE DE PRIERE
    1 VIE RELIGIEUSE
    1 VIE SPIRITUELLE
    1 VIN
    1 VIOLENCE
    1 VOCATION
    1 VOCATION SACERDOTALE
    1 ZELE APOSTOLIQUE
    2 BEAU, ABBE
    2 BESSON, LOUIS
    2 BOUGAUD, LOUIS-VICTOR
    2 BROUILLOT, ABBE
    2 BUSSON, CLAUDE-IGNACE
    2 CABRIERES, ANATOLE DE
    2 CART, JEAN-FRANCOIS
    2 CHAFFOY, CLAUDE-FRANCOIS DE
    2 CHRYSOSTOME DE BARJAC, CAPUCIN
    2 CUENOT, ABBE
    2 DONNET, FRANCOIS
    2 FREPPEL, CHARLES-EMILE
    2 LECOURTIER, FRANCOIS
    2 LOUIS-PHILIPPE Ier
    2 ONAN
    2 PERIER-MUZET, JEAN-PAUL
    2 PEYRIES
    2 PICARD, FRANCOIS
    2 TESTE, JEAN-BAPTISTE
    2 THOMASSIN, LOUIS
    2 VERNIER, ABBE
    2 VEUILLOT, FRANCOIS
    2 VEUILLOT, LOUIS
    3 BARJAC
    3 BEAUFORT-SUR-DORON
    3 BEAUFORTIN
    3 BESANCON
    3 BORDEAUX
    3 CANA
    3 LAVAL
    3 MIDI
    3 MONTPELLIER
    3 MOUTIERS
    3 NICE
    3 NIMES
    3 NIMES, RUE DE L'ARC-DU-GRAS
    3 NIMES, RUE DES ORANGERS
    3 NIMES, RUE DOREE
    3 ORLEANS
    3 PARIS
    3 PARIS, SEMINAIRE SAINT-SULPICE
    3 SAVOIE
  • A MONSIEUR L'ABBE VICTOR BOUGAUD
  • BOUGAUD Abbé Victor
  • [Nîmes, fin-août ou début-septembre 1878](1).
  • 31 aug 1878
  • Nîmes
La lettre

Monsieur le Vicaire général(2),

Au retour d’une excursion de quelques jours, j’ai trouvé la brochure Sur le péril de l’Eglise, que vous avez bien voulu m’adresser, et je me hâte de vous en remercier. La question que vous traitez me préoccupe depuis vingt-cinq à trente ans, et je me permettrai de vous transmettre quelques humbles observations pratiques.

Ma lettre étant confidentielle, je ne craindrai pas de tout dire. La diminution des vocations sacerdotales tient à six causes:

1° Aux enfants;

2° Aux parents;

3° Aux maîtres religieux de l’enseignement primaire;

4° Aux prêtres de paroisse;

5° Aux directeurs de séminaire;

6° Aux évêques.

Aux enfants, qui sont détournés de la vocation par les mauvaises habitudes, l’amour de jouir, le baccalauréat;

Aux parents qui, ne voulant d’enfants que le moins possible, n’ont plus à en donner à Dieu; qui, trop peu fortunés, ne veulent pas envoyer au séminaire des enfants capables de rapporter davantage dans le monde, etc.;

Aux instituteurs religieux d’enseignement primaire, qui prendront pour leurs Congrégations des enfants qui avaient la vocation sacerdotale;

Aux prêtres de paroisse, qui, n’aimant pas leur état, ne tiennent pas à le voir embrassé par d’autres; aux jeunes vicaires, qui donneront des répétitions payées, mais non gratuites, quand il s’agira de préparer un enfant pour l’autel; aux prêtres de village qui passeront leur temps au milieu de choeurs de jeunes personnes, jamais avec les jeunes gens; aux curés de ville, qui paieront cher la musique des offices, donneront peu à l’éducation cléricale;

Aux directeurs de séminaire, qui ne savent pas assez ce que c’est que former un prêtre;

Aux évêques, dont malheureusement plus d’un, et des plus saints, redoutent un clergé trop nombreux.

J’ai indiqué très rapidement les faits, parce que je vais revenir sur ce sujet en montrant le remède là même où j’ai trouvé le mal. Je parlerai des enfants, des parents, des instituteurs religieux, des prêtres de paroisse, des directeurs de séminaire, des évêques.

Les enfants

Quand Notre-Seigneur disait: Sinite parvulos venire ad me(3), je crois qu’il parlait de tous, sans doute, mais surtout de ceux qu’il faut lui offrir pour le sacerdoce. Or, quoi qu’on dise, que d’écoles religieuses, où les moeurs ne sont pas surveillées! que de désordres dans les collèges les plus chrétiens! que de respect humain pour parler aux enfants de mortification! Combien peu l’esprit de prière est-il suggéré!

On peut, quoi qu’on dise, réparer bien des choses par une exacte surveillance. J’ai vu des enfants, que leurs mères me disaient avoir été gâtés par leurs bonnes ou leur précepteur, en avoir totalement perdu le souvenir. Les enfants ont une disposition infuse par le baptême à revenir à l’innocence, quand on les arrête à temps sur la pente du mal. Les idées de plaisir ou d’ambition les envahissent trop, pour qu’on puisse indiquer un remède spécial, sinon de les prendre un à un. Les avis généraux réussissent peu en pareille matière.

Et quant au baccalauréat, tel qu’il est, je le crois inventé par le diable pour détourner les jeunes gens de l’instruction religieuse et de la vocation ecclésiastique. Je voudrais qu’on ne permît à un élève du sanctuaire de prendre son diplôme que quand il serait dans les ordres sacrés. On semblerait perdre un peu de temps, on gagnerait beaucoup de vocations.

Les parents

J’en dirai peu, sinon que je n’ai bien compris le crime d’Onan(4) que quand je l’ai comparé à la perte des vocations. Une femme se confesse. Elle n’a été que passive, on n’insiste pas; et pourtant le pays se dépeuple et le sanctuaire devient désert. Je n’ose pas insister. Il y a là une question qu’il faudrait réserver aux évêques, dans leurs avis aux retraites pastorales. Evidemment il y a là une sorte d’hérésie pratique, comme la simonie au moyen-âge. Ce sont deux moyens également infernaux de tarir les sources du sacerdoce.

Inutile de revenir sur les devoirs des parents: c’est trop connu, et on ne les connaît plus.

Les instituteurs religieux

Je ne parle pas des autres. A Nîmes et ailleurs, il est trop vrai qu’ils détruisent souvent les vocations sacerdotales pour trouver des recrues pour eux. J’ai les confidences de certains directeurs d’écoles ecclésiastiques. Le mal est grand. Il ne faut pas l’aggraver par des récriminations indiscrètes; mais les évêques, j’en suis convaincu, doivent aviser.

Le clergé paroissial

Thomassin(5), dans la préface de la Discipline ecclésiastique, dit que l’évêque est seul fécond. Oui, pour la perpétuité de l’épiscopat et du sacerdoce; mais tout bon prêtre est aussi fécond à un autre point de vue. Point de bon prêtre qui n’ait, par ses leçons ou son argent, formé ou travaillé à la formation d’autres prêtres. Je ne connais pas d’exception à cette règle.

Quand j’arrivai à Nîmes, en 1835, il y avait encore dans le diocèse au moins quarante excellents prêtres, formés par un vieux Capucin, à qui M. Teste, l’ancien ministre de Louis-Philippe, avait cassé une jambe pendant la première Révolution (6). Retiré dans un hameau, où l’on n’arrivait, quand je le visitai, que par le lit d’un ruisseau et que je ne pus suivre sans me mouiller les pieds, le logement du P. Chrysostome consistait en une chambre, avec une table au milieu. Là était l’étude, la classe, la salle à manger. Le soir, le dessus de la table était enlevé, et il se couchait dans son cercueil ainsi tout préparé. Un orage emporta ses ossements dans un cimetière en pente, mais il avait formé quarante prêtres. Avec quelles ressources, dans un pays où la châtaigne était l’unique aliment des montagnards? Il les trouva, et ses jeunes séminaristes purent être ordonnés.

Du reste, il ne faut pas trop nous plaindre. Il y a quinze ans, à Montpellier, il y avait 45 prêtres sans emploi. L’épiscopat de Mgr Lecourtier put faire des vides, mais Mgr de Cabrières les aura bientôt remplis. A Nîmes, grâce à un supérieur du petit séminaire, qui, grâces à Dieu, n’y est plus depuis plusieurs années, nous n’avons eu l’an passé que deux élèves; cette année, quinze entreront au grand séminaire.

Si Messieurs les curés de village, par eux-mêmes, Messieurs les curés des villes, par des maîtrises sérieuses, le voulaient bien, on aurait des vocations en quantité. Avec du zèle ils auraient et les vocations et les ressources. Le P. Chrysostome avait trouvé dans son hameau les unes et les autres. Il suffirait de renoncer, pour quelque temps, à certaines dépenses de luxe, se contenter de l’exacte propreté des églises; les dons afflueraient vite. Les exemples abondent autour de moi.

Les directeurs de séminaires

J’ai entendu raconter à Mgr de Chaffoy et à Mgr Cart, tous deux originaires de Besançon, ce qu’avaient fait MM. Brouillot, Beau, Vernier, Cuenot, Busson, pour attirer des vocations. Cela tient du prodige. Messieurs les directeurs des petits et grands séminaires se donnent-ils le mouvement nécessaire? Je me permets d’en douter. On prépare sa classe ou son cours, on dit sa messe de bonne heure, on ne paraît presque jamais en récréation, [sinon] quand on est de semaine. Hélas! hélas! J’en sais long là-dessus. Où est le zèle?

Mgr de Nimes vient de remplacer son supérieur du petit séminaire, jadis excellent professeur de rhétorique, pieux comme un saint, mais si timide qu’il n’a jamais pu dire la messe dans la chapelle de la maison: il lui faut être seul dans un oratoire, avec son seul clerc, presque toujours un neveu ou petit cousin. L’an dernier, j’allai présider la première communion. Au moment où je distribuai le corps de Notre-Seigneur, il ne put, le 21 juin, se décider à ôter sa toque de velours. Et pourtant, il a envoyé douze élèves au grand séminaire[.Que sera-ce avec le nouveau, qui](a), avant d’être nommé, avait trouvé le moyen de fonder huit demi-bourses?

Selon moi, les vacances des directeurs, professeurs, supérieurs doivent être consacrées à parcourir les paroisses et à stimuler le zèle des curés. Ce qu’on obtient par ce moyen est prodigieux.(b) Il faut fonder des demi-bourses. On en a plus qu’on en veut, mais on doit savoir se faire Frère quêteur. Or, c’est ce dont rougissent bien des curés.

Mais, par-dessus tout, il faut soi-même préparer des enfants. J’ai observé dans le Midi que des jeunes ecclésiastiques, qui portent sur leur physionomie la trace vivante de leur culture intellectuelle, au bout de quelques années de village, perdent cette expression. Cela est surtout frappant dans les retraites pastorales, où, comme à Nîmes, les séminaristes servent les prêtres et où la comparaison est manifestement contraire aux curés. D’où vient cela? De ce que le curé ne travaille presque plus. Donnez-lui des enfants à élever: son intelligence remontera à un certain niveau. Or, pour prendre pour exemple mon diocèse, où nous avons à peu près 200 paroisses rurales, si chaque curé élevait quatre enfants, comme la loi le lui permet, on aurait 800 enfants, de la huitième à la quatrième élevés dans les presbytères. 200, chaque année, pourraient entrer en troisième au petit séminaire, -mettez seulement le quart, c’est-à-dire 50-. Que la moitié seulement s’élèvent au sacerdoce, nous aurions 25 prêtres par an. Or, en moyenne, nous n’en perdons chaque année que 12 à 15.

Mais à quoi bon tous ces calculs, si, arrivés au petit séminaire, les enfants ne trouvent que des professeurs universitaires, n’entrent réellement(c) pas dans un foyer sacerdotal; si, dans le grand séminaire, les directeurs se partagent en coteries, malgré leur petit nombre, et, pour employer une expression familière, tirent chacun de leur côté?

Les évêques

Incedo per ignes(7). J’espère pourtant être assez respectueux, pour me faire pardonner ce que je vais dire.

Saint Thomas établit cette différence entre la perfection du religieux et celle de l’évêque que le religieux doit être perfectus et l’évêque perfectior. L’architecte, qui veut construire à lui seul un immense édifice, n’en viendra pas à bout: il lui faut des ouvriers et des contremaîtres. L’édifice spirituel d’un diocèse a pour ouvriers les prêtres, pour contremaîtres les directeurs du séminaire, pour pierres de taille les enfants, pour carrières les familles. A l’évêque, ce grand architecte des âmes, de chercher les bonnes carrières, à préparer l’extraction des pierres, leur taille, à diriger la coupe des contreforts, des arceaux, et le reste. L’architecte ne fait pas tout, seul: il surveille, épiscopos. Or, si l’évêque n’a pas le feu sacré, comment le communiquera-t-il?

Je parlais du choix des carrières. A la différence des carrières de pierre, qui resteront toujours ce qu’elles sont, l’évêque peut améliorer les carrières morales, qui sont les familles, soit par le choix des curés, soit par les avances faites pendant les visites pastorales, soit par les encouragements donnés aux oeuvres de jeunesse, soit par les catéchismes. Ces deux derniers points sont capitaux. Je connais une détestable paroisse du diocèse de Bordeaux, composée de 19 hameaux. Un saint prêtre n’y agissait que par les catéchismes: au bout d’un an, la paroisse fut renouvelée. Dans notre diocèse, sur nos montagnes où les écarts vont jusqu’à dix-huit kilomètres du centre de la paroisse, les curés zélés obtiennent des résultats semblables avec des catéchismes.

Quant aux oeuvres de jeunesse, avant qu’elles ne fussent à la mode, un curé de mes amis, faible de moyens, mais fort de zèle, a renouvelé sa paroisse, d’où sont sortis de nombreux prêtres et religieux, en laissant le choeur des jeunes filles, [ruine des jeunes prêtres, en achetant un vieux billard, quelques bouteilles de vin blanc, et](d) en payant un chantre voisin pour venir l’hiver apprendre le plain-chant à ses jeunes gens(8). A la fête votive, c’étaient les jeunes filles qui cherchaient des danseurs et n’en trouvaient pas. Or, pendant longtemps, la paroisse avait été déplorable, et ces dernières [années] elle avait résisté à la tentation de la richesse par les vices.

Je crois que tout évêque, favorisant les catéchismes bien faits et les oeuvres de jeunesse, aura des mines abondantes de vocations.

Quant aux enfants élevés chez les curés, pourquoi ne pas ouvrir des concours au chef-lieu de canton que présiderait, une ou deux fois par an, un prêtre envoyé par l’évêque? Une demi-bourse, un prix encouragerait et les élèves et les maîtres. Le curé, qui sait qu’on tient compte de cette sorte de travail pour le choix des curés, donnera un travail décuplé, s’il a de l’émulation. Quant aux autres hélas! La vigne du Seigneur sera toujours labourée par quelques ânes, disait un vieil évêque.

1° Les catéchismes pour réformer les familles,

2° Les oeuvres de jeunesse pour découvrir les vocations,

3° Les toutes petites écoles presbytérales dans les villages,

4° Les maîtrises sérieuses dans les grandes villes,

5° La vigilance épiscopale très active sur les directeurs des grands et surtout des petits séminaires, tels sont les moyens coordonnés, qui, à mes yeux, peuvent aider à préparer le recrutement sacerdotal et qui sont entre les mains de Nos Seigneurs les évêques, pourvu qu’ils s’en occupent, non par manière de conversation et de mandement, mais du matin au soir, comme de la plus grave de leurs responsabilités.

Me permettez-vous de vous dire, par manière d’appendice, ce que nous faisons pour le recrutement de notre petite Congrégation des Augustins de l’Assomption? Inspirés par l’idée des Ecoles apostoliques, mais poursuivant un autre but, nous sommes arrivés à ces conclusions:

D’abord nous sommes catholiques et à ce point de vue nous travaillons pour tous, disposés à donner comme nous l’avons fait déjà, nos élèves soit au clergé séculier soit à d’autres congrégations quand ils s’y sentent appelés.

Secondement nous demandons par dessus tout des prières, pour que le bon grain soit fécondé par la pluie de la grâce.

Nous sommes convaincus:

1° Que nous ne donnerons bien notre esprit qu’à des enfants élevés par nous;

2° Que, pour être bénis de Dieu, il fallait avant tout repousser l’esprit exclusif;

3° Que l’éducation religieuse doit ressembler à l’éducation de la famille et s’adresser à des groupes d’au plus trente ou quarante élèves;

4° Qu’il fallait séparer les plus jeunes des plus grands, pour pouvoir faire de plus nombreuses exclusions chez les moins âgés et donner un cachet plus vigoureux aux humanistes.

Nous avons commencé le 28 août 1871 avec 6 enfants, les 6 cruches de Cana. Nous avons, en ce moment, 120 enfants et nous en avons donné 10 au séminaire de Moutiers en Tarentaise, 2 aux Capucins, 2 aux Trappistes, 3 aux Dominicains, et un certain nombre à Nice, à Nîmes, aux diocèses qui nous ont fourni des enfants.

Nous avons décidé les Capucins à fonder des alumnats; ils ont accepté sur-le-champ. Les Dominicains ont été plus difficiles. Chacun de ces deux Ordres a déjà deux alumnats. D’autres Congrégations ont cru, depuis, devoir nous demander des renseignements. Quant à nous, voici nos conditions:

1° Une lettre des parents promettant de laisser leurs enfants suivre leur vocation;

2° Déclaration des enfants indiquant leur volonté d’être prêtres;

3° Impossibilité pour l’enfant de payer sa pension au petit séminaire, sans quoi, nous l’y envoyons.

5° Deux alumnats: l’un de grammaire, l’autre d’humanités;

6° Vie le plus possible religieuse, une heure de travail des mains, chant des vêpres tous les jours, amour des cérémonies.

A la fin des études, ils déclarent où ils veulent aller. Il y a trois jours, un enfant me consultait pour venir chez nous. Je l’ai rendu aux missionnaires de Savoie qui nous l’avaient confié, et j’ai donné à un autre une excellente lettre pour le vicaire général de Nice. Chacun sait qu’il suit sa vocation. Il va entrer à Saint-Sulpice un jeune homme plein de moyens, mais dont la mère nous a menti pendant plusieurs années, disant que son fils voulait être religieux. Elle a eu bien tort. Nous l’eussions aussi bien soigné, s’il eût dit la vérité, et elle n’eût pas faussé le caractère de son enfant.

Peut-on faire dans les diocèses de pareilles oeuvres? Je le crois, en tenant compte d’une foule de circonstances qui en modifieraient nécessairement les détails. Nous comptons avoir, d’ici peu, une moyenne de 10 novices par an, tout en en donnant à leurs diocèses et à d’autres Ordres au moins le double. Depuis sept ans 48 enfants, nos élèves, ont embrassé ailleurs que chez nous l’état religieux ou ecclésiastique.

Si vous veniez dans le Midi, Monsieur l’abbé, je serais heureux de vous montrer un de nos alumnats. L’an prochain, si vous allez en Savoie, je vous en ferai visiter un, à 1.200 mètres au-dessus du niveau de la mer(9), preuve qu’on peut en établir partout. Le 1er août, j’espère que nos enfants auront fait un chemin carrossable(10) pour parvenir chez eux, et je serais heureux de l’inaugurer avec vous.

Je suis avec respect, Monsieur l’abbé, votre très humble et obéissant serviteur.

Notes et post-scriptum
1. Le 14 septembre, dans une lettre à Picard, le P. d'A. évoque sa lettre à Bougaud. Dans cette dernière il dit qu'il vient de rentrer à Nîmes après une excursion de quelques jours. Or le 23 août, il est effectivement rentré à Nîmes après cinq ou six jours d'absence.
J.-P. Périer-Muzet a trouvé à la Biblioth. Nation. à Paris une copie de ce document, faite pour le P. d'Alzon, signée par lui et envoyée à Louis Veuillot. Elle y est conservée avec le billet d'envoi à ce dernier (*Lettre* 6417). Nous donnerons ci-dessous (appels de notes par les lettres de l'aphabet) les variantes constatées entre notre document et la transcription faite par J.-P. Périer-Muzet.
a. B.N.: au lieu de ce que nous avons mis entre crochets on lit: *qui seront plus nombreux avec le nouveau supérieur, lequel avait*.
b. La suite du paragraphe n'est pas en B.N.
c. Ce dernier mot manque en B.N.
d. B.N.: au lieu du passage entre crochets: *et réunissant les jeunes gens, en achetant un vieux billard (on a fait des maîtrises, ici depuis trois ans ce sont de mauvaises plaisanteries), quelques bouteilles de vin blanc, etc.*
2. Victor Bougaud (1824-1888), vicaire général d'Orléans, devint évêque de Laval en 1887. Il venait d'écrire *Le grand péril de l'Eglise de France*, où il attirait l'attention sur les difficultés du recrutement du clergé. Cependant ce livre fut mal accueilli par l'épiscopat, qui contestait ses statistiques, démentait le fait que les vocations ecclésiastiques aient diminué et lui reprochait d'apporter de l'eau au moulin de ceux qui prétendaient que le peuple français n'éprouvait plus le besoin de la religion. Ce fut le cas notamment de Mgr Freppel et du card. Donnet (v. François VEUILLOT, *Louis Veuillot*, t.4, pp. 726-728).
3. Lc 18, 16.
4. Gn 38, 4-10, récit familier aux moralistes et aux confesseurs du XIXe s., particulièrement développé à l'intention des familles de la bourgeoisie, où était dénoncé par l'Eglise le péril du malthusianisme.
5. Célèbre oratorien français, Louis Thomassin (1619-1695) expose une doctrine augustinienne modérée à l'encontre des gallicans et des jansénistes de son siècle.
6. Le capucin est le P. Chrysostome de Barjac, décédé en 1819. Quant à M. Teste, le P. d'A. l'avait connu personnellement. Ex-député constitutionnel d'Uzès, au passé révolutionnaire violent, il fut ministre des Travaux publics sous Louis-Philippe, pair de France et président de la Cour de Cassation en 1843.
7. Nous dirions: "je marche sur des charbons ardents".
8. Ce sont là de vieux souvenirs du temps de la jeunesse apostolique et des patronages de l'abbé d'A. à Nîmes, lorsqu'il résidait rue de l'Arc du Gras, rue Dorée ou rue des Orangers. Souvenirs confirmés par des témoignages reproduits en partie dans *Notes et Documents*, t.II, notamment celui de M. Peyriès:
"Quand nous allions chez lui, nous trouvions un accueil, un intérêt qu'on ne peut pas dire. Il nous racontait des traits, il nous égayait, il jouait avec nous...M. d'A. nous procura même, de ses deniers, des jeux multiples. Un jour, aidé sans doute de quelques personnes, il nous ménagea un billard qui ne chôma pas souvent. Il fit là des parties de billard, se mettant à notre portée, s'exerçant à l'escrime et à la lutte comme l'un de nous. On l'aimait à la folie. Un jour même, étendu sur le tapis du billard et causant simplement avec nous, il nous raconta des traits de jeunesse: il disait humblement, avec abandon, des choses à son désavantage, entre autres qu'il avait eu la faiblesse ou la bêtise de passer une fois deux heures à mettre sa cravate..."
9. Exagération que l'on pardonnera à un méridional. L'alumnat de N.-D. des Châteaux, près de Beaufort sur Doron, se trouve à 990 mètres. Ce belvédère du Beaufortin, couronné d'une forteresse médiévale, présente une forme ovale de 117 m. de long et 30 m. de large.
10. L'*Assomption* du 15 août 1879 (n°40, p.319) signale que l'on peut désormais gravir la sainte colline des Châteaux avec facilité grâce à une belle route en lacets.
11. Les notes 3 à 10 sont de J.-P. Périer-Muzet.