Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 4.

27 feb 1832 Montpellier MONTALEMBERT

Emmanuel d’Alzon remercie Charles de Montalembert de sa lettre, dont il a donné connaissance à plusieurs prêtres de ses amis, victimes de mesures vexatoires de la part de l’évêque. Aussi serait-il bon, pour prévenir de telles attitudes de ne pas donner l’impression de vouloir prendre la place de l’épiscopat.

Informations générales
  • PM_XIV_004
  • 0+088 a|LXXXVIII a
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 4.
  • Orig.ms. Arch. Montalembert; Photoc. ACR, AP 228.
Informations détaillées
  • 1 CLERGE
    1 EPISCOPAT
    1 EVEQUE
    1 GALLICANISME
    1 GRANDS SEMINAIRES
    1 PRETRE
    1 ROYALISTES
    2 CALVIN, JEAN
    2 CHAMBORD, COMTE DE
    2 CHARLES X
    2 FORBIN-JANSON, CHARLES-AUGUSTE DE
    2 FOURNIER, MARIE-NICOLAS
    2 LACORDAIRE, HENRI
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 LUTHER, MARTIN
    2 REBOUL, PIERRE-CASIMIR
    2 TOUVENERAUD, PIERRE
    2 VENTURA, GIOACCHINO
    3 HOLYROOD
    3 MIDI
    3 ROME
  • AU COMTE CHARLES DE MONTALEMBERT
  • MONTALEMBERT
  • Montpellier, 27 février 1832 (1).
  • 27 feb 1832
  • Montpellier
La lettre

Monsieur le Comte,

La lettre que vous avez bien voulu remettre pour moi à M. l’abbé Reboul(2) m’a fait un bien infini. Elle m’a délivré d’une profonde tristesse qui s’était emparée de moi à l’aspect des nouveaux efforts que l’on tente pour vous faire passer aux yeux du clergé pour des quasi hérétiques, et de toutes les vexations qu’on fait subir aux catholiques qui ne croient pas l’épiscopat seul infaillible.

Des prêtres, par cela seul qu’ils avaient lu dans le temps l’Avenir, n’ont pu obtenir de prêcher le carême. On n’a encore levé qu’à moitié un interdit lancé, il y a près de dix mois, contre un prêtre qui voulait mettre vos doctrines en pratique. Notre évêque(3) dit à qui veut l’entendre: « Je mets Luther, Calvin, les Jansénistes et l’homme(4) dans le même sac. » L’expression est énergique. Dernièrement, il fit lire en plein séminaire une lettre dans laquelle on annonçait que Mgr l’évêque de Nancy(5), venant de Rome, avait assuré qu’on y trouvait la philosophie de l’Avenir absurde, sa théologie nulle, sa politique scandaleuse. Les supérieurs de plusieurs séminaires sont dans la plus grande agitation, et se donnent tous les soins possibles pour apprendre quelques détails défavorables à votre cause et pour en faire ensuite part à leurs élèves.

Vous voyez que nous aussi nous avons notre part du calice, et que tous les dégoûts ne sont pas pour les pèlerins(6). Cependant, je ne puis sans frémir songer à la funeste coïncidence qui se trouve toujours entre les redoublements de fureur des gallicans contre nous, et les époques où le gouvernement s’occupe spécialement des affaires de la religion. Toutes les vexations dont je vous ai parlé ont eu lieu dans le temps qu’à la Chambre on s’occupait à rogner le budget ecclésiastique. Certains prélats semblent vouloir proposer une alliance avec ceux qui les paient, fondée sur une haine commune contre tous ceux qui lèvent les yeux vers la Ville éternelle(7).

Je me suis permis de faire part de votre lettre à plusieurs prêtres jetés comme moi dans l’abattement par des vexations qui les frappent bien plus que moi sans comparaison. Y aurait-il trop d’indiscrétion à vous demander de penser à nous dans les moments que vous laisseront vos occupations, de songer que vos paroles nous sont nécessaires. Votre silence ne refroidira pas tant d’hommes qui sans vous connaître ne font pourtant qu’un coeur et qu’une âme pour vous aimer, mais vos paroles resserreront encore le lien de foi et de charité qui les unit à la chaire de Pierre et que tant d’attaques pourraient ébranler. Si vous vouliez bien me donner encore de vos nouvelles, je désirerais que vous dissiez quelque chose de votre profond respect pour les évêques, afin de détruire certaines accusations que j’ai entendu porter contre vous par le chef de notre diocèse. Il vous accuse de vouloir prendre la place de l’épiscopat, en sorte qu’en vous attaquant, c’est pour son droit qu’il combat. Je n’ai pas besoin de vous supplier d’observer une grande prudence sur les détails que je vous donne; ils peuvent compromettre bien des ecclésiastiques qui dans le silence font le bien en attendant des jours meilleurs.

La réconciliation de l’abbé de L[a] M[ennais] avec le Père Ventura(8) a fait le meilleur effet. Elle ferme la bouche à certaines gens qui voulaient se prévaloir de leur division.

Les royalistes sont toujours aussi absurdes, je dirai même, aussi coupables. On fait circuler des médailles, représentant d’un côté le duc de B[ordeaux], de l’autre un Sacré-Coeur. Ces choses révoltent jusqu’au fond de l’âme. La religion n’a-t-elle donc plus d’autre asile que celui de l’exilé d’Holyrood?(9)

Je fais des voeux ardents pour votre prompt retour, puisque s’il était retardé, nous ne pourrions cette année recevoir votre visite et je la désire vivement à cause du bien qu’elle ferait dans le Midi. S’il m’était permis de parler de moi, je dirais aussi: parce que je pourrai espérer de vous connaître davantage et de me rendre digne de votre amitié.

Je vous prie, Monsieur le Comte, de recevoir l’assurance de mes sentiments affectueux.

Emmanuel d’Alzon.

Je vous prie de dire à Monsieur de la Mennais combien je suis reconnaissant de son précieux souvenir et lui exprimer la vivacité de mes respectueux hommages.

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. Note de Montalembert: "Répondu le 12 avril, avec félicitations sur son entrée au séminaire".
2. Montalembert parle du *chanoine* Reboul.
3. Mgr Fournier.
4. Lamennais.
5. Mgr de Forbin Janson.
6. Lamennais, Lacordaire et Montalembert.
7. Connexion entre gallicanisme ecclésiastique et gallicanisme politique.
8. Ancien général des Théatins.
9. Ancien palais des rois d'Ecosse, où se réfugia Charles X après 1830, avec son petit fils le duc de Bordeaux, comte de Chambord. - Notes de P. Touveneraud.