Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 143.

21 oct 1845 Lavagnac MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Son indisposition – Il voudrait être assommé par ses lettres – Son état intérieur – Il vient de commencer un voeu de perfection – Préoccupations pour la santé de Soeur Marie-Gonzague -Les terres à vendre de son père – Elle a raison d’attendre de lui plus que de la bonne volonté – Souvenir de sa nièce – M. Sauvage – Vocations de religieuses – Il désirerait un camail de religieux.

Informations générales
  • PM_XIV_143
  • 0+416|CDXVI
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 143.
  • Orig.ms. ACR, AD 378; V. *Lettres* II, pp. 333-336 et D'A., T.D. 19, p. 35.
Informations détaillées
  • 1 BIENS DES D'ALZON
    1 CAMAIL
    1 RECHERCHE DE LA PERFECTION
    1 VENTES DE TERRAINS
    1 VIE SPIRITUELLE
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    1 VOEUX PRIVES DU PERE D'ALZON
    2 ALZON, HENRI D'
    2 O'NEILL, THERESE-EMMANUEL
    2 PUYSEGUR, MADAME ANATOLE DE
    2 PUYSEGUR, MARTHE DE
    2 SAINT-JULIEN, MARIE-GONZAGUE
    2 SAUVAGE, EUGENE-LOUIS
    3 ANGLAS, PROPRIETE
    3 LAVAGNAC
    3 MONTMAU
    3 NIMES
    3 VIGAN, LE
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Lavagnac, 21 oct[obre 18]45.
  • 21 oct 1845
  • Lavagnac
  • *Madame*
    *Madame la Supérieure de l'Assomption*
    *76, rue de Chaillot*
    *Paris.*
La lettre

Vous m’écriviez votre lettre du 16 auprès d’une malade; moi, sans l’être, je juge à propos d’avoir mal d’estomac, ce qui me met dans la dure nécessité de ne pas dîner. Je ne puis mieux oublier ma faim qu’en causant un peu avec vous, ma chère enfant.

Il faut d’abord que je vous avoue que je m’étais si bien fait à l’habitude d’être ce que vous appelez assommé par vos lettres, que, n’en ayant pas reçu depuis sept ou huit jours, il me manquait quelque chose. Je ne prétends pas vous dire, au moins, que je veuille usurper sur votre temps. Je croirais trop me laisser aller à une satisfaction inutile, pour ne pas me la reprocher très fortement; mais je tenais à vous bien convaincre, une bonne fois, que j’aime beaucoup la manière dont vous prétendez assommer les gens. Puis, à vous dire vrai, j’avais besoin que vous voulussiez de nouveau me parler la première de vous, pour que je puisse vous parler de moi plus à l’aise. Ne pensez pas que vous montrer mauvaise me fasse jamais un fâcheux effet. Bien loin de là! Il est sûr que pour moi, au contraire, vous vous mettez beaucoup mieux à ma portée.

J’ai moins de peine à vous avouer que j’ai été très paresseux, ces jours-ci, que je me suis levé tard, que j’ai passé toutes mes journées presque à me promener. Il est vrai que j’avais beaucoup à causer avec les miens. Eh bien! voyez mes folies. Croiriez-vous qu’hier, à la messe, il m’a été impossible de refuser à Dieu de commencer une espèce de noviciat du voeu de perfection? Je suis quelquefois tenté de croire que ce n’est qu’un sot orgueil, qui a pu m’inspirer une pareille idée. Puis, pourquoi cette idée m’est-elle venue à la messe? En résumé, je trouve que Dieu me tire bien fort à lui, mais que je n’ai que des velléités de bien. Pourtant, ma fille, votre responsabilité et la mienne sont quelque chose de très sérieux et qui nous met dans la nécessité de devenir des saints. Cela fait frémir, mais il ne s’agit pas d’avoir peur, mais de se mettre sérieusement à l’oeuvre.

Depuis que j’ai quitté Nîmes, on a été obligé de chasser un élève, à cause de ses moeurs. N’est-ce pas quelque chose de déplorable? Voilà pourtant à quoi je dois m’attendre malheureusement bien des fois. Avec des garçons, il n’y a pas à tergiverser; car si on ne les tient pas en bride par la peur de l’expulsion, on ne sait plus qu’en faire, et ils se mettent bien vite à faire la loi. Vous comprenez que c’est ce que je n’entends nullement.

Parlez-moi de ma bonne Soeur Gonzague. Je ne puis vous dire combien elle me préoccupe et combien je suis content de la voir prendre son mal en patience et en sainteté. C’est une pauvre chère fille, dont l’âme est presque tout entière à ma charge devant Dieu par la manière dont elle s’en est rapportée à moi pour sa vocation. Croiriez-vous qu’il me tarde presque de lui voir déployer ses ailes vers le ciel? Mais il ne faut pas être si pressé. Dites-lui, pour moi, tout ce que vous pourrez imaginer de plus dévoué. Vous vous plaignez de ne pouvoir parler à vos filles. Savez-vous que, ces jours derniers, j’avais envie de leur écrire une lettre collective, et, puisque vous paraissez n’avoir pas le temps de les voir, il est bien possible que je réalise mon idée. Du reste, je vous adresserai mon épître, et vous n’en ferez que l’usage qu’il vous plaira.

En fait d’argent, il n’y a que le premier pas qui coûte. J’avais toutes les peines du monde à avoir quelques sous. A présent, je puis vendre des terres de mes parents pour 300 000 francs(1). Il est vrai que tout ne sera pas pour moi, mais au moins la majeure partie, et je crois que je pourrais peut-être vous procurer 100 000 francs au 4 %. Je ne vous promets pas cette somme, mais au moins 50 000 francs. Ecrivez-moi exactement ce que vous prendriez, parce que, selon ce qui me paraîtra possible, je tâcherai de vous accommoder.

Vous avez bien raison de dire que vous attendez de moi un peu plus que de la bonne volonté. Quand j’eus écrit ces deux mots, ils me reprochèrent. Mais, après tout, Dieu ne demande pas autre chose aux hommes pour leur donner la paix. Je suis bien aise que vous sachiez, sans que je vous le répète, qu’il y a en moi une plénitude d’affection, qui se verse de votre côté avec un calme et une placidité que Dieu bénit, je n’en doute pas, et même encourage.

Il paraît, ma chère enfant, que vous regrettez moins vos pères que je ne regrette mes mères. Le souvenir de ma pauvre Marthe est toujours là; elle me manque partout. Je me reproche de n’être pas allé visiter sa petite tombe. Pauvre petit ange! Il m’était bon qu’elle partît, et Dieu qui dispose tout avec amour l’a chargée de dénouer bien des liens qui, sans elle au ciel, m’eussent été bien durs à briser. Amen(2).

J’apprends, ce soir, que M. Sauvage est arrivé; je le verrai après-demain ou vendredi, au plus tard. Je suis content que vous veuilliez de mes prétendantes. Celle qui a des fautes à se reprocher avait quitté son pays de façon que presque personne ne l’a su. Il faut que je vous fasse observer qu’elle est, depuis très longtemps, dans un état complet de suppression de ses maladies. Sa santé est pourtant très bonne. Voyez si ce serait un obstacle. Cet état n’est nullement l’effet de sa vie antérieure, mais je crois devoir vous donner ce détail, quoique, je le répète, sa santé soit très bonne. C’est elle qui a cru devoir me faire cet aveu. Voulez-vous que j’en parle à un médecin? Sa conduite, je le répète, est depuis longtemps on ne peut plus édifiante.

Hier, j’ai reçu une lettre d’une jeune personne, entrée pour la troisième fois au Carmel et qui m’écrit pour me dire que, la dernière fois, elle n’a pris ce parti que par une espèce de remords de conscience, mais que ce qu’elle avait entendu de l’Assomption lui ferait préférer cet ordre de beaucoup. Je lui ai répondu que, puisqu’elle était au Carmel, il fallait qu’elle y restât, et je ne lui ai donné aucune espérance. Mon avis serait de l’y laisser un an, puisqu’elle y est; que si, au bout de ce temps-là, elle ne pouvait s’y accoutumer, nous pourrions voir ce que l’on en pourrait faire.

Adieu, ma chère enfant. Je crains qu’au milieu de toutes vos fatigues vous ne vous soigniez pas assez. Ne penseriez-vous pas que, pour mon costume, vous pourriez me faire une pèlerine ou camail? Quoique pour costume de nuit, ce serait un moyen d’arriver toujours un peu plus à mon but. Adieu. Il m’est inutile de vous recommander de prier beaucoup pour moi. J’ai, par pur oubli, manqué une ou deux fois les messes du samedi pour le frère de Soeur Th[érèse]-Em[manuel], mais j’ai pris mes précautions pour ne l’oublier plus.

Notes et post-scriptum
1. Le vicomte d'Alzon fit alors faire des démarches par des notaires, pour vendre soit le domaine d'Anglas, près du Vigan, qui fut estimé 300 000 francs, soit celui de Montmau, près de Montagnac, qui fut estimé 145 000 francs: ce dernier comprenait 62 hectares environ.
2. Marthe de Puységur, sa nièce, se brisa le coeur accidentellement, sous les yeux de sa mère, en tombant sur les marches de l'escalier de la chapelle, à Lavagnac.