Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 27.

6 jan 1834 Rome LAMENNAIS

M. Mac-Carthy – Satisfaction du Saint-Père et des milieux romains pour votre geste de soumission – L’opinion du P. Olivieri sur l’Encyclique – Dieu ne vous éprouve que pour mieux vous employer – Douleur du Saint-Père devant l’hostilité des puissances envers l’Eglise – Ressources précieuses qu’il a trouvées pour ses études auprès de quelques personnalités romaines – Profondeur de son attachement dans le coeur de Jésus souffrant.

Informations générales
  • PM_XIV_027
  • 0+153 a|CLIII a
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 27.
  • Orig.ms. Arch. Montalembert; Photoc. ACR, AP 235; LE GUILLOU, IX, n° 1624 (889 ter), pp. 560-561.
Informations détaillées
  • 1 DEFENSE DE L'EGLISE
    1 ENCYCLIQUE
    1 POLITIQUE
    1 PROVIDENCE
    1 SCHISME
    1 SOUMISSION DES SUJETS
    2 DREUX-BREZE, PIERRE-SIMON DE
    2 GREGOIRE XVI
    2 LAMBRUSCHINI, LUIGI
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 MAC CARTHY, CHARLES
    2 MAZZETTI, JOSEPH-MARIE
    2 MICARA, LODOVICO
    2 NICOLAS I
    2 OLIVIERI, MAURIZIO
    2 PACCA, BARTOLOMEO
    2 ROZAVEN, JEAN-LOUIS DE
    2 SKORKOWSKI, CHARLES
    2 VENTURA, GIOACCHINO
    2 WISEMAN, NICOLAS
    3 ALLEMAGNE
    3 CRACOVIE
    3 PARIS
    3 ROME
  • A MONSIEUR L'ABBE FELICITE DE LAMENNAIS
  • LAMENNAIS
  • Rome, 6 janvier 1834.
  • 6 jan 1834
  • Rome
  • *Monsieur*
    *Monsieur l'abbé F. de la Mennais*
    *Paris.*
La lettre

Monsieur l’abbé,

Votre lettre du 8 octobre est restée plus de deux mois et demi en route; c’est ce qui m’a empêché de vous remercier plus tôt de celles que vous y aviez jointes. J’ai déjà vu plusieurs fois M. Mac-Carthy. C’est un jeune homme charmant et que j’aime déjà du fond de mon coeur. Ce matin encore j’étais chez lui; et comme je lui apprenais quelques détails sur vos affaires ici, il m’a engagé à vous en faire part le plus tôt possible. Il se réserve de vous écrire dans huit jours. Voici ce que je sais.

Votre lettre a fait un plaisir extrême au Saint-Père. Il y a répondu aussitôt par un bref. Mais ce bref est-il parti? C’est ce dont je doute. Le Père Rozaven a assuré à l’un de mes amis(1) que le cardinal Pacca avait été chargé de vous répondre; vous savez ce qui en est. Mais si vous n’avez reçu que la lettre du cardinal, vous connaîtrez au moins la première intention du Saint-Père. Il est certain que votre lettre l’a comblé de joie; il rassembla les cardinaux pour leur en donner connaissance. Le P. Rozaven lui-même dit en être très content, quoiqu’il eût mieux aimé que vous n’eussiez pas commencé par ces mots: On a mal compris ma première lettre. Je n’ai pas entendu dire que personne autre que lui eût fait cette observation. Le Père Olivieri à qui j’ai eu l’honneur de porter votre lettre, m’a reçu avec la plus grande bonté. Il m’entretint fort longtemps sur l’Encyclique pour me prouver qu’on pouvait y être entièrement soumis sans renoncer en rien à vos opinions. Il me fit même remarquer comment la Providence semble les justifier tous les jours. L’exil de l’évêque de Cracovie a fortement ébranlé plusieurs de vos adversaires. Et le cardinal Lambruschini, un de ceux qui vous étaient le plus opposés, a assuré le P. Olivieri que si les choses étaient à recommencer, on en userait autrement envers vous. Aussi, le P. Olivieri m’a-t-il assuré que les peines que vous avez pu éprouver n’ont été permises par la Providence que pour épurer encore plus votre zèle à défendre l’Eglise. Peut-être, selon lui, aviez-vous compté sur le Saint-Père, et Dieu a voulu vous faire comprendre qu’il ne fallait compter que sur Lui. Vous connaissez assez le P. Olivieri pour avoir observé qu’en toute chose il cherche à découvrir les desseins de Dieu. Il vous est bien profondément attaché, ainsi que le cardinal Micara que j’ai eu l’honneur de voir quelquefois.

Oserai-je vous faire observer, Monsieur l’abbé, que votre position me paraît belle dans ce moment. Je ne parle pas de ce qui paraît aux yeux des hommes, dont vous avez, je crois, à attendre bien des souffrances, mais aux yeux de Dieu qui ne vous éprouve que pour mieux [vous] employer plus tard. Le Saint-Père est, dit-on, plongé dans une amère douleur à cause de ce que préparent contre l’Eglise les puissances sur lesquelles il avait compté. L’exil de l’évêque de Cracovie lui a révélé les projets de Nicolas(2); la situation de l’Allemagne ne l’afflige pas moins; il ne se dissimule plus que le gouvernement français prépare un schisme. Vous comprenez combien, au milieu de tant de sujets de larmes, votre lettre a dû le consoler et le réjouir, et combien dans ce moment il serait peu disposé à entraver ce que vous tenterez pour défendre l’Eglise.

Depuis que je suis ici, je me suis bien convaincu de la vérité de ce que vous m’avez dit sur les études. Cependant, j’ai trouvé dans le commerce de quelques personnes qui se séparent, il est vrai, du grand nombre, des ressources bien précieuses pour mes études particulières: le Père Ventura, le Père Mazetti, le Père Olivieri et Monsignor Wiseman veulent bien me donner leurs conseils; le cardinal Micara lui-même a été assez bon pour m’engager à l’aller voir quelquefois pour causer sur les moyens de faire du bien. J’espère qu’avec de pareils guides mon séjour à Rome ne me sera pas entièrement inutile.

Adieu, Monsieur l’abbé. Permettez-moi de vous dire encore une fois que mon attachement pour vous augmente toutes les fois que je songe à toutes les souffrances qui vous sont imposées, et que je demande bien souvent à Dieu, sinon d’en diminuer le poids, au moins d’augmenter vos forces et votre patience.

J’ose me dire tout à vous dans le coeur de Jésus souffrant.

Emmanuel d'Alzon.
Notes et post-scriptum
1. L'abbé de Dreux-Brézé.
2. Le tsar Nicolas Ier, 1796-1855.