Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 149.

10 nov 1845 Nîmes BEVIER Marie-Augustine ra

Ce que j’ai recueilli pour vous sur les marches de l’autel – Un caractère orageux comme le vôtre menace souvent de briser le lien indispensable de la confiance – De charmantes plaisanteries qui dépassent les limites – Après un temps de silence nous pouvons rentrer dans une voie de simplicité et de gravité – *Nemo tam pater* – Ce que j’ai vu dans votre coeur en récitant une strophe de l’office – Le vent de l’orgueil.

Informations générales
  • PM_XIV_149
  • 0+423 a|CDXXIII a
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 149.
  • Orig.ms. AC R.A.; D'A., T.D. 19, pp. 37-38.
Informations détaillées
  • 1 CORRECTION FRATERNELLE
    1 DESIR DE LA PERFECTION
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 FIDELITE A L'ESPRIT DE LA REGLE
    1 HOMME DE PRIERE
    1 LEGERETE
    1 NOTRE-SEIGNEUR
    1 PATERNITE SPIRITUELLE
    1 PRIERE DE DEMANDE
    1 PROGRES DANS LA VIE SPIRITUELLE
    1 REFLEXION
    1 SIMPLICITE
  • A SOEUR MARIE-AUGUSTINE BEVIER
  • BEVIER Marie-Augustine ra
  • Nîmes, 10 nov[embre 1845].
  • 10 nov 1845
  • Nîmes
La lettre

Ma chère enfant,

La préoccupation que me cause un de nos élèves, dont le bras s’est cassé hier, et quelques autres motifs m’ont empêché de dormir. Je me suis levé avant l’heure et je suis allé visiter un peu Notre-Seigneur. Là je me suis senti porté à prier pour vous, sinon avec tant de ferveur, du moins avec tant d’affection que je veux vous dire ce que j’ai recueilli, ce me semble, pour vous, sur les marches de l’autel où j’étais prosterné.

Il me semblait d’abord que vous étiez un peu fâchée de ce que je n’avais pas encore répondu à votre dernière lettre, et je me croyais obligé à vous en donner la raison. Vous le savez, ma chère fille, dans les rapports que Notre-Seigneur paraît vouloir établir, entre vous comme religieuse de l’Assomption et moi comme votre père, il ne se peut trouver qu’un lien, le plus faible, le plus fort, selon que vous le voudrez, celui de la confiance, que votre volonté m’accordera. Ce lien menace souvent d’être brisé par un caractère orageux comme le vôtre, et cependant il peut avoir une force indissoluble, si vous l’entourez de votre foi si vive et si ardente. Que voulez-vous qu’il devienne? Vous repentez-vous de l’avoir accepté? Voulez-vous le resserrer davantage? Votre dernière lettre me paraissait indiquer, de votre part, je ne sais quoi qui me faisait craindre comme une menace de rupture. Vous avez trop de tact pour n’avoir pas aperçu que dans vos plaisanteries, charmantes du reste, vous aviez dépassé des limites, que je regrette quelquefois de voir poser, mais que je dois pourtant vouloir, lorsque je songe à ce que nos relations doivent avoir de fort et de sérieux, pour vous être utiles et pour me faire trouver ma sanctification en travaillant à la vôtre.

Peut-être avais-je fourni prétexte à cette disposition, imparfaite de votre part, en ne sachant pas assez tenir compte de votre impressionnabilité; et c’est un défaut dont je veux absolument me corriger pour pouvoir vous faire avancer plus rapidement dans la voie du ciel. Or j’ai pensé qu’un temps de silence de ma part laisserait tomber, chez vous comme chez moi, ces dispositions peut-être trop peu sérieuses, et nous permettrait de rentrer plus tard dans une voie de simplicité et de gravité qui vous va et qui me doit aller. Mais ne me suis-je pas tu assez longtemps? Et ne puis-je pas vous dire à présent combien je pense souvent à vous, lorsqu’en récitant mon office je tombe sur le Nemo tam pater, écrit de votre main? Je la garde réellement avec bonheur cette image, comme la preuve d’un engagement auquel je tiens peut-être plus que vous, parce que je sais le bien qu’il m’a fait par les désirs de devenir meilleur qu’il m’a inspirés.

Notre-Seigneur me disait, ce me semble, encore de vous rappeler ce que vous êtes, et, en revenant sur la fête d’hier, je repas sais cette strophe de notre office:

Ecce sedes hic Tonantis,

Ecce coeli janua,

Hic sacerdos, ara, templum,

Hic Deus fit hostia.

Je vous appliquais toutes ces paroles, et dans votre coeur je voyais un trône pour Dieu, la porte du ciel pour vos élèves, un prêtre, un autel, un temple pour Jésus-Christ, qui veut venir s’y faire victime, afin que vous soyez victime avec lui. Voilà, ma chère enfant, quelque chose de ce que j’ai pensé à votre sujet. Je vous le dit fort mal; mais ce que je ne puis pas, ce me semble, vous exprimer, c’est le désir qui se versait en quelque sorte de mon coeur avec tant de plénitude aux pieds de notre divin Maître, pour obtenir de lui que vous devinssiez tout à fait digne de votre vocation. Vous m’avez dit que vous mettiez votre âme devant Notre-Seigneur comme une fleur devant le soleil. Oh! si ma prière pouvait porter quelque goutte de rosée à cette chère petite plante, et l’empêcher de se dessécher au vent de l’orgueil! Mais je tombe dans les comparaisons et je veux vous dire sans figure que plus que jamais, ma chère enfant, je suis tout vôtre en Notre-Seigneur.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum