DERAEDT, Lettres, vol.13 , p. 359

24 jul 1880 Nîmes BAILLY_VINCENT de Paul aa

Les catholiques et la politique à Nîmes – Le peuple et les chefs.

Informations générales
  • DR13_359
  • 6994
  • DERAEDT, Lettres, vol.13 , p. 359
  • Orig.ms. ACR, CQ 270; D'A., T.D. 43, pp. 149-152.
Informations détaillées
  • 1 AMBITION
    1 ARMEE
    1 CATHOLIQUE
    1 CERCLES OUVRIERS
    1 CLERGE
    1 CLERGE NIMOIS
    1 COLLEGE ROYAL
    1 COMMERCE
    1 CORRUPTION
    1 DECADENCE
    1 ELECTION
    1 EXAMENS ET DIPLOMES
    1 FONCTIONNAIRES
    1 FORTUNE
    1 FRANC-MACONNERIE
    1 GOUVERNEMENT
    1 HAINE
    1 LIBERALISME CATHOLIQUE
    1 LIBERAUX
    1 LIBRE PENSEE
    1 LOISIRS
    1 MENEURS
    1 MENSONGE
    1 MODERES
    1 MONARCHIE
    1 MYSTIQUE
    1 OBLATES
    1 ORAISON
    1 PAQUES
    1 PARLEMENTAIRE
    1 PEUPLE
    1 POLITIQUE
    1 PROFESSIONS
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 RADICAUX
    1 RADICAUX ADVERSAIRES
    1 REVOLUTION
    1 REVOLUTIONNAIRES ADVERSAIRES
    1 ROYALISTES
    1 SAINTE COMMUNION
    1 SUFFRAGE UNIVERSEL
    1 VIOLENCE
    2 BERNIS, JULES DE
    2 BERNIS, MADAME JULES DE
    2 BESSON, LOUIS
    2 BEZARD, DAVID
    2 BLANCHARD, ADOLPHE
    2 BOUET, LAURENT-MARIE
    2 BOYER, FERDINAND
    2 CHAMBORD, COMTE DE
    2 CHAPOT, EDMOND
    2 CHAPOT, FRANCOIS
    2 FREYCINET, CHARLES-LOUIS DE
    2 MARGAROT, ALI
    2 PLANTIER, CLAUDE-HENRI
    2 TRINQUELAGUE, ALEXIS DE
    2 VAILHE, SIMEON
    3 ABOUKIR
    3 AIX-EN-PROVENCE
    3 FRANCE
    3 GARD, DEPARTEMENT
    3 NIMES
    3 NIMES, ENCLOS REY
    3 NIMES, LA PLACETTE
  • AU PERE VINCENT DE PAUL BAILLY
  • BAILLY_VINCENT de Paul aa
  • [Nîmes, 24 juillet 1880](1).
  • 24 jul 1880
  • Nîmes
La lettre

Note sur l’état de Nîmes en 1880

Pour se faire une idée exacte de l’état actuel des esprits à Nîmes, il faut se rappeler que:

1° Depuis la Réforme tout catholique était royaliste, tout protestant révolutionnaire.

2° En 1830, cela changea. Bien de jeunes catholiques envoyés au collège, sous la Restauration, étaient devenus libéraux et même libres-penseurs.

3° Le peuple resta excellent.

4° Dans cette période les libéraux triomphèrent, grâce au suffrage restreint.

5° En 1848, le suffrage universel donne un magnifique triomphe au peuple catholique.

6° Cela ne dura pas. La corruption électorale sous l’empire fut effrayante. Toutefois, à cette époque, les chefs politiques et vraiment catholiques s’entendaient avec le clergé.

7° En 1870, tout changea. Le peuple resta bon; il le montrait à Pâques par de très nombreuses communions. Mais les chefs procédaient, selon moi, d’une manière absurde. Les élections l’ont bien prouvé. Un légitimisme exagéré dominant la pensée catholique a écarté bien des hommes, dont la voix était nécessaire et qui au fond sont plus catholiques que les légitimistes de la Gazette de Nîmes.

8° Si ces gens continuent leur système, le département du Gard sera un des plus mauvais de France.

9° Il faut le dire, l’évêque n’inspire de confiance à personne et n’a d’influence sur personne. C’est un immense malheur. Il craint, dès qu’on lui parle un peu haut, se moque de tout le monde, surtout du comte de Chambord, quand il l’ose, et s’en va dès que cela le gêne de rester.

10° En ce moment, le peuple se conduit admirablement. Mais cela va peut durer. Ses chefs croient avoir tout fait en le faisant boire. Quelqu’un m’assure avoir vu M. de Bernis boire coup sur coup six verres de gros bleu, dans une sorte de duel, et puis se livrer à des insanités. Il va être conseiller général, quoiqu’il se soit vanté, il y a un [an] d’avoir encouru l’excommunication pour avoir servi de témoin dans un duel. Au fond, c’est un gamin. La veille de la fête, tout le monde l’accusa d’avoir coupé le gros tuyau de gaz du cercle où il va le plus souvent, afin d’y empêcher l’illumination du 14 [juillet]. Voilà le futur chef des catholiques de Nîmes, si d’ici à peu il n’a mangé la fortune de sa femme, comme il a mangé la sienne.

Ce serait notre futur député, si Bouet et Trinquelague n’étaient [là]. De Trinquelague il y a peu à dire, il boit de l’absinthe. L’abrutissement commence, malgré les millions du papa beau-père, ex-commis voyageur enrichi par un oncle usurier, dit-on. Ce beau-père, du nom de Bézard, a construit une superbe maison que tout Nîmes appelle la maison des larmes, à cause de celles que l’oncle usurier a fait verser au pauvre peuple. Ce même beau-père, impérialiste tout le temps de l’empire, fait à Nîmes partie du Conseil secret du comte de Chambord. Expliquez cela.

Quant à Bouet, il fera une rude guerre à Bernis sur le terrain de la députation, s’il ne se noie de ses propres mains dans un bain de mysticisme. Bouet, lauréat de la faculté de droit à Aix, a voulu y être professeur, puis avocat, puis magistrat, mais magistrat par son mérite transcendant. En 1872, je lui proposai de l’aider pour une place de substitut; il me répondit que ses diplômes lui suffisaient. Ils ne lui suffirent pas. Alors il se précipita dans la garde mobile territoriale. Il monta à cheval, fit de l’escrime, se laissa dire qu’on en ferait un lieutenant pour de bon. Bref, il retomba avocat. Entre temps il se fit mystique. Il faisait deux heures d’oraison par jour, mais de quart d’heure en quart d’heure cela diminua jusqu’à un temps très modéré. En attendant, il acceptait d’être témoin dans un duel, ne sachant pas que ce fût défendu. Il se retira, du reste, très honorablement. Il donna et il donne des répétitions de droit; il plaide et se rend ridicule au palais, en continuant devant les juges son cours d’illuminisme. Je le crois de très bonne foi, mais esprit très faux. Il a une certaine faconde qui prend le peuple. Voilà l’homme destiné à renverser Bernis, si les bocks de Bernis ne renversent pas le mystique Bouet, qui se rend de plus en plus ridicule au barreau par ses dissertations piétistes.

Mettez à côté l’abbé Edmond Chapot, dit la Blague, et surtout l’abbé François Chapot, dit la Plume. Ce dernier, le vrai meneur, se servant de tous, n’écoutant personne, ayant fait opposition sous Mgr Plantier, encore plus sous Mgr Besson, froid, haineux. J’ai vu avec peine que certains moyens, même le mensonge, lui étaient bons.

Je ne parle pas du député Boyer, son parti n’en veut plus. Bernis, Bouet, Trinquelague convoitent son héritage; nous allons en voir de belles aux prochaines élections.

A côté se forme un groupe, dont le président sera notre admirable maire démissionnaire, M. Blanchard. Ce qu’il y a de raisonnable et de sincèrement chrétien en fera partie. Les noms sont donnés, et tandis que le préfet, le procureur de la République s’escrimeront sur les ambitieux, je vois des hommes capables et ne voulant rien, au moins de longtemps, redonner à la population une direction saine, perdue par elle depuis quelques années.

Dans votre numéro [du Pèlerin] d’aujourd’hui samedi, vous accusez le gouvernement d’être l’instigateur des troubles de Nîmes; vous êtes à côté. Le véritable instigateur est Ali Margarot, notre futur maire, le chef des francs-maçons. Les catholiques de l’Enclos-Rey n’ont pu être provocateurs; ils étaient tous au travail, aux champs ou dans les ateliers. S’ils eussent provoqué, ils se fussent trouvés à un rendez-vous. On dit: il y avait des pierres dans les maisons. Oui, dans les maisons en face des Récollets, pour les [jeter] sur les agents de police qui eussent tenté d’expulser les Pères; mais ce n’était un secret pour personne. Je ne crois pas qu’on ait tiré de coups de feu, mais dès le soir même des quantités de fusils ont été portés chez les armuriers. Aujourd’hui on serait prêt à riposter.

La Placette -centre du radicalisme protestant- n’a pas bougé. Sa modération a été merveilleuse. On comptait sur les artilleurs, dont certains propos démontrent qu’ils étaient payés par la franc-maçonnerie. Cela m’est évident, quoiqu’il fut difficile de le démontrer en justice. La femme protestante fouettée a dit: « Une fessée vaut bien quarante sous ». D’autres paroles ont été entendues. L’enquête où l’on voulait tomber sur les catholiques, retombe sur les artilleurs et sur les chefs royalistes exagérés. En attendant, les abbés Chapot ont cru prudent de décamper, pour ne pas assister à la fête de demain 25.

Conclusion. Le peuple à Nîmes est admirable. Les chefs qui se sont imposés l’ont conduit en dépit du bon sens et l’ont compromis, mais ils se compromettent assez pour que leur influence ne dure pas. Alors les anciens chefs, (surtout si Freycinet fait de Mgr Besson un archevêque, ce qui est probable) reprendront leur action traditionnelle.

Notes et post-scriptum
1. A ce texte non daté mais qui est tout entier de la main du P. d'Alzon, le P. Vailhé assigne comme date le 24 août 1880 et comme destinataire, le P. V. de P. Bailly.
Deux indications du texte: "Dans votre numéro *d'aujourd'hui samedi..*." et "*la fête de demain 25*" permettent de dire qu'il a été composé un samedi 24. Le 24 août 1880 n'étant pas un samedi, la date proposée par le P. Vailhé ne peut être retenue. Par contre la fête de *demain 25* semble bien être "la fête de la distribution des drapeaux dans les villes des départements", qui eut lieu le dimanche 25 juillet et dont parle le *Pèlerin* du 31 de ce mois (n° 187, p.1314). Cela nous permettrait de dater notre texte du samedi 24 juillet 1880. Son caractère passionné indique d'ailleurs qu'il a dû être écrit "à chaud", au moment où les troubles du 14 juillet à Nîmes, qui en provoquèrent la composition, étaient encore dans toutes les conversations. Un mois plus tard, il n'en est plus question dans la correspondance du P. d'Alzon.
Comme l'a bien vu le P. Vailhé, cette note a été rédigée à l'intention du P. Bailly. En effet "votre numéro d'aujourd'hui samedi", est bien le n° du *Pèlerin* du 24 juillet 1880, qui évoque précisément les troubles de Nîmes (n°186, p.1299). D'ailleurs la liberté et la sévérité avec lesquelles le P. d'Alzon s'exprime sur le compte de certaines personnalités nîmoises donnent à penser que cette diatribe ne pouvait être mise que sous les yeux d'un intime, une personne en laquelle il avait toute confiance.