Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 121.

26 jan 1844 MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Du sacrement de pénitence – Il est vrai que la pénitence peut être considérée comme moyen d’éducation, mais elle est surtout nécessaire pour expier la dette du péché antérieure à l’éducation – Il voudrait bien aller à Paris chaque année – De la bonté naturelle et de la bonté surnaturelle – La voie pénible n’est peut-être pas celle qui lui convient – De l’entêtement et du défaut opposé – Projet de mariage de M. Milleret – Un régime surnaturel doux convient à une nature fatiguée – Le pensionnat de Nîmes et l’installation des Carmélites.

Informations générales
  • PM_XIV_121
  • 0+322|CCCXXII
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 121.
  • Orig.ms. ACR, AD 324; V. *Lettres* II, pp. 115-120 et D'A., T.D. 19, pp. 23-24.
Informations détaillées
  • 1 ADULTERE
    1 APOSTASIE
    1 AUSTERITE
    1 BAPTEME
    1 BONTE
    1 CHATIMENT DU PECHE
    1 COLERE
    1 COMMUNION DES SAINTS
    1 CONFESSEUR
    1 CONSTITUTIONS
    1 CONSTITUTIONS DES RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 CONTRARIETES
    1 DESESPOIR
    1 DISPOSITIONS AU PECHE
    1 DOGME
    1 DOMINATION DE DIEU
    1 EDUCATION EN FAMILLE
    1 EDUCATION RELIGIEUSE
    1 EFFORT
    1 EMPLOI DU TEMPS
    1 ENVIE
    1 EPREUVES
    1 ERREUR
    1 FOI BASE DE L'OBEISSANCE
    1 HABITUDES DE PECHE
    1 INSTITUTS RELIGIEUX
    1 JESUS-CHRIST AUTEUR DU PARDON
    1 JUSTICE
    1 LACHETE
    1 LOI ECCLESIASTIQUE
    1 MEURTRE
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 PECHE
    1 PECHE ORIGINEL
    1 PECHEUR
    1 PENSIONNAT DES OBLATES A NIMES
    1 PROTESTANTISME
    1 RECHERCHE DE LA PERFECTION
    1 REDEMPTION
    1 REFORME DE LA VOLONTE
    1 REPOS
    1 SACREMENT DE PENITENCE
    1 SAINTE COMMUNION
    1 SANG DE JESUS-CHRIST
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 SUPERIEURE GENERALE
    1 SYMPTOMES
    1 VIE DE FAMILLE
    1 VIE DE PRIERE
    1 VIE RELIGIEUSE
    1 VIE SPIRITUELLE
    2 COMBALOT, THEODORE
    2 MILLERET, JACQUES-CONSTANT
    2 O'NEILL, THERESE-EMMANUEL
    3 PARIS
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • 26 janvier 1844.
  • 26 jan 1844
  • *Madame*
    *Madame la Supérieure de l'Assomption*
    *Impasse des Vignes, rue des Postes*
    *Paris.*
La lettre

Je veux absolument vous envoyer aujourd’hui tout un volume. Mais je commencerai, ma chère enfant, par répondre à votre dernière lettre, afin de vous faire remarquer une erreur positive, dans laquelle vous me paraissez tombée. Il est de foi qu’au baptême tous les péchés sont expiés par le sang de Jésus-Christ. Il est de foi ou, au moins, de certitude théologique que nul homme, à moins d’être confirmé en grâce, ne peut vivre sans pécher; d’où découle la conséquence que nul homme ne peut se passer du sacrement de pénitence. Il est de foi que le sacrement de pénitence ne remet que la peine éternelle et laisse subsister la peine temporelle. Donc il est nécessaire que l’homme expie quelque chose de la peine temporelle. La preuve de cela est qu’après l’absolution le prêtre applique au pénitent, outre les mérites de Jésus-Christ, ceux de la Sainte Vierge et des saints; ce qui suppose un autre fait non moins incontestable, à savoir que les mérites des saints ont une vertu expiatrice préparatoire, si je puis me servir de cette expression, c’est-à-dire que le pécheur est souvent préparé, avant sa conversion, au pardon par une immolation étrangère qui est jointe à celle de Jésus-Christ.

Ce que vous dites de la rédemption est vrai, mais pas d’une manière exclusive. J’y vois une tendance protestante qui m’avait souvent frappé. Il ne faut pas dire, comme nous le reprochent les protestants: l’expiation du Sauveur ne suffit pas; mais il faut dire: la miséricorde du Sauveur est si grande qu’il a voulu, après nous avoir justifiés gratuitement, justificati gratis(1), nous laisser quelque chose à faire dans l’oeuvre de notre expiation. Je vais plus loin. Si l’homme, après le baptême, ne devait plus pécher, ce que vous dites pourrait être vrai; mais après la rechute, votre manière de voir me paraît incomplète. J’adopte donc tout ce que vous dites de l’éducation par la pénitence, mais cette éducation ne suffit pas; il y a là une dette antérieure à l’éducation.

Votre lettre renferme une expression que je ne puis laisser passer. Vous dites que Notre-Seigneur ne peut pas empêcher l’âme coupable et pardonnée d’avoir un penchant pour les habitudes qu’elle a contractées. Je vois là deux fausses assertions: 1° En principe, il le pourrait, s’il le voulait, et la preuve s’en est vue chez plusieurs saints. 2° Vous sembleriez conclure que la pénitence n’est imposée qu’aux habitudes. Or, les lois les plus sévères de l’Eglise sont pour trois péchés, qui peuvent très bien ne pas supposer une habitude: l’apostasie, l’adultère et l’homicide, si je ne me trompe.

Je le répète, la pénitence considérée comme éducation est vraie, mais n’est pas complète. Il y a quelque chose en plus, qu’il faut chercher soit dans la justice qui veut que l’homme donne tout ce qu’il peut, quand même ce tout n’est rien, soit dans la miséricorde qui veut que l’homme fasse usage de sa liberté pour coopérer à l’oeuvre de l’expiation particulière et universelle.

Je reprends maintenant vos dernières lettres, que mes douleurs presque quotidiennes m’avaient fait un peu laisser de côté. J’ai sous les yeux trois lettres des 19 nov[embre], 13 déc[embre] et 18 déc[embre].

Vous trouvez que je devrais m’arranger pour aller tous les ans à Paris. Je le voudrais bien, moi aussi, mais je ne le puis guère. Croyez-le, je voudrais aussi beaucoup vous donner une re traite, mais il me faut attendre encore. Dieu, s’il le veut, arrangera tout pour cela.

Vos fatigues et vos découragements à propos de vos Soeurs ne me surprennent point. Vous ne désirez passer pour bonne que parce que paternellement vous l’êtes peu. Quand je dis paternellement, il faut que je vous dise que j’entends aussi par là tous les froissements de votre éducation. Pauvre enfant, comment seriez-vous restée bonne envers les autres au milieu de tant de bourreaux! Il m’est parfaitement inutile de vous dire que la destruction de votre bonté naturelle, supposé que vous en ayez jamais eue, peut vous servir à acquérir la bonté surnaturelle, qui n’est aussi agréable qu’après bien des efforts; mais je crois que je n’ai rien à vous apprendre sur ce chapitre. Supposez que je viens de me faire un sermon à moi-même.

Je crois qu’il ne faut plus parler de vos désespoirs, et la seule chose à conclure, c’est qu’ils m’ont servi à vous connaître beaucoup mieux que si vous eussiez été de mon avis. Il faut conclure encore que Dieu veut vous conduire par un autre chemin. Enfin, faut-il dire que vous avez perdu votre temps? Après avoir réfléchi bien longtemps, je crois que non, si vous avez accepté en esprit de foi les souffrances par lesquelles vous avez passé. Vous me demandez si vous avez eu tort de vous révolter, lorsque je vous ai engagée à vous porter au plus pénible. A cet égard, je crois que oui. Reste à savoir ce qui était pour vous le plus pénible et si vous ne l’avez pas quelquefois envisagé avec trop d’amertume(2). Je pense, comme vous, qu’il est toujours temps de commencer et que vous ferez bien de commencer toutefois en toute douceur et sécurité. C’est ce à quoi je me sens poussé de vous porter de toute la puissance de mon autorité et de mon affection. Le plus pénible, pour le moment, ne doit point consister pour vous dans l’austérité, mais [dans] la souffrance intérieure. Voilà dans quel sens je me sens porté à vous inviter à marcher, de la part de Dieu.

26 janvier.

Il y a plus de quinze jours que ceci est écrit, et je ne m’explique pas pourquoi je ne l’ai pas fait partir, sinon parce que je tenais à ce que j’avais promis plus haut, à vous envoyer un volume. Cependant mes lettres sont loin d’approcher des vôtres. Je viens de passer près de trois quarts d’heure à en relire une partie. Je voulais m’assurer que je répondais à tout.

Je crois vous avoir parlé de votre lettre de direction, écrite par vous à vous. Elle est très bonne, en effet, et, si elle peut vous faire du bien, supposez que c’est moi qui vous l’ai écrite. Je prends sur moi ce qu’elle renferme de prescriptions positives. Vous vous trouvez entêtée par nature. C’est un grand malheur, dit-on, que je ne le sois pas assez. Maintenant mon défaut, qui en cela est contraire au vôtre, pourra-t-il vous faire du bien? Je l’espère, parce qu’en général les personnes entêtées aiment assez les gens qui ne le sont pas. Je suis tout disposé, chère enfant, à vous aider dans la destruction de votre volonté. Il y a, ce me semble, de votre part de généreux efforts. Il faut espérer que nous ne tarderons pas à [en] découvrir les résultats.

Vous recevrez par la première occasion les Constitutions du Verbe-Incarné.

Je crois, dans une précédente lettre, vous avoir dit combien la triste affaire de famille, dont vous me parlez, m’affectait douloureusement pour vous. Ce sont de ces épines qui viennent s’en foncer dans notre coeur de chair, afin de lui faire sentir qu’il n’est pas entièrement mort. Je prierai bien Dieu, pour qu’il vous fasse retirer de tant de misères force et profits. Je partage tout à fait votre manière de voir sur votre résolution de ne point accepter une belle-mère(3).

Je comprends très fort ce vice de propriété, dont vous me parlez, et je m’explique très fort ces ennuis à la communion, dont vous me parlez depuis quelque temps. Le don que Jésus-Christ y fait de lui-même y est la condamnation vivante de votre propriété. Ce que vous me dites de vos ennuis à la communion et de vos ennuis des paroles de Soeur Thrérèse]-Em[manuel] me donne une idée qui vous surprendra peut-être, c’est que vous avez besoin d’un régime extrêmement doux pendant quelque temps. Votre pauvre nature physique doit être très fatiguée encore et redoute toute émotion. Il se pourrait [fort-bien] qu’en prenant pendant quelque temps toute chose en esprit de calme, en vous accordant quelque distraction calmante, en vous privant quelques jours de la communion, cette disposition vous passât. Du reste, je ne crois pas que l’état, dans lequel vous êtes, soit en lui[-même] bon ou mauvais; tout dépend de la manière avec laquelle on l’accepte.

J’aime beaucoup la manière dont vous avez prié et accepté votre position comme pécheresse, dont la conversion réjouirait le ciel; mais ce qui me frappe, c’est l’envie que vous éprouvez contre les personnes plus avancées que vous. Vous ne m’en dites qu’un mot en passant. Je voudrais quelques détails de votre part. Ce fait m’a frappé beaucoup chez une des plus belles âmes que j’ai connues et qui, comme vous, est continuellement poursuivie par l’envie et aussi par la jalousie de la perfection des autres.

Adieu, ma fille. J’ai bien d’autres choses à vous dire, mais il me faut aller confesser des religieuses que j’ai abandonnées depuis quinze jours. Je viens aussi de me faire directeur d’un pensionnat, qu’il faut renouveler. Cela, joint aux Carmélites que nous avons depuis un mois, me donne assez de besogne. Depuis quelques jours, mes douleurs de tête ont beaucoup diminué. Si je ne souffre pas trop, ce soir, je vous parlerai de vos Constitutions.

Tout à vous, chère enfant, et du fond de l’âme.

Notes et post-scriptum
2. On rencontre ici et ailleurs des expressions qui nous paraissent un peu dures. Il faut se rappeler que c'est le langage d'un prêtre jeune et parfois trop impérieux, et qu'il s'agissait de détails de perfection qui n'étaient que conseillés. Les termes de révolte, indépendance, etc., doivent s'expliquer ainsi.
3. C'est l'affaire de famille, dont il est parfois question dans la correspondance de cette époque; M. Milleret, père de la Mère Marie Eugénie de Jésus et veuf depuis quelques années, songeait à se remarier.1. *Rom*. III, 24.