Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 73.

6 nov 1835 Lavagnac VENTURA Père

Vous n’avez répondu à aucune de mes lettres- *Du rationalisme et de la tradition* – Une offre du nouvel évêque de Montpellier – L’abbé Gabriel – Décidément j’irai à Nîmes – Projets – Les évêques et le gouvernement.

Informations générales
  • PM_XIV_073
  • 0+264 c|CCLXIV c
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 73.
  • Orig.ms. Arch. Gén. Teat., Roma; D'A., T.D. 40, pp. 443-445. Publié par F. ANDREU dans *Regnum Dei* IX (1953), pp. 151-153.
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 ARCHEVEQUE
    1 AUTORITE DE L'EGLISE
    1 CHRISTIANISME
    1 CONSEQUENCES DU PECHE
    1 DISTINCTION
    1 DROIT CANON
    1 EDUCATION HUMAINE
    1 ENSEIGNEMENT DE JESUS-CHRIST
    1 ENSEIGNEMENT DE L'ECRITURE SAINTE
    1 ENSEIGNEMENT DE L'HISTOIRE ECCLESIASTIQUE
    1 ERREUR
    1 EVEQUE
    1 FIDELES
    1 GALLICANISME
    1 GOUVERNEMENT
    1 GRANDS SEMINAIRES
    1 HIERARCHIE ECCLESIASTIQUE
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 INDEPENDANCE CATHOLIQUE
    1 JURIDICTION ECCLESIASTIQUE
    1 LIVRES
    1 MAITRES
    1 PHILOSOPHIE MODERNE
    1 RATIONALISME
    1 TRADITION
    1 TRANSFORMATION SOCIALE
    1 VERITE
    1 VERTU DE FORCE
    1 VICAIRE GENERAL
    2 DI AMILLA, COMTE
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 MICARA, LODOVICO
    2 OLIVIERI, MAURIZIO
    2 PEURETTE, PIERRE
    2 THIBAULT, CHARLES-THOMAS
    2 VENTURA, GIOACCHINO
    3 FRANCE
    3 MONTPELLIER
    3 NIMES
    3 ROME
  • AU PERE VENTURA
  • VENTURA Père
  • Lavagnac, 6 novembre 1835.
  • 6 nov 1835
  • Lavagnac
  • *S.S. Illma*
    *Il Signor Mariano Pezzi*
    *Roma*
    *Palazzo Massimo*
    *Per il P. V[entura].*
La lettre

Mon très cher et très révérend Père,

Si je ne savais que votre temps est toujours occupé, et si je ne connaissais par expérience combien votre coeur est bon pour vos amis, ne pensez-vous pas que j’aurais peut-être sujet de vous adresser les observations que vous faisiez sur la légèreté des français à oublier leurs connaissances? Vous n’avez répondu encore à aucune de mes lettres, cependant je suis sûr qu’une au moins vous est parvenue. Pour moi si je viens de laisser écouler quelque temps sans vous écrire, ce n’est pas que j’aie participé au défaut des français, mais j’ai craint de vous déranger et j’ai pensé que les mêmes motifs qui vous empêchaient d’écrire vous faisaient désirer de ne rien recevoir. J’eusse pourtant bien désiré, pendant les quatre mois que je viens de passer à la campagne recevoir de temps en temps de vos nouvelles. J’aurais voulu pouvoir vous adresser des questions sur une foule de choses et vous confier en même temps ce que j’éprouvais en jetant les yeux sur ce qui se passe autour de moi.

On a dû vous remettre ou du moins l’on vous remettra bientôt de ma part, un ouvrage assez bon intitulé du Rationalisme et de la tradition. Je vous prie de l’accepter comme un souvenir, et quand vous l’aurez lu de m’en donner votre jugement sur son ensemble, si vous le jugez à propos. J’ai été assez content de la manière dont l’auteur juge le St Simonisme et la doctrine du progrès mais la réfutation me paraît incomplète. Il prouve bien par le fait que le christianisme seul est la loi du progrès mais il ne montre pas assez pourquoi, c’est-à-dire qu’il ne fait voir qu’à demi que l’homme chrétien seul progresse parce qu’imparfait comme il est, il a un modèle parfait, Jésus-Christ; sur lequel il peut se former sans cesse, sans jamais atteindre à la ressemblance absolue. Il ne relève pas non plus assez comment le christianisme montrant l’homme déchu, et offrant l’explication de sa faiblesse lui donne en même temps la force de se relever, et comment Jésus-Christ réfute toutes les prétentions des philosophies modernes par ces trois mots: Ego sum via, veritas et vita. Via le seul chemin que peut parcourir l’humanité. Veritas la seule doctrine capable d’éclairer la marche de l’esprit. Vita la seule force propre à la soutenir dans les travaux qui sont imposés à quiconque veut entrer dans la vie.

Le diocèse de Montpellier a enfin son nouvel Evêque; il paraît que Monseigneur Thibaut veut faire de grands changements. Il a de nouveau enchaîné l’abbé Gabriel en lui donnant dans son séminaire une place de professeur, d’écriture sainte, d’histoire ecclésiastique et de civilité. Tout le monde a été surpris que l’abbé Gabriel ait consenti à reprendre de nouveau des engagements qui l’empêchent de se livrer à ses goûts apostoliques de prédication. L’excellent professeur de civilité n’a pas pris la peine de me faire savoir où il était pendant les premiers mois de mon arrivée en France. J’ai pu à peine le voir deux minutes dans le salon de Mgr Thibaut qui m’avait fait demander pour m’offrir un poste fort honorable mais que j’ai cru devoir refuser. Décidément j’irai à Nismes, où l’Evêque a l’intention de me faire grand vicaire, mais j’espère bien me débarrasser de ce titre comme de celui que voulait me donner Mgr Thibaut. Je tâcherai de me ménager le plus possible du temps pour travailler et de réunir chez moi des jeunes gens à qui je ferai tout le bien dont je serai capable. Je vois avec plaisir que mes supérieurs sont assez bien disposés pour moi, et quoique je ne compte pas trop sur la durée de leur bonne volonté à mon égard, j’en profiterai tant que je pourrai, afin d’agir autant qu’il dépendra de moi sur la jeunesse dont je serai entouré.

Il paraît que le plan du gouvernement est de s’emparer de toutes les sommités Ecclésiastiques pour diriger par elles le bas clergé et les fidèles.

Les Evêques qui consentent à l’appuyer de leur concours sont assurés de trouver en lui un puissant soutien. Quelques-uns de nosseigneurs semblent vouloir en profiter pour écraser tout ce qui s’opposera à eux. Il y a quelque temps qu’un Evêque disait à un Préfet: Mr le Préfet, si nous voulions bien l’un et l’autre quel curé serait inamovible dans mon diocèse? Cependant l’inamovibilité des curés est un des fondements de la liberté Ecclésiastique. Cet Evêque est, si l’on en croit certains bruits, disposé à profiter de l’appui du gouvernement pour opérer des grands bouleversements. Je voudrais savoir ce qu’il y aurait à faire supposé qu’il destitua un curé de canton. La jurisdiction des métropolitains est en France si peu de chose que l’invoquer serait une triste ressource. Et si l’on appelait à Rome l’Evêque voudrait-il se soumettre à une sentence ultramontaine? Voilà pourtant un cas qui peut se présenter d’ici à peu de temps. Dans le pays du monde où l’on vante le plus l’autorité des canons, il n’est peut-être pas trois Evêques qui ne dussent être interdit de ses fonctions pour les avoir violés.

Si vous désirez faire venir de France quelqu’ouvrage, je vous conjure de vous adresser à moi. J’ai une foule d’occasions pour vous faire parvenir ce que vous désirerez.

Veuillez offrir mes respectueux hommages au C[ardinal] M[icara] et au P. O[livieri]. Je ne sais si M. Peur[ette] est encore à Rome. S’il y est veuillez me rappeler à son souvenir et à celui du comte di Amilla, priez-le de m’envoyer la note des livres qu’il désire, je me ferai un plaisir de les lui envoyer. Adieu mon très cher et très révérend Père, je pense à vous au St Sacrifice en pensant aux personnes qui me sont les plus chères, je réclame une part dans vos prières et vous prie d’agréer l’expression de ma respectueuse et inaltérable amitié.

Votre dévoué serviteur

Emmanuel d'Alzon|Lavagnac par Montagnac, dépt de l'Hérault.
Notes et post-scriptum