Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 32.

15 feb 1834 Rome LAMENNAIS

Une oeuvre d’éducation à faire à Naples – Sur le tombeau de saint Grégoire VII il a demandé pour lui l’amour de la justice, le haine du mal et surtout la persévérance qui caractérisaient ce saint – Aussi est-il affligé d’apprendre qu’il a renoncé absolument à sa première mission – Il ose le prier de lui expliquer ce qu’il ne peut s’expliquer lui-même et s’offre à prendre sur lui la croix qui doit l’accabler.

Informations générales
  • PM_XIV_032
  • 0+158 a|CLVIII a
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 32.
  • Orig.ms. ACR, AP 213; LE GUILLOU, VI, n° 898, pp. 559-560; *Pages d'Archives*, II, pp. 325-326.
Informations détaillées
  • 1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 COLLEGES
    1 ECOLES
    1 EPREUVES SPIRITUELLES
    1 LACHETE
    1 PROVIDENCE
    1 TRISTESSE
    2 GREGOIRE XVI
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 MAC CARTHY, CHARLES
    2 SIMON DE CYRENE
    3 NAPLES
    3 ROME
    3 SALERNE
  • A MONSIEUR L'ABBE FELICITE DE LAMENNAIS
  • LAMENNAIS
  • Rome, 15 février 1834.
  • 15 feb 1834
  • Rome
  • *Monsieur*
    *Monsieur l'abbé F. de la Mennais*
    *Paris.*
La lettre

Monsieur l’abbé,

Ma santé m’ayant obligé d’aller passer quelques jours à Naples, j’ai recueilli quelques renseignements sur l’instruction donnée aux enfants dans cette ville, et je crois devoir vous les communiquer.

J’ai entendu des personnes parfaitement à même de juger les choses, désirer que des prêtres français pleins de dévouement et sans vues humaines vinssent y fonder un collège. L’éducation confiée aux Jésuites mécontente tout le monde; elle est, dit-on, de la plus grande faiblesse. La haute société de Naples, ruinée par les diverses révolutions qui ont bouleversé ce pays, paraît avoir profité des leçons du malheur; l’on désire généralement pour les enfants de bonne maison quelque chose de plus que ce dont on s’était contenté jusques à aujourd’hui. Les Jésuites étant loin de le donner, on désire que de nouveaux ouvriers les remplacent. Ceci paraît peut-être difficile au premier abord, parce que les Jésuites ont à Naples quelques puissants amis. Cependant j’ai la certitude que si des prêtres tels qu’il les faudrait se dévouaient à une pareille oeuvre, le jour où ils ouvriraient leur maison, ils auraient quarante enfants des premières familles napolitaines. Ce serait, ce me semble, un grand bienfait pour un peuple qui, autant que je l’ai pu juger, a des qualités bien précieuses. Si vous connaissiez quelques hommes à qui une semblable mission sourie, je serais heureux de leur donner des détails plus circonstanciés et qui leur prouveront que s’il leur faut du courage, ils pourront trouver de grands secours.

J’ai profité de mon voyage à Naples pour voir ce qui, dans les environs, présentait le plus d’intérêt. J’ai été à Salerne visiter le tombeau de St Grégoire VII et j’ai prié longtemps devant son autel, pour l’Eglise et pour vous. Le nom de l’épouse de Jésus-Christ et le vôtre se confondaient dans ma pensée, devant les reliques de ce Pape qui mourut en disant: Dilexi justitiam, et odivi iniquitatem, propterea morior in exilio. Je demandai pour vous cet amour de la justice, cette haine du mal qui avait fait opérer de si grandes choses à S. Grégoire. Je demandai surtout une persévérance semblable à la sienne, persévérance plus forte que les persécutions, sous le poids desquelles la Providence semble vouloir vous broyer. Aussi vous avouerai-je, avec la simplicité du dévouement le plus absolu, que j’ai été bien affligé de voir mes prières si mal exaucées, lorsqu’à mon retour à Rome j’ai vu par votre lettre à Charles Mac-Carthy que vous renonciez absolument à votre première mission. Oserais-je vous prier de m’expliquer ce que je ne puis m’expliquer moi-même. Il y a peut-être de la hardiesse dans ma demande. Je vous conjure de n’y voir qu’un ardent amour de la gloire de Dieu, à laquelle vous m’avez paru fatigué de travailler. Il me semblait que plus la Providence vous faisait souffrir, plus elle attendait de vous de grandes choses. Est-ce que vos forces se sont épuisées? ou bien est-ce pour mieux préparer le triomphe de la vérité que vous allez entrer dans une voie nouvelle? Permettez-moi de vous faire une proposition qui vous fera connaître quel motif a pu me décider, moi, jeune homme de 23 ans, à vous parler avec tant de liberté. S’il est vrai que le calice qui vous a été présenté vous ait paru trop amer, demandez à Dieu de m’en envoyer une partie, je serai bien heureux de faire pour vous la fonction de Simon de Cyrène. Dans le temps que vous combattrez, moi je souffrirai selon ma faiblesse. Oh! si je pouvais vous rendre là votre premier courage. Je vous prie d’examiner devant Dieu ma proposition; c’est au pied de la Croix que je vous la fais. Si vous croyez qu’elle puisse tourner à la gloire de Notre-Seigneur, acceptez-la; sinon, traitez-la d’enfantillage, mais traitez-moi enfin comme celui de vos enfants qui vous aime le plus.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum