DERAEDT, Lettres, vol.13 , p. 341

6 jul 1880 Nîmes BARAGNON_NUMA

On veut se servir de vous.

Informations générales
  • DR13_341
  • 6973
  • DERAEDT, Lettres, vol.13 , p. 341
  • Orig.ms. ACR, AL 103; D'A., T.D. 34, n. 102, pp. 221-222.
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 CHOIX
    1 COLERE
    1 ELECTION
    1 FONCTIONNAIRES
    1 LOISIRS
    1 OEUVRES DE DEFENSE RELIGIEUSE
    1 POLEMIQUE
    1 POLITIQUE
    2 BARAGNON, NUMA
    2 BECHARD, ALPHONSE
    2 BERNIS, JULES DE
    2 BLACAS D'AULPS, STANISLAS DE
    2 BLANCHARD, ADOLPHE
    2 DUMAREST, PAUL
    2 PIEYRE, ADOLPHE
    3 BOUILLARGUES
    3 FRANCE
    3 GARONS
    3 NIMES, ARENES
    3 RODILHAN
  • A MONSIEUR NUMA BARAGNON
  • BARAGNON_NUMA
  • Nîmes, 6 juillet 1880.
  • 6 jul 1880
  • Nîmes
La lettre

Cher ami,

J’ai fait une indiscrétion. Ayant lu la lettre de Blanchard au préfet, je lui ai demandé un rendez-vous, il est venu tout à l’heure. Devant l’absurde décision du Conseil municipal, il a publié sa lettre bien plus tôt qu’il ne se le proposait. On est surpris qu’il ne soit pas encore révoqué(1). Lui croit qu’on prend vingt-quatre heures pour révoquer maire, adjoints, conseil, et faire une commission triée sur le volet.

Je me suis permis de lui dire, comme mon opinion, qu’il pouvait seul trancher le différend(2). Il s’y est absolument refusé, il a même ajouté: « A moins d’aller aux extrémités, Bernis l’emportera, parce qu’il ne reculera devant rien. A la place de Baragnon, j’écrirais une lettre très digne qui le grandirait dans le pays et je me retirerais(3). Quant à Bernis, il ira jusqu’au bout et c’est par là qu’il se coulera. »

Telle est l’appréciation de Blanchard. Il sent qu’en donnant sa démission il devient impopulaire; il ne veut pas se compromettre avec les fous de la Gazette qui étaient pour la fête, à cause des arènes. Ferez-vous la lettre? Je ne vous y engage pas encore. Peut-être pourriez-vous vous en faire écrire une par M.de Blacas vous disant ce qu’il pense de vous et vous engageant, au nom de la position élevée que vous occupez, à ne pas tenir au Conseil général et à vous réserver pour d’autres élections possibles(4). Voilà une idée. Quant à moi, si vous voulez ma pensée, je me réfugierais exclusivement sur le terrain catholique et j’attendrais qu’on vînt me chercher pour consentir à passer à l’autre(5), et j’attendrais qu’on vînt avec des supplications devant lesquelles on ne reculerait pas, quand on aurait besoin de vous.

Mon cher ami, vous savez peut-être plus que moi ces matières générales et particulières de la politique, mais j’en sais plus que vous sur vous. Or, j’ai la certitude que l’on veut se servir de vous et ne pas vous employer plus tard. Il ne faut pas permettre cela. Vous êtes l’orateur populaire, ne vous amoindrissez pas et mettez-vous à même de vous faire prier à deux genoux. On y viendra. Laissez les invitations du 29 sept[embre], refusez-les poliment, sans violence, laissez la porte ouverte pour de nouvelles avances. Quand on sentira que vous consentirez à rendre des services, quand on en appréciera la valeur, on traitera plus respectueusement vos désirs, alors même qu’ils ne seraient pas absolument indiscutables.

Je ne puis vous dire quel renouveau de tendresse m’a donné pour vous votre résolution de rester pour nous défendre. Cela vous amènera peut-être quelques sermons comme celui-ci. Je suis interrompu par Alphonse Béchard, qui est indigné contre Bernis et la coterie; il vous garantit 250 voix à Garons, toutes celles de Rodilhan; il ne compte que sur une minorité à Bouillargues, à moins que vous n’y alliez parler. J’ai conjuré de se taire au Journal du Midi sur la polémique. On vient bien me dire de tout côté que l’indignation contre Bernis monte, mais je ne m’y fie pas. Attendez et surtout ne vous mettez pas trop en colère contre des gens qui n’en valent pas la peine.

Adieu, cher ami. Je vous embrasse tendrement.

E. D’ALZON.

Quand même Blanchard ne voudrait pas accepter, une lettre pour lui faire l’offre serait bon à prouver que vous ne voulez pas tout pour vous.

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. Pour le 14 juillet, qui venait d'être choisi comme jour de fête nationale, des prescriptions ministérielles rendaient obligatoires le pavoisement et l'illumination des édifices publics. Le Conseil municipal de Nîmes, dans sa séance du 5 juillet, avait mis à la disposition de l'administration les fonds nécessaires ("l'absurde décision" dont parle le P. d'Alzon), mais le maire, A. Blanchard, refusant de s'associer à ces réjouissances, avait adressé au préfet Dumarest une lettre où il disait notammennt: "Loin d'évoquer des souvenirs de liberté ou de gloire, le 14 juillet ne rappelle que de sanglants excès [...]. Et cependant, entre toutes les grandes dates de notre histoire, c'est ce jour que l'on a choisi et dont on veut consacrer la mémoire par la célébration d'une fête déclarée nationale. [...]. Maire de Nîmes, j'aurais salué avec un sentiment de patriotisme les étendards de la France. Je ne peux m'incliner devant les trophées de la terreur naissante... des têtes au bout d'une pique."
La réaction ne se fit pas attendre. Un arrêté préfectoral du 6 juillet suspendit le maire et ses adjoints qui s'étaient déclarés solidaires, et dès le 10 juillet ils furent révoqués (PIEYRE, *Hist. de la ville de Nîmes*, t.3, p.292-293).
2. En présentant sa candidature au Conseil général (v. *Lettre* 6979).
3. C'est-à-dire: "à la place de Baragnon, je ne poserais pas ma candidature au Conseil général, en concurrence avec celle de Bernis".
4. Baragnon estima cependant qu'il ne pouvait reculer (au P. d'Alzon, 7 juillet), posa sa candidature, mais la retira au reçu d'une lettre du comte de Blacas. Quant à Bernis, il l'emporta sur le candidat républicain (PIEYRE, o.c., p.310). Pour l'ensemble de la France, les élections qui renouvelèrent en partie les Conseils généraux le 7 août, furent marquées par un nouveau recul des conservateurs.
5. C'est-à-dire au terrain purement politique.