DERAEDT, Lettres, vol.13 , p. 220

19 nov 1879 Nîmes PICARD François aa

La diplomatie se moque-t-elle de Léon XIII? – On obéit filialement mais sans enthousiasme.

Informations générales
  • DR13_220
  • 6831
  • DERAEDT, Lettres, vol.13 , p. 220
  • Orig.ms. ACR, AF 377; D'A., T.D. 26, n. 760, p. 318.
Informations détaillées
  • 1 BELGES
    1 CHOIX
    1 CRAINTE
    1 CRITIQUES
    1 DIPLOMATIE
    1 ENSEIGNEMENT
    1 EVEQUE
    1 HONNETETE
    1 LIBERTE DE L'ENSEIGNEMENT
    1 MALADES
    1 PAPE
    1 PARLEMENT
    1 PELERINAGES
    1 REVOLUTION ADVERSAIRE
    1 SAINT-SIEGE
    1 SANTE
    1 SOUVENIRS
    1 SYMPTOMES
    1 ULTRAMONTANISME
    1 VOYAGES
    2 DECHAMPS, VICTOR
    2 DUMONT, EDMOND
    2 FRERE-ORBAN, HUBERT-WALTER
    2 LEON XIII
    2 MAUVISE, MARIE DU CHRIST DE
    2 NINA, LORENZO
    2 PIE IX
    2 VAN HUMBEEK, PIERRE
    2 VAN ZUYLEN, PIERRE
    2 VANNUTELLI, SERAFINO
    3 BELFORT
    3 BRUXELLES
    3 MALINES
    3 ROME
    3 TOURNAI
  • AU PERE FRANCOIS PICARD
  • PICARD François aa
  • Nîmes, 19 nov[embre 18]79.
  • 19 nov 1879
  • Nîmes
La lettre

Cher ami,

Que se passe-t-il donc à Rome que Frère-Orban(1) puisse donner des communications du Vatican, où les évêques belges sont blâmés, comme ils paraissent l’être(2)? Pour moi, je voudrais être éclairé sur cette question si capitale, et je vous conjure de me donner votre appréciation et vos renseignements, si vous en avez. On ne peut pas mieux protester contre les souvenirs de Pie IX, et, s’il y a contradiction, je suis épouvanté d’avoir à choisir(3). Ma conviction est que Léon XIII, s’il vit, fera comme Pie IX. La Révolution, au commencement, s’est moquée de Pie IX; la diplomatie est en train de se moquer de Léon XIII. C’est peut-être utile, afin de bien montrer que le Pape va toujours droitement et naïvement. Ce qui est sûr, c’est que si je suis au pèlerinage de Rome, je serai peu empressé d’aller à l’audience. On obéit filialement, mais on ne s’enthousiasme pas.

Puisque nous ne recevons rien de Rome, peut-être autant vaut-il remettre définitivement le voyage à quelques mois. Qu’en dites-vous? Mère Marie du Christ a été très souffrante. Ce matin, elle est mieux, quoique très faible.

Adieu, et tout à vous en N.-S.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Hubert-Walther Frère-Orban (1812-1896), homme politique libéral, était alors ministre des Affaires étrangères de Belgique (1878-1884).
2. En Belgique, la loi van Humbeeck du 10 juillet 1879 avait érigé en principe la neutralité de l'enseignement de l'Etat, créé une école publique primaire au moins par commune et fermé l'accès de ces écoles aux instituteurs issus des écoles normales libres. L'enseignement de la religion pouvait être donné par les ministres du culte, mais à la demande des parents seulement et en dehors des heures de classe.
La réaction des évêques à cette "loi de malheur" fut extrêmement violente. Alors que le projet de loi scolaire était encore en discussion au Parlement, ils avaient publié une lettre pastorale le condamnant; quand la loi fut votée, ils rédigèrent à l'intention du clergé des "Instructions pratiques", qui excommuniaient pratiquement tous les partenaires de l'école officielle: directeurs, inspecteurs, maîtres et maîtresses, parents d'élèves, et obligeaient les curés, sous peine de péché grave, à ériger une école catholique dans leur paroisse.
Rome n'approuvait certes pas la loi mais, pour éviter un affrontement préjudiciable aux catholiques, elle avait fait savoir au gouvernement que son déplaisir pourrait être atténué par une application qui ne porterait pas atteinte aux croyances du peuple. Quant aux évêques, que le Vatican aurait voulu amener à renoncer à la proscription générale des établissements officiels, ils protestaient tous de leur déférence envers le Saint-Père mais ils restaient sur leurs positions, et à la rentrée scolaire, le cardinal Dechamps (archevêque de Malines depuis 1867, cardinal en 1875) communiqua au clergé les "Instructions pratiques" de l'épiscopat (Pierre van ZUYLEN, *La Belgique et le Vatican en 1879*, dans *Revue générale belge*, 90e et 91e années, 1954, p. 1707-1734, 1901-1915, 2065-2081 et 67-86).
On en était là quand, le 18 novembre à la Chambre, Frère-Orban affirma que le Saint-Siège désapprouvait la position des évêques (la lettre du P. d'Alzon est du 19, et c'est à cela qu'il fait allusion). Que s'était-il passé ? Quelques jours auparavant, prévoyant l'intervention de Frère-Orban, le Secrétaire d'Etat avait adressé au nonce à Bruxelles une longue dépêche explicative, où il démentait le bruit d'un désaccord entre l'épiscopat et le Saint-Siège sur la question des écoles. Frère-Orban, à qui, selon les instructions du cardinal Nina, Mgr Serafino Vannutelli avait laissé copie de la dépêche, exigea son retrait sous peine de faire voter immédiatement par le Parlement la rupture des relations diplomatiques avec le Saint-Siège (rupture à laquelle il était de toute façon décidé depuis son accession au pouvoir, et qu'il trouva le moyen de rendre effective le 28 juin 1880). Pour éviter le pire, le cardinal Nina y avait consenti, et c'est cela qui faisait dire au premier ministre que Rome désapprouvait l'épiscopat belge. *Memorandum du Saint-Siège sur les Affaires Belges* (Rome, de la secrétairerie d'Etat, le 18 juillet 1880), Paris, Pillet et Dumoulin, 1880.
3. Léon XIII a succédé à Pie IX. Le P. d'Alzon pressent ici avec épouvante - c'est son mot - que l'esprit du pontificat précédent ne se maintiendra pas toujours à Rome. Certes l'élément mis en place par Pie IX est toujours dominant dans la Curie, et c'est fort de son soutien sans doute que les évêques belges ont pu se montrer aussi intransigeants dans l'affaire scolaire. Pourtant, dans le conflit qui, quelques mois à peine avant le vote de la loi scolaire, les avait opposés (sauf l'évêque de Tournai, Mgr Dumont) aux ultramontains qui combattaient la Constitution belge, ils avaient été heureux de bénéficier de l'intervention personnelle du nouveau pape.
En mars 1879 en effet, Léon XIII avait déclaré à des journalistes que le système belge étant le plus favorable à l'Eglise, les catholiques ne devaient pas attaquer leur Constitution mais la défendre (P. van ZUYLEN, *Revue générale belge*, 15 août 1954). Il montrait par là qu'il avait une plus juste compréhension des besoins de la société moderne, et qu'il fallait savoir distinguer entre la thèse et l'hypothèse, entre la doctrine, à laquelle l'Eglise restait immuablement fidèle et son application...