DERAEDT, Lettres, vol.13 , p. 9

4 jan 1879 Nîmes BAILLY_VINCENT de Paul aa

Votre plan est admirable mais si caché… – La vérité en globules imperceptibles – Et vivent les macédoines! – Et vive le clair-obscur! – Pauvre public.

Informations générales
  • DR13_009
  • 6569
  • DERAEDT, Lettres, vol.13 , p. 9
  • Orig.ms. ACR, AH 191; D'A., T.D. 28, n. 538, pp. 144-145.
Informations détaillées
  • 1 APOSTOLAT
    1 APOSTOLAT DE LA VERITE
    1 AVE MARIA
    1 BETISE
    1 CANTIQUES
    1 CHARITE THEOLOGALE
    1 CRITIQUES
    1 DEVOTION
    1 DON D'INTELLIGENCE
    1 FOI
    1 IGNORANCE
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 OPINION PUBLIQUE
    1 PLANS D'ACTION
    1 PREDICATION
    1 PRESSE CATHOLIQUE
    1 RHETORIQUE
    1 RIRE
    1 SALUT DES AMES
    1 VERITE
    3 SARTHE, DEPARTEMENT
  • AU PERE VINCENT DE PAUL BAILLY
  • BAILLY_VINCENT de Paul aa
  • Nîmes, 4 janvier [18]79.
  • 4 jan 1879
  • Nîmes
La lettre

Cher ami,

Votre plan(1) est admirable, mais si habile, si fin, si caché, si indécouvrable que je me demande ce que c’est que la vérité en globules imperceptibles, l’apostolat homéopathique, la prédication par les infiniment petits. Mais si les hommes ne la peuvent porter à plus forte dose! La vérité qui plaît, à condition qu’on ne se doute pas que c’est elle. Mais paff! Elle vous saisit, elle vous terrasse; les ave ont remporté la bataille, on est vaincu sans s’en douter. La foi a pénétré par les énigmes et la charité a prêché par la caricature. On est devenu dévot par un air de cantique, on a acquis la science par des rébus. Et vlin! et vlan! Tant pis pour les gens attrapés! Légendes, cantiques, caricatures, histoires, méditations, nouvelles pour rire, critiques, tout y est. Et vivent les macédoines.

Maintenant que j’ai reçu le plan du plan, je comprends que je ne dois pas comprendre. Et vive le clair-obscur, si obscur qu’il n’est clair que pour son auteur. Quant à l’effet, il est d’autant plus phénoménal qu’on s’en doute moins et que personne n’y comprend rien(2). Voyons, je ne veux pas plaisanter, mais votre idée est bien d’évangéliser par le galimatias simple. Quant au double, bernique! Vous savez trop bien ce que vous voulez pour qu’il pénètre dans vos pages. Le double y pénètrera d’autant moins que vous y mettrez d’autant plus de galimatias simple. Tant pis pour le public. Le XIXe siècle ne peut pas en porter plus.

Vous voyez bien que je vous ai parfaitement compris. Dans ce cas continuez, mais dans ce cas aussi le public est fameusement bête et sot, pour qu’il faille [le] convertir par de pareils moyens.

Totus tibi.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Vincent de Paul a donc fourni au P. d'Alzon le plan que ce dernier l'invitait à avoir (*Lettre* 6566). Nous n'en disposons malheureusement pas. En tout cas ce plan n'a pas satisfait le P. d'Alzon qui donne ici son avis sur un ton ironique et agacé, bien différent du ton encourageant de sa lettre du 1er janvier. Vincent de Paul répondra le [5 janvier]: "Vous voyez mieux que moi, je me tais. Je ne donne que ce que j'ai, mais je demande à donner l'esprit de l'Assomption qu'on me confierait".
2. Nous trouvons ce reproche sous la plume d'autres que le P. d'Alzon. Ainsi un curé de la Sarthe lui écrit le 19 février : "L'entêtement [...] que vous mettez à rester incompris me fait croire qu'il y a beaucoup de fumée dans le feu qui anime vos écrits. Car enfin, si c'était réellement le bien et principalement et avant tout la gloire de Dieu que vous cherchez, vous vous abaisseriez certainement à écrire intelligiblement pour le commun des mortels [...]. L'esprit que vous montrez est très bon, mais il est souvent si fin qu'on n'y voit rien. Ce reproche est le seul (mais il est capital) que j'entends faire au *Pèlerin* [...]. Du jour où [vous userez d'] un langage qui ne soit pas pour les seuls esprits savants, vos abonnés tripleront et vos lecteurs décupleront car alors on pourra prêter le *Pèlerin* et le faire lire dix fois plus". - Si nous pouvons citer cette lettre, c'est parce que Vincent de Paul ne l'a pas mise au panier. Elle ne l'avait certainement pas laissé insensible...