Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 124.

16 mar 1844 Alais MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Il va reprendre ses instructions – Il approuve sa lettre – Les idées d’expiation, d’après J. de Maistre – Traités de saint Augustin à lire – La souffrance est une des voies dont l’union est le but – Les trois éléments qui constituent l’homme et le chrétien – Réponses à diverses questions de spiritualité – L’abbé Gabriel.

Informations générales
  • PM_XIV_124
  • 0+327|CCCXXVII
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 124.
  • Orig.ms. ACR, AD 328; V. *Lettres* II, pp. 132-136 et D'A., T.D. 19, pp. 24-25.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DIVIN
    1 APOSTOLAT
    1 AUMONIER
    1 CARACTERE
    1 CAREME
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 COLERE
    1 CONFESSEUR
    1 CONSEQUENCES DU PECHE
    1 CONSTITUTIONS
    1 COURS PUBLICS
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 EMOTIONS
    1 EMPLOI DU TEMPS
    1 ESPRIT ETROIT
    1 FRANCHISE
    1 GENEROSITE DE L'APOTRE
    1 HONNETETE
    1 LACHETE
    1 LIVRES
    1 LUTTE CONTRE SOI-MEME
    1 ORAISON
    1 ORGUEIL
    1 PECHE ORIGINEL
    1 PENITENCES
    1 PERES DE L'EGLISE
    1 PROGRES DANS LA VIE SPIRITUELLE
    1 REDEMPTION
    1 SANG DE JESUS-CHRIST
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 SUPERIEUR DE COMMUNAUTE
    1 SYMPTOMES
    1 VOIE UNITIVE
    1 VOLONTE DE DIEU
    2 BERULLE, PIERRE DE
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 JULIEN D'ECLANE
    2 MAISTRE, JOSEPH DE
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Alais, 16 mars 184[4] (1).
  • 16 mar 1844
  • Alais
La lettre

Je dois commencer par vous dire, ma chère enfant, que je n’ai pas songé à vous envoyer les livres que je vous avais promis, parce que, depuis ma dernière lettre, j’ai été beaucoup plus souffrant. Un jour même, quoique je susse n’avoir rien de dangereux, j’étais assez profondément découragé. Enfin, j’espère pouvoir demain reprendre le cours de mes instructions.

J’arrive à votre lettre que je reçois aujourd’hui et que, sur votre demande, je vous renvoie avec les Constitutions du Verbe-Incarné. Je vous avoue que je vais vous surprendre entièrement, en vous disant que je l’approuve sans restriction. Tout ce que vous y dites est parfaitement vrai, pourvu que vous ne l’entendiez pas dans un sens exclusif. Ce qui vous cause tant d’émotion m’en a longtemps causé, et une grande partie de mes rages secrètes, en pensant à la personne en question, vient de là. Ce que vous dites de l’étroitesse des prêtres et des gens pieux a encore son côté très vrai. C’est un fait qui m’a bien frappé, il y a dix ans, et qui m’humilie encore profondément aujourd’hui. Sur ce terrain j’en dirais encore plus long que vous peut-être. Mais à quoi bon?

Je voudrais avoir plus de temps pour causer avec vous de ce qui me paraît vrai dans les idées d’expiation de M. de Maistre, et [de] ce qui m’en paraît exagéré, comme aussi sur ce qui me paraît trop exclusif dans votre manière de voir. Il me semble que vous m’aviez demandé, dans le temps, quelques ouvrages des saints Pères à lire. Si vous aviez le temps, vous pourriez prendre dans le dixième volume les traités de la grâce de saint Augustin, en laissant le dernier qui me paraît une assez continuelle répétition de ce qui précède. Mais si encore parmi les autres traités vous voulez choisir, vous pouvez commencer par lire les livres: De peccatorum meritis et remissione, De natura et gratia, De gratia Christi et peccato originali, et enfin les Six livres contre Julien, qu’il ne faut pas confondre avec l’ouvrage imparfait contre Julien, qui a, je crois, 12 ou 15 livres.

Après cela, ma chère enfant, ce que voulaient les personnes qui ont eu tant d’influence sur vous est-il complètement possible? Je ne le pense guère, parce que nous ne tenons pas assez de compte de la volonté de Dieu, qui est de nous rappeler toujours notre misère et notre néant, de peur que l’orgueil ne nous emporte.

En ce que vous me dites que j’aurais tort aux yeux de certaines personnes, parce que je vais plus à la souffrance qu’à l’union, vous avez parfaitement raison, si vous concluez du particulier au général. Je puis vous assurer que je n’ai jamais considéré la souffrance que comme une des voies dont l’union est le but. Mais si j’ai cherché à vous retenir dans la souffrance, c’est parce que vous m’avez assez souvent avoué que votre nature y répugnait outre mesure. Ainsi tout ce que dit le P. de Bér[ulle] me va à merveille, et je n’ai pas envie d’en retrancher un mot. Voilà pour le général. Maintenant, pour ce qui est de vous, j’ai craint, à tort peut-être, que sur de belles idées d’amour de Dieu vous ne travaillassiez pas assez à détruire ce qui déplaisait à Dieu dans votre âme.

Les irritations, dont vous vous plaignez, peuvent venir tout bonnement d’un sang un peu échauffé. Quelques rafraîchissements vous feraient plus de bien que tout. Rien n’humilie comme de voir le corps agir ainsi sur les dispositions de l’âme. Je m’explique votre échauffement par toutes les courses et les occupations qui vous font manquer l’oraison et les lectures pieuses.

Vous êtes parfois un peu inexplicable, ou plutôt vous êtes un de ceux chez qui se manifestent de la manière la plus tranchée les trois éléments qui constituent l’homme et le chrétien:

1° Une assez belle nature primitive, d’une poussée franche et droite;

2° Les plus affreux ravages du péché originel, toute la sublimité de l’orgueil qui précipita Satan au fond des enfers, lequel, en tombant du ciel, disait à coup sûr: « Que m’importe? », et qui, tout en rôtissant, doit dire parfois: « A quoi bon? »

3° Une pauvre et bonne fille, toute lavée du sang de Jésus-Christ, qui l’aime comme un Dieu aime, et qu’elle aussi voudrait bien aimer et faire aimer.

Le tout pour vous, ma fille, consiste a développer le troisième élément, en détruisant le second et en vous servant de votre mieux du premier. Cela posé, ma chère fille, je dois, pour répondre à votre règlement de compte, vous faire observer que je vous conjure, toutes les fois que vous sortirez de la maison, au moins jusqu’à la fin du Carême, ou au milieu des occupations de l’intérieur, de vous rappeler ces paroles si belles de Jésus-Christ à ses apôtres: Ecce ascendimus Hierosolymam, etc. (Matth. XX.)

Du reste, puisque votre confesseur ne vous aide pas sur ce chapitre, veuillez m’écrire toutes les fois que vous manquerez aux points que vous me signalez. Toutes les fois que par votre faute vous aurez manqué votre oraison, vous vous accuserez en plein réfectoire et vous baiserez en pénitence les pieds de vos Soeurs, ou vous réciterez, toujours au réfectoire, 5 Pater et Ave, les bras en croix, à moins que votre aide spirituelle ne trouvât que les manquements, à force d’être répétés, ne finissent par scandaliser plus que la pénitence n’édifierait. Il est très vrai, ma chère enfant, que depuis quelque temps j’ai cherché à vous conduire avec plus de douceur. J’avais espéré que votre orgueil me comprendrait. Vous trouvez que cela ne vous va pas. Eh bien, mon enfant, puisque vous le désirez, je tâcherai de faire encore pour le mieux.

Puisque je vous renvoie votre lettre, je n’ai rien de mieux à vous dire que de vous recommander l’état où vous entrez, quand vous priez tout de bon. Je parle du paragraphe qui se trouve à la septième page de votre lettre. Il est parfait. Maintenez-vous-y toute la fin du Carême. J’approuve très fort le papier à deux colonnes et je vous engage à en essayer le plus tôt possible. Vous pourrez, si vous n’en souffrez pas trop, d’ici à Pâques, porter tous les matins une ceinture jusqu’après la messe, et, si vous trouvez que cela vous fatigue trop, jusqu’après l’oraison.

Les sentiments que l’on éprouve, lorsque la sainte Hostie tombe, peuvent être très différents et cependant très bons. Cependant, il m’est impossible d’être [très] édifié des vôtres.

L’ardent désir de M. G[abriel] me paraît fort explicable(2). Il voit dans votre maison des femmes supérieures; cela lui suffit. Je ne vois aucun inconvénient à ce que vous le preniez. Vous savez ce que je vous en ai dit dans le temps. Je dois ajouter que je connais peu de prêtres plus capables de dévouement, plus faciles à sanctifier par quelqu’un qui voudrait s’en donner la peine. Son genre d’orgueil pourra vous aider à détruire le vôtre. Vous ai-je dit que c’était une âme tendre? Il se laisserait prendre de ce côté, sans s’en douter. -Je vous dis ceci comme à une supérieure de communauté. – Vous ne l’aurez pas très longtemps et vous vous quitterez, sans vous brouiller, si, lorsque vous vous apercevrez qu’il s’ennuie de vous -ce qui arrivera infailliblement, -vous lui ouvrez une porte de sortie. Il n’y a qu’à savoir connaître son monde, pour le lâcher à temps.

Adieu, ma chère enfant. Priez un peu pour moi, qui n’ai guère été bon pendant ces derniers jours. Je n’ai pas assez su me soumettre à la volonté de Dieu.

Notes et post-scriptum
1. La lettre est datée faussement de 1845, le P. d'Alzon ne se trouvant pas à Alais à cette époque.
2. L'ancien curé de Pézenas qui avait accompagné à Rome l'abbé d'Alzon et allait devenir, à Paris, aumônier des religieuses de l'Assomption.