Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 19.

8 jun 1833 Montpellier MONTALEMBERT

E. d’Alzon remercie Montalembert de lui avoir communiqué le *Livre des pèlerins polonais* dont la lecture lui a fait du bien. L’égoïsme a conduit vers la plus effrayante dissolution. Il importe de retrouver l’esprit de sacrifice et de secouer la léthargie universelle qui n’épargne pas le clergé lui-même dont on a cloué les lèvres avec un cadenas d’or. Puisse-t-il, futur prêtre, ne vouloir que Dieu et le salut des hommes.

Informations générales
  • PM_XIV_019
  • 0+133 a|CXXXIII a
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 19.
  • Orig.ms. Arch. Montalembert; Photoc. ACR, AP 231.
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 CLERGE
    1 CORRUPTION
    1 DETACHEMENT
    1 EGOISME
    1 JUIFS
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 NOTRE-SEIGNEUR
    1 OUBLI DE SOI
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 VIE DE SACRIFICE
    2 COMBALOT, THEODORE
    2 EZECHIEL
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 MICKIEWICZ, ADAM
    2 MONTALEMBERT, CHARLES DE
    2 TOUVENERAUD, PIERRE
    3 EUROPE
    3 MONTPELLIER
    3 PARIS
    3 POLOGNE
  • AU COMTE CHARLES DE MONTALEMBERT
  • MONTALEMBERT
  • [Montpellier, 8 juin 1833] (1).
  • 8 jun 1833
  • Montpellier
  • *Monsieur*
    *Monsieur le Comte Charles de Montalembert*
    *Pair de France*
    *rue Cassette, n° 30*
    *Paris.*
La lettre

Je viens de lire, mon cher ami, le Livre des Pèlerins Polonais(2). que je dois à votre bon souvenir. Je vous remercie de tous les sentiments que la lecture de ce petit ouvrage a excités au fond de mon coeur. Oui, l’auteur a bien raison; nous sommes des cendus bien bas, parce que nous avons imité les premiers enfants des hommes, parce que nous nous sommes faits des idoles et que nous n’avons pas voulu du Dieu qui répand partout la liberté avec son esprit, parce que nous n’avons pas voulu voir que tout bien reposait sur l’esprit de sacrifice et que, nous abandonnant à notre égoïsme, nous nous sommes précipités vers la plus effrayante dissolution. Toutes ces pensées et celles que j’ai retrouvées dans votre avant-propos m’ont causé une grande joie parce qu’elles ont confirmé mon idée favorite qui est que nous touchons ou à une catastrophe épouvantable ou à une prochaine régénération.

Que l’état de corruption, je dirai presque de putréfaction, dans lequel l’Europe est enfermée, puisse durer longtemps, c’est ce que je ne saurai croire: ou elle subira tous les affronts qu’on lui prépare, et alors l’esprit de vie se retirera d’elle, ou elle reprendra ses forces, et elle ne peut les retrouver que par l’esprit de sacrifice. C’est là le feu sacré qui aujourd’hui est confié aux seuls catholiques, feu caché sous la cendre et déposé au fonds d’un puits, comme autrefois celui des Juifs au temps de leur captivité, mais capable d’embraser une seconde fois le monde si des mains pures sont appelées à le répandre. La mission des chrétiens aujourd’hui est d’exécuter envers le genre humain l’ordre que Dieu donna à Ezéchiel, lorsqu’il le transporta dans une vaste plaine couverte d’ossements desséchés. Mais pour l’accomplir, cette mission, il faut qu’ils en connaissent l’importance, et le prix du trésor qui leur est confié. Et voilà ce qui fait ma peine: ils semblent ignorer entièrement leur destinée. Qui les en avertira? Le clergé? Mais vous le savez comme moi, le clergé dort depuis longtemps; et pendant son sommeil, le gouvernement est venu et lui a cloué les lèvres avec un cadenas d’or. N’y aura-t-il donc aucun prêtre qui se réveille, qui brise un jour les honteuses entraves que l’on donne à la vérité, et qui secoue ses frères de leur engourdissement si funeste?

Voyez comme M. de La Mennais a été reçu; on n’est content que lorsqu’il fait comme les autres, c’est-à-dire lorsqu’il se tait. Heureusement l’on sait que son silence n’est pas commandé; mais ne faudrait-il pas qu’on vînt à son aide, et n’est-ce pas une honte de le laisser ainsi seul sur la brèche? Voilà ce que vous avez dit mille fois, et ce que je vous demande pardon de répéter encore; mais j’ai besoin de revenir sans cesse sur de telles pensées afin de prier Dieu que si jamais j’ai le bonheur d’être prêtre, il me préserve de la léthargie universelle. Car c’est si beau que d’être prêtre en nos jours! Se dépouiller de tout ce qui dans l’homme est infirme; ne vouloir que Dieu et le salut des hommes; lutter contre tout ce qui est mauvais, injuste, oppressif, impur; porter partout la vie avec la vérité; tenir entre ses mains la Victime par excellence; la faire descendre du ciel par une parole toute puissante; l’immoler; se plonger dans son sang et y prendre la force de soigner toutes les plaies de l’humanité; -voilà, certes, une tâche assez belle pour qui sait la comprendre et l’accomplir, surtout en ces jours où l’on a tant d’occasions de s’immoler soi-même et de prêcher autant par l’exemple que par la parole.

J’ose, mon cher ami, me recommander tout particulièrement à vos prières. Je suis persuadé que votre foi les rend agréables à Dieu. Priez pour moi et soyez persuadé que les moments où votre souvenir se présente à moi avec le plus de charme, sont ceux, ou possédant Notre-Seigneur dans mon sein, je le prie du fond de mon obscurité pour ceux de mes frères qui m’ont précédé dans le combat auquel je prendrai part, un jour, selon ma faiblesse. Adieu encore une fois.

Tout à vous.

Emmanuel d’Alzon.

Je vous prie de me rappeler au souvenir de M. Combalot.

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. Date de la main de Montalembert avec la note: "Répondu le 2 juillet [18]33".
2. "... traduit du polonais d'Adam Mickiewicz par le Comte Ch. de Montalembert, suivi d'un Hymne à la Pologne par F. de La Mennais. Paris. 1833." -Cet exemplaire est aux archives de l'Assomption. - Notes de P. Touveneraud.