- PM_XIV_052
- 0+204 b|CCIV b
- Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 52.
- Brouillon autogr. ACR, AB 80; D'A., T.D. 19, pp. 15-17.
- 1 CATHOLICISME
1 CATHOLIQUE
1 EGLISE
1 LIBERALISME
1 LIBERTE
1 PRESSE
2 GREGOIRE XVI
2 LAMENNAIS, FELICITE DE
3 ANGLETERRE
3 BELGIQUE
3 ETATS-UNIS
3 IRLANDE - A MONSIEUR L'ABBE FABRE
- FABRE_ABBE
- [Rome, 24 août 1834].
- 24 aug 1834
- Rome
Mon cher Monsieur Fabre(1),
Votre lettre du 23 juillet m’est arrivée hier. Je commence par vous remercier des détails que vous me donnez; ils prouvent que les amis de M. de La M[ennais] sont catholiques avant tout. Leur conduite a été la meilleure réfutation qu’ils aient pu faire des reproches qui leur étaient adressés. J’admire cette soumission entière, absolue, sans restriction. Voilà comment il faut recevoir les paroles du Saint-Siège. Les questions alors sont bientôt terminées.
Je ne regrette qu’une chose, c’est que le Pape ne se soit pas expliqué plus clairement. Il est certain que le Pape ne désapprouve pas la liberté en elle-même; sans cela, il ne vanterait pas si hautement l’état de la Belgique, des Etats-Unis et de l’Irlande, où la religion est plus florissante que partout ailleurs et où cependant le mot d’ordre est liberté. Quand la première impression sera passée, quand on se sera bien affermi dans l’obéissance et dans la résolution de ne rien dire, ni rien penser qui ait le moindre rapport avec les propositions erronées, scandaleuses, renfermées dans les Paroles d’un croyant, il sera bon de voir quelles sont ces propositions, afin de les rejeter, et voir comment en les rejetant on doit s’attacher à demander cette liberté, qui, de l’aveu du Pape, fait prospérer la religion en Belgique, aux Etats-Unis et en Irlande, et prépare, ce que l’on ne sait pas encore, un superbe triomphe à la foi en Angleterre.
Vous avez remarqué le profond silence des journaux libéraux sur l’encyclique. Ce silence dénote un mépris bien insultant. Certes, ceux qui veulent faire le bien sans bruit et sous terre doivent être bien heureux. pour moi, j’aimerais un [peu] moins d’oubli et un peu plus d’opposition. On lève le bâton en passant près d’un chien qui aboie; on se bouche le nez et on ferme la bouche en passant près d’un chien mort. Voilà, il faut le dire en frémissant, ce qu’est l’Eglise aux yeux de certains hommes, un cadavre d’où la vie se retira il y a un siècle. Oh! Dieu! et l’on s’applaudit de cet état! Eh! bien, soit. Que la foi s’écroule, que l’Eglise s’enfonce dans les ondes qui sapent sa base depuis soixante siècles, pourvu que le trône des rois s’élève! Et le catholicisme passant auprès, non pour aller mourir dans l’arène, mais pour aller expirer d’inanition à quelques pas de là, criera encore une fois: Moriturus te salutat!
Pardonnez-moi, mon cher Monsieur Fabre, ces expressions un peu vives peut-être. Voilà quatre ou cinq fois que je renonce à vous envoyer de longues lettres, où je m’exprimais avec une viva vivacité qui vous ferait penser peut- être que je ne suis pas entièrement soumis, mais j’ai le malheur de ne pouvoir envisager certaines choses de sang-froid; j’ai le malheur de préférer recevoir de mon ennemi un coup d’épée qu’un crachat au visage; j’ai encore le malheur d’aimer que le catholicisme soit à la tête et non pas à la queue de l’humanité. C’est un tort, peut-être une effervescence de jeune homme. Soit. Priez Dieu qu’il m’accorde le courage de voir insulter, outrager ma mère par ses plus cruels ennemis, avec un front tranquille et le coeur sans émotion.