Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 21.

30 jul 1833 Lavagnac MONTALEMBERT

E. d’Alzon souhaite à Ch. de Montalembert la paix du coeur qui lui a été si précieuse pour surpasser ses heures d’ennui, de souffrance et de découragement. C’est à la croix et à l’autel que l’on trouve de quoi remplir son coeur, et c’est l’amour qui conduit à la foi.

Informations générales
  • PM_XIV_021
  • 0+135 a|CXXXV a
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 21.
  • Orig.ms. Arch. Montalembert; Photoc. ACR, AP 232.
Informations détaillées
  • 1 DEFENSE DE L'EGLISE
    1 DEVOTION AU CRUCIFIX
    1 EUCHARISTIE
    1 LACHETE
    1 NOTRE-SEIGNEUR
    1 PAIX DE L'AME
    1 REPOS SPIRITUEL
    1 TRISTESSE
    2 MONTALEMBERT, CHARLES DE
    3 LAVAGNAC
    3 PARIS
  • AU COMTE CHARLES DE MONTALEMBERT
  • MONTALEMBERT
  • Lavagnac, 30 juillet 1833.
  • 30 jul 1833
  • Lavagnac
  • *Monsieur*
    *Monsieur le Comte Charles de Montalembert*
    *Pair de France*
    *rue Cassette, n° 30*
    *Paris.*
La lettre

Je suis bien persuadé, mon cher ami, que si vous pouviez juger du bien que me font vos lettres, vous les rendriez plus fréquentes. Ce que je vous dis n’est point un reproche; vous m’avez trop loué de ma patience pour que je ne cherche pas à mériter toujours vos éloges. Je veux seulement vous dire que ma patience n’est pas indifférente et que si je ne me suis pas plaint de votre silence, c’est que je croyais vos moments employés trop sérieusement pour que vous pussiez céder aux désirs de ceux qui ont pour vous la plus vive sympathie. Votre lettre du 2 juillet, en me prouvant que je n’avais pas tort, m’a révélé une partie de vos ennuis et de vos peines. Je vous plains bien de m’envier la paix du coeur. Vous ne l’avez donc pas dans toute sa plénitude? Il me semble que sans elle la vie, déjà si pénible, doit être bien amère. Et j’avoue que je lui dois de n’avoir pas cédé mille fois à mon immense faiblesse. Lorsque je jette les yeux sur moi et que je me vois si lâche, je vois bien que Dieu a voulu me ménager et qu’il m’a donné, dans ce repos qu’il a mis au fond de mon coeur, un secours bien grand parce que j’en avais un besoin tout particulier.

Je le dis presque en rougissant, mais je ne sais comment le malheur semble me fuir, j’ai comme les autres mes heures d’ennui, de découragement, de souffrance; mais il m’est impossible de les mettre aux pieds de la croix sans m’en sentir soulagé. Il semble que Notre-Seigneur, connaissant mon inertie, prenne pour lui toutes les épines qui ceignaient mon front, et ne me laisse que la douceur de la souffrance passée. Les moments les plus précieux pour lui faire l’offrande de toutes mes misères, le moment où il m’en décharge le plus vite, c’est surtout lorsque je le porte en moi. Si donc vous souffrez, suivez la voie que je vous indique, et vous trouverez le repos: allez à la croix et à l’autel. La croix est chose bien effrayante pour celui qui ne croit pas; mais pour celui dont la foi est ardente et enthousiaste, la croix est la source de toute consolation. Je suis étonné, laissez-moi vous le dire, que du moment que vous vous êtes voué à la défense de l’Eglise, vous n’ayez pas été puiser à tous ses trésors; il me semble que, plus qu’un autre, vous êtes fait pour aimer, et vous auriez trouvé là de quoi remplir votre coeur. Aimez, mon cher ami, je vous en conjure, et vous trouverez la paix qui paraît vous manquer. Pourquoi ne pénétreriez-vous pas les mystères de l’amour? Pourquoi votre âme ne se plongerait-elle pas dans cet océan de flammes si douces, si vivifiantes, qui jaillissent sans cesse du coeur de Celui auquel vous avez consacré votre existence? Vous êtes fait, croyez-moi, pour entendre au dedans de vous la parole divine qui est semblable au sifflement d’un vent léger: sibilus aurae tenuis(1). Cherchez les moments où elle voudra vous parler, et elle viendra à vous et calmera la lutte intérieure qui vous désole; elle donnera le repos à votre âme, elle lui donnera sa paix. Pardonnez-moi des paroles un peu trop impétueuses peut-être; soyez persuadé qu’un ardent désir de vous voir heureux les a inspirées. Oui, je voudrais vous voir heureux, non pas absolument: personne ne l’est ainsi dans ce monde, mais heureux du bonheur du chrétien, bonheur pour lequel vous êtes fait et dont vous jouirez dès que vous aimerez autant que vous croyez.

Sans doute les voies de Dieu sont innombrables et la conduite qu’il tient envers ceux qu’il aime est aussi variée que l’est l’éclat des étoiles du ciel. Cependant je ne puis me défendre de la pensée qu’il veut que nous allions tous les deux à lui d’une manière à peu près semblable; et pour moi, je ne pourrais croire si je n’ai mais pas. C’est l’amour qui me conduit à la foi; et cet amour, c’est dans l’Eucharistie que je le puise avec la plus grande abondance. Combien de fois ne m’est-il pas arrivé, poursuivi par mille doutes, mille petites contrariétés, par la révolte de tout moi-même, d’aller me jeter aux pieds de Notre-Seigneur, et, après quelques instants de silence, de me relever tranquille, maître de moi, prêt à porter ma croix avec joie et bonheur, elle qui, un moment auparavant, me semblait insupportable. Je vous offre mon remède, mon cher ami; je désire que vous y ayez recours. Seulement s’il vous est profitable, n’oubliez pas celui qui vous le donne et qui se rend tous les jours indigne d’en retirer les fruits admirables qui y sont attachés.

Voilà que mon papier touche à sa fin, et je ne vous ai parlé que d’une chose. J’avais bien des questions à vous adresser, mais laissons-les pour aujourd’hui. Adieu. Que Notre-Seigneur vous donne sa paix et son amour.

Emmanuel d'Alzon.
Notes et post-scriptum
1. *1R* 19, 12.