Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 169.

17 jan 1846 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Votre fête – La première lettre datée de ma cellule est pour vous – Votre lettre lue, et avant de me coucher, je vous conjure de n’avoir jamais peur de m’ennuyer : ne suis-je pas votre père ? – Je me suis relevé pour prier pour vous – Il faut absolument vous courber sous l’action de Dieu et je promets à Dieu de vous y aider – Faire de l’autorité avec vous ne me va plus et pourtant je dois vous porter – Au nom de l’obéissance, vous passerez trois fois par semaine une heure de suite devant le Saint-Sacrement – Allez en humilité devant Notre-Seigneur qui lui-même s’est anéanti – Devoirs d’une Supérieure fondatrice – Le cachet de la *Maison de l’Assomption* – Votre chapelle – Beiling veut quitter Nîmes – Que le sang de Notre-Seigneur soit le ciment de nos âmes!

Informations générales
  • PM_XIV_169
  • 0+450 b|CDL b
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 169.
  • Orig.ms. ACR, AD 407; D'A., T.D. 19, pp. 48-52.
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
    1 ACTION DU CHRIST DANS L'AME
    1 ADORATION DU SAINT-SACREMENT
    1 AMITIE
    1 AMOUR DU CHRIST
    1 AMOUR-PROPRE
    1 ANGE GARDIEN
    1 ANTIPATHIES
    1 AUTORITE RELIGIEUSE
    1 CACHET DE L'ASSOMPTION
    1 CELLULE
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CRAINTE
    1 DEVOTION EUCHARISTIQUE
    1 DEVOTIONS AUX SAINTS PATRONS
    1 EFFORT
    1 FRANCHISE
    1 GLOIRE DE DIEU
    1 HUMILITE
    1 HUMILITE DE JESUS-CHRIST
    1 LACHETE
    1 MAITRES
    1 ORGUEIL
    1 OUBLI DE SOI
    1 PATERNITE SPIRITUELLE
    1 PERFECTION
    1 PRATIQUE DE L'OBEISSANCE
    1 PRIERE LES BRAS EN CROIX
    1 REPRESSION DES DEFAUTS DES JEUNES
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 SOUMISSION DE L'ESPRIT
    1 UNION DES COEURS
    1 VERTU DE PENITENCE
    2 BEILING, ADOLPHE
    2 BEILING, MARIE-LOUISE
    2 BOUBET, CLAIRE-EMMANUEL
    2 CART, JEAN-FRANCOIS
    2 O'NEILL, THERESE-EMMANUEL
    3 NIMES
    3 PARIS
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 17 janvier 1846.
  • 17 jan 1846
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
  • *Madame*
    *Madame la Supérieure de l'Assomption*
    *n° 76, rue de Chaillot.*
    *Paris.*
La lettre

Avant de commencer à lire votre grande lettre, ma bien chère fille, il faut que je vous dise quelque chose de ce que je suis en ce moment par rapport à vous. D’abord, je m’en veux de ne vous avoir pas souhaité votre fête dans ma dernière lettre. Notez que j’y songeais depuis huit jours. Ce sont choses auxquelles j’attache de l’importance, quand je le fais avec une certaine intention. Après Matines, je me suis mis un bon moment devant le Saint-Sacrement et là j’ai dit à Notre-Seigneur tout ce que l’abondance de mon coeur pouvait lui offrir pour sa fille. Et maintenant, j’éprouve je ne sais quelle joie à vous écrire la première lettre qui sera datée de ma cellule. Tout le monde dort autour de moi, et vous aussi, chère enfant, vous dormez probablement. Vous ne sauriez croire avec quel bonheur je vous donne quelques moments de cette nuit de votre fête et avec quels sentiments de vraie paternité je veille en compagnie de votre bon ange que j’ai appelé près de moi, pour votre âme et pour m’occuper de ses besoins. Mais, il me faut lire votre épître, si je veux y répondre.

Voilà votre lettre lue, mais je n’y puis répondre à présent; l’huile manque à ma lampe, je vais me coucher, seulement avant de quitter la plume, et la main sur la conscience, je vais répondre à votre question. Toutes les fois que pour vous alléger le coeur il vous faudra m’écrire comme vous venez de le faire, vous ne devez pas être arrêtée par la crainte de m’ennuyer. Dussé-je l’être, cela ne vous regarderait pas; mais cela n’a jamais encore été. Pourquoi cela le serait-il? De grâce donc ayez un peu plus de confiance en votre pauvre père et ne me dites plus de ces choses-là. Soyez indépendante, fière, tout ce que vous voudrez, mais ayez au moins un peu plus la conscience de ce que je suis pour vous. Bonne nuit, chère fille! Je prie votre ange de vous réveiller demain, petit chien.

Dimanche matin.

Je viens de relire votre lettre, ma chère fille. Déjà hier soir elle m’avait bien préoccupé. Quand je l’eus lue hier, j’allais bien prier le bon Dieu à la chapelle, et, à peine au lit, je me relevais encore une fois pour prier pour vous. Oh! pauvre enfant, que je vous plains et que vous devez avoir à souffrir pour vous courber sous l’action de Dieu! Cependant, il le faut absolument, et si je prie tant pour vous, c’est que je promets à Dieu de vous forcer à devenir bonne de telle façon que mon amitié ne se traduise que par les moyens que doit employer mon autorité dans le but de votre perfection. Vous ne vous sentez plus même enfant, dites-vous. Et moi je vous dis que vous n’êtes plus libre de ne pas l’être. Est-ce que je ne vous tiens pas dans mes mains?

Les professeurs de la maison se sont beaucoup divertis d’un mouvement oratoire, disent-ils, que j’eus dimanche dernier à l’ordre du jour, où faisant des reproches à une partie de la maison, je dis avec un grand geste très énergique: « Messieurs de la 1ère division, je vous briserai ». -Est-ce que si je ne me sens pas la force de ployer sous un joug une trentaine de jeunes gens, je ne pourrai pas réduire une petite religieuse? Mais, chère fille, est-ce le côté par lequel je dois vous prendre? Vous voulez être petit chien, mais le petit chien du bon Dieu. Or, pour le devenir, il faut penser à lui, et ce m’est un grand étonnement qu’ayant pu venir avec moi à bout de vous soumettre et de vous faire petite pendant mon séjour à Paris, vous ne puissiez rester telle devant les abaissements de Notre-Seigneur au Saint-Sacrement. Pour moi, ma fille, je sens que je me force lorsque je veux faire de l’autorité avec vous. Vraiment, cela ne me va plus. Et pourtant je dois vous porter et vous conduire et vous abaisser; et, comme je ne suis pas toujours là pour avoir sur vous cette action perpétuelle si nécessaire à votre obéissance, ne dois-je pas vous la faire imprimer par celui qui est toujours là?

Voici donc ce que je vous ordonne au nom de l’obéissance. Vous vous arrangerez pour trouver trois fois par semaine, une heure de suite à passer devant le Saint-Sacrement. La demi-heure d’oraison du soir pourra compter pour cela, à condition que vous aurez passé une demi-heure avant et qu’ainsi l’heure sera complète. Or, pendant cette heure, vous commencerez par vous abaisser sous Notre-Seigneur et puis sous toutes les créatures par amour pour lui. Vous serez peut-être étonnée de découvrir que si vous aimiez un peu plus notre divin Maître, l’humiliation, l’abaissement sous les pieds de tous vous seraient bien plus faciles. Mais c’est que vous vous aimez encore beaucoup plus que vous ne pensez, même en face de Jésus-Christ.

Je le conjure de toutes les forces de mon coeur de vous ramener à ses pieds non par contrainte mais par suave obéissance. Croyez-moi donc, ma chère enfant, adressez-vous tout humblement à notre divin Maître. Je ne sais pourquoi la multiplication des sentiments mauvais que vous me manifestez doit se fondre devant la simple et douce puissance de Jésus-Christ. Un peu de charité finira toutes ces révoltes. Lorsque vous n’aurez pu trouver le temps avant votre souper de faire l’heure d’oraison que je vous prescris, vous ne la ferez que d’une demi-heure, mais étendue aux pieds du Saint-Sacrement. Il est bien entendu que si vous aviez de sérieuses raisons de santé pour vous en abstenir, vous n’y seriez pas obligée.

Vous trouvez bon que je vous parle de toutes vos impressions; je le ferai bien volontiers, mais souvenez-vous que je suis convaincu que Dieu veut surtout de vous l’oubli de toutes ces choses, pour que vous ne vous occupiez que de lui par un sentiment bien droit et bien abandonné à sa paternelle et toute miséricordieuse volonté.

Malgré tout le désir que j’en ai, cette lettre, je le vois bien, ne peut partir aujourd’hui.

Je viens de dire la grand-messe, où vous avez été toujours à côté de moi. Si l’obéissance eût pu quelque chose sur les distances, nous eussions été bien près l’un de l’autre. Au Gloria, comme le Saint-Sacrement était exposé, j’ai demandé à Notre-Seigneur qu’il vous donnât de le glorifier en toutes choses. Le mot qu’il m’a donné pour vous est celui-ci: Tu solus altissimus. Quand vous serez bien convaincue que votre grandeur, que votre hauteur ne sont rien auprès de Dieu, vous en ferez bon marché avec les créatures.

Or, ceci posé, ma chère fille, et supposé que je me sois bien fait comprendre, ne pensez-vous pas que le meilleur pour vous est d’aller en humilité, non pas devant moi, mais devant Notre-Seigneur? Que sont, dites-le moi, toutes les enflures de votre coeur, si vous pouvez les percer avec une des épines de la couronne de notre divin Maître? Où sera votre esprit volontaire, orgueilleux, indépendant en face de l’esprit humble, abaissé, anéanti, obéissant de Jésus-Christ? Allez donc, ma chère fille, après avoir reçu ma lettre, passer un moment à la chapelle et faites-vous gronder par Jésus crucifié pour expier vos indépendances; puis récitez cinq Pater et cinq Ave, les bras en croix, pour demander au roi de votre coeur, au nom de la dépendance où il mit tous ses membres par rapport à l’instrument de son supplice, que tout ce que vous ferez, direz, penserez, ne dépende plus que de lui. Soyez sûre alors, ma chère fille, que si vous entrez bien dans ces dispositions, vous dépendrez non seulement de Notre-Seigneur, mais de ceux qu’il établira pour vous conduire, et que si vous devenez le petit chien du bon Dieu, vous le serez facilement de tout le monde.

Les détails que vous me donnez soit sur vos dispositions par rapport à la supériorité, soit sur vos pensées vis-à-vis de Soeur Thérèse-Emmanuel, soit vis-à-vis de Soeur Claire-Emmanuel, m’ont bien édifié non en elles-mêmes, mais dans l’aveu que vous m’en faites. Vous ne respectez personne naturellement, dites-vous. Croyez bien que cette disposition emporte avec elle son châtiment et que ce n’est pas là une des moindres causes de vos angoisses. Quant au détail de votre lâcheté, prenez-y garde. Dieu vous en demandera un compte sévère. Il faut qu’une Supérieure fondatrice prenne sur ce point de fortes résolutions, et je serais assez de votre avis de vous traiter par le tonique de la pénitence.

Je passe à la seconde partie de votre lettre. Vous me parlez de mon cachet; j’approuve très fort ce que vous m’en dites. Je vous ai déjà écrit qu’au lieu de Institution de l’Assomption je préférerais Maison de l’Assomption. J’aimerais beaucoup le Regina Apostolorum. Ainsi ce que je voudrais serait: Maison de l’Assomption et Regina Apostolorum Le Monstra te esse matrem serait une usurpation du cachet de Monseigneur qui l’a pris pour devise. Puis-je m’en rapporter à vous? Ce que vous aurez décidé sera très bien assurément.

J’accepte vos idées sur l’embellissement de votre chapelle, mais je verrai cela par moi-même et le comprendrai mieux quand je serai à Paris. Je n’ai pas le temps de vous rien dire de nos nîmoises. Seulement il faut vous apprendre qu’il y a une heure Beiling est venu me dire qu’il voulait quitter Nîmes. Je me suis bien gardé d’y mettre obstacle. Il veut s’en retourner à Paris. Je lui ai promis de vous prévenir. Ses appointements seront sus pendus à partir du 1er février, mais je vois bien qu’il faudra que je lui donne quelque argent. Je ne plains en ceci que Soeur Marie-Louise; car pour lui, quelque bon qu’il soit, il m’est impossible de n’être pas content d’en être débarrassé.

Je viens de regarder votre cachet, et puisque vous y avez mis le Monstra te esse matrem, je ne vois pas pourquoi nous ne le prendrions pas. Adieu, bien chère fille. Vous ai-je dit que ce matin, au moment de la consécration du calice, j’ai demandé à Notre-Seigneur que son sang en coulant dans mes veines fût le ciment de nos âmes et nous fît un en lui?

Adieu, à un mois d’ici.

Notes et post-scriptum