Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 167.

13 jan 1846 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Les plaintes au sujet du régime – Mon égoïsme voudrait toujours vous avoir là pour le soutenir – Beiling et Decker – Le Russe que vous m’avez annoncé – *Maison de l’Assomption* – Le costume : dans le Midi nos coudées sont bien plus franches qu’à Paris – Nous attendons l’office avec empressement – Argent – La famille de Croÿ – Pourquoi n’avez-vous pas déjà un corps glorieux ?

Informations générales
  • PM_XIV_167
  • 0+450 a|CDL a
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 167.
  • Orig.ms. ACR, AD 406; D'A., T.D. 19, pp. 44-47.
Informations détaillées
  • 1 ALLEMANDS
    1 ARGENT DU PERE D'ALZON
    1 ASSOMPTION
    1 BIENS DES D'ALZON
    1 COMPORTEMENT
    1 CONTRARIETES
    1 CORPS ENSEIGNANT
    1 CRITIQUES
    1 EGOISME
    1 EXAMENS SCOLAIRES
    1 HYPOCRISIE
    1 INSENSIBILITE
    1 LACHETE
    1 MAITRES
    1 MAITRESSES
    1 NOTRE HABIT ASSOMPTIONNISTE
    1 PARESSE
    1 PENSIONNAIRES
    1 PRUDENCE
    1 REGIME ALIMENTAIRE
    1 RUSSES
    1 SEVERITE
    1 SYMPTOMES
    1 TRISTESSE
    1 VIE DE FAMILLE
    2 BEILING, ADOLPHE
    2 CARDENNE, VICTOR
    2 CROY, ENGELBERT DE
    2 CROY, HENRI DE
    2 CROY, MADAME DE
    2 DECKER, FRANCOIS-JOSEPH
    2 EVERLANGE, MARIE-EMMANUEL D'
    2 GERMER-DURAND, EUGENE
    2 HENNINGSEN, MARIE-GERTRUDE DE
    2 SAUVAGE, EUGENE-LOUIS
    3 ALGER
    3 MIDI
    3 NIMES
    3 PARIS
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 13 janvier 1846.
  • 13 jan 1846
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
  • *Madame*
    *Madame la Supérieure de l'Assomption*
    *n° 76, rue de Chaillot. Paris.*
La lettre

Vous êtes, je le présume, désireuse de savoir comment s’est terminée notre grande affaire. Fort bien dans l’ensemble, moins une ou deux éclaboussures sur lesquelles j’espère bien jeter un peu d’eau froide.

Le Conseil eut lieu hier soir. Après le classement de la quinzaine qui était le but principal de la réunion, je demandai [sic] la parole et M. Sauvage la prit pour faire observer qu’il ne portait pas de plaintes, mais qu’il voulait faire des observations bien naturelles sur le peu qu’on donnait aux élèves. Je répondis que j’étais assez surpris de cette observation puisqu’on venait de me faire observer que, pas plus tard qu’hier, on avait porté dans une maison de charité des plats énormes de viandes, formés des débris recueillis sur la table des élèves. M. Durand voulut parler de la table des maîtres, à laquelle il ne mange pourtant qu’en passant. Cette objection fut résolue si clairement contre lui qu’il n’y eut pas grand moyen de répliquer. Je fis observer, en outre, qu’on avait fait des observations au nom des maîtres de la maison, et que j’en avais vu cependant plusieurs en dehors des religieux, qui avaient déclaré: l’un qu’il n’avait nullement pris mes paroles pour lui, l’autre qu’il était très content du régime de la maison, le troisième que non seulement il n’avait rien su de ce qui s’était passé, mais encore qu’il approuvait complètement ma manière de parler; que dès lors, ce n’était pas l’unanimité des maîtres, mais quelques maîtres qui se plaignaient.

Cardenne aborda enfin le fin mot en disant que le point surtout important était le manque d’égards de ces dames envers les maîtres. Je lui fis observer que ces dames se plaignaient du manque d’égards des maîtres envers elles et que, ne voulant pas juger et supposant qu’il y avait du malentendu, je leur dis que toute la question était de savoir, dans un conflit entre des hommes et des femmes, qui ferait les premières avances, des femmes ou des hommes.

Decker voulut aussi parler; il le fit avec une grossièreté que je pardonne à son ignorance de la langue. Beiling approuva tout ce que disait Decker, mais ne prit pas une part active à la discussion. Je répondis assez clairement à Decker, mais je me réservai de lui parler en particulier, sans trop l’humilier. Quant à Beiling, d’après tout ce que je vois, je crains qu’il ne puisse rester. Il paraît qu’il pousse Decker et qu’il se tient toujours habilement en arrière.

Voilà trois jours que je suis constamment dérangé, qu’il m’a été impossible de continuer à venir vous faire partager le poids de tous mes ennuis. Mon égoïsme en a un peu souffert; il se trouve si bien de l’aide que vous prêtez à ma lâcheté qu’il voudrait toujours vous avoir là pour lui répondre et le soutenir. Enfin, j’espère que les choses s’arrangeront. J’ai parlé à nos deux allemands; Beiling m’a paru assez bien, mais c’est si enfant, si inconstant. Decker paraît n’avoir aucune confiance en personne en ce moment. Je lui ai parlé avec beaucoup plus de calme, lui reprochant de s’être plaint à tous, excepté à moi, lui prouvant que, toutes les fois que ses plaintes partielles m’étaient parvenues, j’y avais fait droit, mais ajoutant que j’étais résolu à ne pas souffrir des murmures qui finissaient par faire du tort dans la maison; qu’il s’était vanté de gagner à Paris 500 francs par mois, que le fait était faux et qu’il n’avait jamais gagné au plus que 167 francs, qu’il n’avait pas compris la vie de famille et de bonne amitié que je lui avais offerte, que je la lui offrais encore, s’il se sentait assez de coeur pour l’accepter, mais qu’il fallait qu’il prît son parti de voir s’il voulait oui ou non changer et devenir autre qu’il n’avait été jusqu’à présent.

Il paraît qu’il songe à nous quitter. Je ne le regretterai pas beaucoup, à le voir aussi triste et sombre qu’il l’est par moments. Il faut bien établir que Beiling et lui ne veulent qu’une vie commode et agréable: pas autre chose. Le bien-être matériel est ce qui les préoccupe avant tout. Et c’est sous ce rapport que je redoute un peu en ce moment le jeune Russe que vous m’avez annoncé. Réellement, s’il sort d’une grande maison où il devait être bien, il aura de la peine à se faire à notre vie. Dans tous les cas, tant qu’il ne serait pas catholique, je ne voudrais pas lui offrir un appartement dans la maison. Je pourrais lui proposer une table d’hôte, où il serait fort bien; mais si vous le voulez bien, nous causerons de tout cela à Paris.

Quant à ce qui concerne les petites commissions dont vous vous chargez pour moi, au lieu de collège ou d’institution, j’aimerais autant pour le cachet que l’on mît Maison de l’Assomption: ce mot dit tout ce que l’on veut. Il ne faut point mettre collège et je n’aime pas le mot institution, qu’il nous faut bien pourtant adopter provisoirement.

Je ne puis vous taire, non plus, que la question du costume devient pour moi de plus en plus embarrassante, si nous allons tout d’abord à Paris. Il me semble que dans le Midi nos coudées sont bien plus franches; mais à Paris, il me paraît que c’est bien autre chose, à moins que nous renoncions à aller au concours. Je ne demanderais certainement pas mieux, mais croyez-vous qu’aux yeux des parents cela ne produirait pas un mauvais effet? Je ne vous dis ceci qu’en passant, car il faudra bien y revenir quand nous nous verrons.

Nous attendons avec empressement l’office. Quant à l’argent, je vous demande mille pardons de ne pas vous avoir dit que je pensais pouvoir vous en offrir vers le mois de février en vous rendant celui de Mlle d’Everlange. En ce moment, en outre les 50.000 francs que je toucherai au mois de février, je pourrais en avoir 45.000 au 5 pour cent, mais il faudrait que mon père donnât sa signature, et pour le moment, je ne le veux pas. Si pourtant cette somme vous était utile, je tâcherai bien de la ressaisir. Mais il faut aller avec prudence, car, entre nous, mon budget s’enfle tous les jours d’une effrayante manière.

Quand les frères de Mme de Croÿ comptent-ils payer la pension de leurs petits neveux? Engelbert est en toute pension, Henri n’est que demi-pensionnaire. J’ai beau faire, je ne puis décider la mère à quitter Nîmes. Le mari veut toujours aller à Alger, mais je ne sais vraiment quand il me débarrassera de sa présence, qui est assez ennuyeuse par les nombreuses visites qu’il me fait. Je m’arrête pourtant. Veuillez remercier Soeur Marie-Gertrude de la peine qu’elle a prise pour moi.

Adieu, ma chère fille. Je suis un peu fatigué, priez pour moi.

Faites-moi donc donner des nouvelles de votre oreille et de votre vilain mal aux dents. Tout cela m’ennuie beaucoup. Pourquoi n’avez-vous pas déjà un corps glorieux? Je serais beaucoup plus tranquille.

Notes et post-scriptum