Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 161.

2 jan 1846 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Tout lui plaît dans ses lettres, les gronderies comme les éloges – Vocations qui se dessinent au Grand Séminaire – Les six premiers novices – Petits défauts et grandes vertus – Beiling et Decker – Ses filles nîmoises – Le P. Lacordaire et la vision béatifique – Il faut consolider l’oeuvre à Nîmes, avant de l’établir à Paris – Ses trois résolutions pour l’année qui commence – M. et Mme de Croÿ.

Informations générales
  • PM_XIV_161
  • 0+445|CDXLV
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 161.
  • Orig.ms. ACR, AD 401; V. *Lettres* III, pp. 1-5 et D'A., T.D. 19, pp. 41-42.
Informations détaillées
  • 1 ABAISSEMENT
    1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 APOSTOLAT
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 CHARITE THEOLOGALE
    1 CONNAISSANCE DE DIEU
    1 CRITIQUES
    1 DEFAUTS
    1 EFFORT
    1 ERECTION DE MAISON
    1 HUMILITE
    1 IVROGNERIE
    1 LEGERETE
    1 NOVICES ASSOMPTIONNISTES
    1 PREDICATION
    1 PRIEURE DE NIMES
    1 PRUDENCE
    1 RAPPORTS DU SUPERIEUR
    1 RELATIONS DU PERE D'ALZON AVEC LES ASSOMPTIADES
    1 REPAS
    1 SEMINARISTES
    1 SURVEILLANTS
    1 TEMPS DE NOEL
    1 VERTUS
    1 VISION BEATIFIQUE
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    2 ACHARD, MARIE-MADELEINE
    2 ALZON, EMMANUEL D'
    2 BEILING, ADOLPHE
    2 BEILING, MARIE-LOUISE
    2 BOURDET, MADAME JEAN-CLAUDE
    2 BOURDET, MARIE-FRANCOISE
    2 CROY, DE
    2 CROY, MADAME DE
    2 CUSSE, RENE
    2 DECKER, FRANCOIS-JOSEPH
    2 GOURAUD, HENRI
    2 GRATRY, ALPHONSE
    2 HENRI, EUGENE-LOUIS
    2 LACORDAIRE, HENRI
    2 LAURENT, CHARLES
    2 MESNARD, MADAME DE
    2 ROUX, MARIE-MARGUERITE
    2 SAUVEBOEUF, MADAME DE
    2 SURREL, FRANCOIS
    2 TISSOT, PAUL-ELPHEGE
    2 VEUILLOT, LOUIS
    3 ALGER
    3 PARIS
    3 PARIS, COLLEGE STANISLAS
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • [Nîmes, le] 2 janvier 1846.
  • 2 jan 1846
  • Nîmes
La lettre

Je trouve votre lettre, ma chère enfant, et je viens de la lire avec un vrai bonheur. Il me semble que depuis un siècle je n’avais vu de votre écriture. Quand vous voudrez me faire pratiquer la mortification, vous en connaîtrez le moyen. Tout ce que vous me dites me plaît, les gronderies comme les éloges. Seulement, il y a un point sur lequel il me prend des doutes, mais nous en parlerons plus bas. Je veux vous dire tout de suite que je crois que Dieu nous bénira, mais je vous en donnerai la raison après Vêpres que je vais réciter avec un de nos Pères, en retard comme moi.

Il paraît que nous pouvons compter sur un certain nombre de vocations au Séminaire; deux jeunes diacres, qui étaient ici surveillants l’année passée, meurent d’envie de revenir comme religieux; nous avons deux ou trois autres séminaristes qui sont aussi dans la plus belle ardeur. Or, ne riez pas, mais devinez un des motifs de leur enthousiasme: ce n’est ni plus ni moins que votre très humble serviteur et père. Il paraît que je suis, pour le quart d’heure, dans la bouche des séminaristes, comme je n’ai jamais été dans celle des dévotes. Convenez qu’il faut que ce soit vous pour vous conter tout cela. Pour moi, j’y vois une permission de Dieu qui me déguise en apparence, afin que je puisse, en faisant illusion aux gens, les conduire là où il les veut.

Les six premiers novices sont le P. Eugène, dans le monde M. Henri; le P. Paul, dans le monde M. Tissot; le P. François-Xavier, dans le monde M. Surrel; le P. Charles, dans le monde M. Laurent; le Fr. René ou Jean Climaque, (on n’a pas bien fixé), dans le monde M. Cusse; et le P. Emmanuel, dans le monde M. d’Alzon. Vous voyez que nous suivons vos errements et que nous avons laissé les noms de famille, pour prendre ceux ou de baptême ou de dévotion.

Ce que vous me faites observer sur mes légèretés est très vrai, et je ne vous en avais écrit les détails que pour me faire honte à moi-même. J’accepte donc toutes vos observations, même celles sur mes grandes vertus et mes petits défauts. Est-il permis de se moquer à ce point de son prochain?

Vous ne parlez pas de Soeur Marie-Louise; je voudrais vous parler de son frère(1). Je ne comprends plus rien à cet individu. Il n’y a aucun reproche grave à lui adresser, et cependant on ne sait ce qu’il est. Il est toujours aussi taciturne. Je n’y sais que faire. Je lui ai parlé le plus que j’ai pu de sa soeur, afin de lui montrer l’intérêt que je portais aux siens; le résultat a été peu de chose. Il faut dire qu’il est un peu plus exact à certaines surveillances qu’on lui a confiées. Veuillez me dire s’il est vrai qu’il ait écrit, comme il s’en est vanté, pour avoir une place de précepteur. Si vous lui en trouvez une, ne l’empêchez pas de la prendre. Quant à Decker, tandis que j’étais à lire votre dernière lettre, nous entendions le bon garçon hurlant de toutes ses forces dans la chapelle. Qu’y faisait-il? Il pleurait son frère à sanglots redoublés -son frère est mort depuis six ans, il se frappait la poitrine et se déclarait un pauvre pécheur. Tout cela dit moitié en français, moitié en allemand, que Beiling traduisait à grand’ peine. Puis, tout à coup, il s’évanouit. Nous le transportâmes à grand’peine dans mon cabinet, où bientôt certaines marques peu agréables nous prouvèrent qu’il avait un peu trop chargé son estomac de bière. Depuis, il a été un peu sot. Mais hier, il s’est encore emporté d’une manière fort peu convenable sur ce qu’on n’avait pas assez à manger. Notez qu’outre les deux repas, où ils ont, à dîner, la soupe, trois plats et deux plats de dessert, et, le soir, la même chose, moins la soupe, ils font des déjeuners et des goûters énormes. Je suis résolu à ne pas lui laisser prendre un mauvais ton, que d’autres accepteraient trop facilement.

Que vous dirai-je de vos filles nîmoises? Je dois vous prévenir que Soeur Marie-Françoise ne passait pas pour avoir un très bon caractère. Sa mère, avant de mourir, m’avait dit qu’il ne fallait rien lui laisser passer, pour en venir à bout et qu’autrement elle était assez portée à l’impertinence, mais qu’une parole un peu ferme la ramenait et l’assouplissait. Je vous donne ce détail qui remonte à plus de deux ans. Soeur Marie-Madeleine me paraît un peu sévèrement jugée. Soeur Marguerite ne m’était connue sous le rapport de l’instruction que par sa maîtresse de pension, dont la capacité n’est pas prodigieuse. Son premier attrait eût été le soin des malades; les occupations extérieures pourront donc lui aller très bien.

Il y a quelque chose d’un peu faux dans une des propositions du P. Lacordaire que vous me répétez. L’amour béatifique suit la vision béatifique, et nous avons en nous sur cette terre le principe de l’amour au même degré que le principe de la vision. L’amour suit la vision. Si donc la vision n’est que le développement de la foi, l’amour béatifique n’est que le développement de la charité de la terre; car, s’il est vrai que l’on n’aime que ce que l’on connaît, l’on aime davantage à mesure que l’on connaît davantage. Or, la vision impliquant une plus grande connaissance de Dieu implique un plus grand amour d’une nature semblable à la vision. Ou je n’y connais rien, ou cela est clair. Mais ce qui me plaît c’est que les indiscrétions de Mme de Mesnard n’aient pas interrompu vos bonnes relations.

Ce que vous me dites de M. Gouraud me laisse beaucoup à réfléchir. Bien sûr, je ne mettrai aucune opposition à la volonté de Dieu, si je dois aller à Stanislas, mais pour le moment rien ne m’y pousse avant trois ou quatre ans. Je sais bien qu’un jour une maison à Paris nous sera nécessaire; mais ce qu’il me semble que Dieu veut en ce moment, c’est de consolider celle qui subsiste ici et qui, grâces à lui, va très bien. Le centre ou, si vous voulez, le noyau est ici. Ne le transplantons pas avant qu’il n’ait germé de peur de nuire au travail intérieur. Voilà ce que je veux vous dire. Après cela, décourager Gouraud, je ne le voudrais pas; mais il faut qu’il soit bien entendu que je ne vois d’autre avantage à Stanislas que celui d’être plus rapproché de vous. Laissez-moi vous dire encore une pensée que vous taxerez de pusillanimité peut-être, mais j’ai peur de Stanislas. Y réussirais-je comme ici? Cette peur n’est pas de l’amour-propre; elle repose sur un sentiment des grâces que je trouve pour préparer les voies, loin de Paris, et ne pas devancer la Providence. Puis, j’aurais toujours à lutter contre l’abbé Gratry et même contre Gouraud, je le vois bien. Or, ceci m’effraie. J’ai peur de certaines luttes.

Pour que vous ne voyiez point en ceci du découragement, je dois vous dire que mes trois résolutions, pour l’année qui commence, sont: 1° L’égalité de caractère; 2° l’esprit surnaturel de suite dans ma vie. 3° l’abandon absolu, pour ce que Dieu veut faire de moi. Mais je dois ajouter que mon incapacité me fait tous les jours trembler davantage. Cette lettre, qui vous a tant fait plaisir et où je vous disais mes impressions de Noël, ne vous démontre-t-elle pas toute la folie de mon caractère? Avec cela, je ne sais que dire quand je vois l’espèce d’enthousiasme que j’excite chez certaines gens qui viennent se dévouer avec moi d’une admirable manière. Je conclus cependant qu’ils se font illusion et que, lorsqu’ils connaîtront la vérité, ils me repousseront avec un mépris égal à l’estime qu’ils me portent dans leur illusion.

Mais il faut m’interrompre pour vous parler de M. et Mme de Croÿ. M. de Croÿ veut aller à Alger. Il m’a demandé des lettres pour Alger, je lui en ai promis. Mais franchement qu’est-ce que M. de Croÿ? Sa femme ne m’en parle qu’à mots couverts. Lui me dit tout bien de sa femme et de Mme de Sauveboeuf. Que dois-je dire de lui et comment dois-je le recommander?

A l’instant Mme de Croÿ m’envoie un énorme paquet sous enveloppe. Il y a des lettres auxquelles je ne comprends rien. Je me suis permis d’en regarder une que je me croyais adressée. Je la crois pour Mme de Sauveboeuf, je vous l’envoie pour la lui remettre. Demain je lui écrirai pour lui envoyer deux autres lettres jointes à son paquet, si toutefois c’est l’intention de Mme de Croÿ, car je n’y comprends rien et l’heure du courrier me presse. Si vous pensez que l’on puisse faire quelque chose pour M. de C[roÿ] à Alger, vous pourriez dire deux mots à Veuillot. Veuillez m’adresser au plus tôt quelques mots, afin de me camper à cet égard.

Adieu, l’heure me talonne.

Notes et post-scriptum
1. Adolphe Beiling