Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 188.

17 may 1846 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Gronderies aux enfants – Les Pères polonais – Il faut prendre des précautions contre les abus; mais en prendre d’excessives, c’est préparer d’autres abus – De quelques vocations – L’office de nuit – Le surcroît de travail empêchera ses religieux de l’adopter.

Informations générales
  • PM_XIV_188
  • 0+466|CDLXVI
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 188.
  • Orig.ms. ACR, AD 422; V. *Lettres* III, pp. 64-69 et D'A., T.D. 19, p. 70.
Informations détaillées
  • 1 CAPITAUX
    1 CHASTETE DU PRETRE
    1 COLERE
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CONFESSION SACRAMENTELLE
    1 CORRUPTION
    1 DECADENCE
    1 DESOBEISSANCE
    1 DEVOTION A LA SAINTE VIERGE
    1 ECONOME DU COLLEGE
    1 ENSEIGNEMENT
    1 ENSEIGNEMENT DU DESSIN
    1 ESPRIT DE COMMUNAUTE
    1 FOI
    1 FORMATION MUSICALE
    1 HUMILITE
    1 LEVER
    1 LITANIES DE LA SAINTE VIERGE
    1 MAITRES
    1 OFFICE DE NUIT
    1 ORGUEIL
    1 PARESSE
    1 PECHE INTERIEUR
    1 POSTULAT
    1 PRATIQUE DE L'OBEISSANCE
    1 PRUDENCE
    1 REFUGE LE
    1 REGLES DES RELIGIEUX
    1 REPOS DU RELIGIEUX
    1 REPRESSION DES ABUS
    1 REPRESSION DES DEFAUTS DES JEUNES
    1 SOEURS CONVERSES
    1 SUPERIEURE
    1 SURVEILLANCE DES ELEVES
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    2 BERGERET DE FROUVILLE
    2 BORE, LEON
    2 CONNELLY, MADAME
    2 CROY, MADAME DE
    2 DESHAYES, PHILIPPE
    2 DUBOSC, MADEMOISELLE
    2 ESGRIGNY, MADEMOISELLE D'
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 GONTAUT, MADAME DE
    2 GOURAUD, MADAME HENRI
    2 JELOWICKI, ALEXANDRE
    2 LANSAC, ABBE
    2 MACRINE, MERE
    2 PION, ABBE
    2 RECAMIER, FAMILLE
    2 SEMENENKO, PIERRE
    3 MUNICH
    3 NIMES
    3 PARIS
    3 PARIS, COLLEGE STANISLAS
    3 ROME
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 17 mai 1846.
  • 17 may 1846
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
La lettre

Chère enfant,

Je vous écris au milieu des gronderies que je suis forcé d’adresser à quelques élèves paresseux. Il y a un moment, les professeurs m’ont trouvé magnifique de colère, et je ne sais si c’est parce que je suis en veine que je les fais appeler pour leur parler un peu sec. Ces pauvres enfants, ils me font saigner le coeur, mais il faut bien être cruel pour leur être utile. J’attendais, tous ces jours, la lettre que vous m’annonciez au sujet de l’office de la nuit, pour répondre à celle que j’ai reçue de vous avant-hier. Le courrier arrive et ne m’apporte rien; je commence toujours à vous écrire, sauf à m’arrêter, comme je l’ai fait quelquefois.

Le P. Jelowicki, celui qui a conduit la Mère Macrine à Rome, a passé trois jours parmi nous; il m’a appris que le P. Semenenko allait ne plus faire partie de leur Congrégation. La raison qu’il en donne, c’est que ce bon Père, qui est plein de moyens, par son apathie et sa paresse avait laissé tomber la Congrégation dans un état déplorable, et que cette même apathie nuit de la manière la plus funeste à tout développement ultérieur. Il est même allé jusqu’à me dire que, s’il me parlait ainsi, c’est qu’il présumait que Semenenko me connaissant aurait peut-être l’idée de venir frapper à ma porte, et qu’il tenait à me prévenir qu’il voyait de graves motifs à ne pas le recevoir. Usez avec prudence de ces détails, si vous voyez Semenenko; car, si ce pauvre homme est jugé si sévèrement, peut-être n’y a-t-il pas tout de sa faute. Je ne serais pas surpris que le fond de tout ceci ne fût quelque vision de la religieuse polonaise, qui, ne l’ayant pas trouvé assez enthousiaste à son égard, aura entendu quelque voix exiger son élimination. Je ne préjuge rien; seulement, si vous voyez Mme Gouraud, vous pouvez lui dire que la Mère Macrine a eu les plus touchants entretiens avec une Vierge, que sa soeur a peinte à la Trinité-des-Monts et qui tient un fuseau à la main(1). Cette Vierge, par exemple, lui a dit que, lorsqu’on voulait qu’elle ne résistât pas à une demande, il fallait réciter trois fois: Mater admirabilis, comme les associés de l’Archiconfrérie répètent trois fois: Refugium peccatorum. Pour peu que cela dure et s’étende, le plus court sera de dire, au lieu d’une, trois fois les litanies d’un bout à l’autre.

Ce que vous me dites sur ce Supérieur général de Congrégation est épouvantable, mais je ne voudrais pas que vous pussiez trop vous préoccuper de semblables abus pour donner dans un excès opposé. Ne pensez-vous pas que les péchés qui partent de l’âme sont toujours plus graves que ceux qui viennent des sens? C’est du moins l’enseignement de la théologie. Il faudrait prendre garde, à force de précautions d’une part, de favoriser l’indépendance et l’esprit d’orgueil de l’autre. Puis, ma chère enfant, de pareilles abominations peuvent se présenter de tant de manières. Pourquoi ces bulles contra sollicitantes ? Faut-il, parce que les ordres des papes ont été si sévères sur ce point, détruire la confession? Mon Dieu, il faudrait détruire le célibat ecclésiastique, et, quand on l’aurait détruit, il faudrait détruire bien d’autres choses encore, et une seule ne le serait jamais, c’est la corruption du coeur de l’homme qui tournera toujours tout en mal. C’est pour cela que l’on n’a, je crois, en général considéré qu’une très minime partie d’une question, lorsque l’on n’en a envisagé que les abus. S’il n’y avait pas, dans toute institution humaine, la possibilité d’y introduire des abus, les réformes seraient non seulement inutiles, mais impossibles. Ne faut-il donc prendre aucune précaution contre certains abus? Il faut en prendre. Mais en prendre d’excessives est, à mes yeux, le plus grand de tous les abus, ou, si vous aimez mieux, le germe de plus grands abus dans le sens contraire.

Avant de vous donner une réponse officielle sur l’article de votre office de la nuit, je vous avouerai que je crois bien que vous ne puissiez le continuer. Toutefois, je ne me prononce pas; mais j’eusse préféré de beaucoup que vous eussiez attendu l’époque des vacances. Cependant, puisque vous avez commencé, il faut continuer et faire un essai sérieux. Ceci, bien entendu, est pour vous seule. Je tâcherai qu’à votre demande officielle se rapporte convenablement ma réponse officielle.

La jeune personne que je vous proposais comme converse dans une de mes dernières lettres est venue me trouver. Je l’ai trouvée très bien; il me semble qu’elle peut bien vous aller. J’ai cru voir dans sa conversation quelque chose d’extrêmement humble et pénétré d’esprit de foi, mais l’on peut se tromper. La physionomie ne me plaît pas autant. Il y a dans sa bouche une expression désagréable. Faut-il s’arrêter à cela? Du reste, elle ira partout où l’on voudra, et consent à ne faire que balayer du matin au soir, pourvu qu’elle soit religieuse.

19

J’ai trouvé hier, en rentrant du Refuge, vos deux lettres écrites les 13, 14 et 15 mai; je vais y répondre de mon mieux. Je vais vous envoyer 15 000 francs. Avant de terminer ma lettre, je passerai chez mon banquier pour arranger cela. Si vous pouviez trouver de l’argent à Paris, vous me rendriez un grand service, parce que, quoique je me gêne avec bonheur pour vous, vous comprenez que je suis obligé d’arrêter ici une foule de dépenses. Mais vous savez que, pour moi, Nîmes et Paris c’est tout un.

Vous ai-je remerciée du changement que vous avez apporté aux dispositions de Mlle d’Esgrigny? Mme de Croÿ me parle de la possibilité de passer au mois d’août. Si Mme Connelly nous venait jamais, je ne vois pas pourquoi nous ne la prendrions pas. Mais peut-être que ses idées se modifieront en ce genre; il ne faut désespérer de rien.

Je ne me sens pas un grand attrait pour le jeune homme dont vous a parlé Mme de Gontaut(2). Ce serait autre chose pour votre ancien aumônier de la Visitation, mais à cinquante ans les idées sont bien arrêtées(3). Vous pouvez toutefois essayer de lui écrire. A cet égard, tout ce que vous faites est bien fait. Dans tous les cas, peut-être connaîtra-t-il quelque bon sujet. J’aurais bien bonne envie de l’abbé Lansac(4); mais formé par M. Gabriel, nous le cédera-t-il? Et s’il le forme, nous conviendra-t-il? M. Léon Boré m’irait assez. Je ne suis arrêté que par l’embarras de savoir ce que je pourrais lui confier. Puis, quel traitement lui offrir? Puis, voudra-t-il de la province, lorsque probablement on l’accueillera à Stanislas à bras ouverts? Le gouvernement, qui l’a entretenu à Munich, ne voudra-t-il pas profiter de ses travaux? Si vous pouvez nous le donner, vous nous ferez un cadeau précieux; mais j’ai quelques doutes.

Mlle Dubosc a fait son épreuve, et je vous assure que je ne songe plus à vous la donner. Je crois qu’il faut plus de générosité qu’elle n’en a et que, dès lors, il ne faut plus compter sur elle.

Vous me parlez fort en détail de votre lever de minuit. La demande presque unanime de vos filles me paraît quelque chose de très beau. Je crois aussi que vous avez bien fait, quand vous avez vu l’une d’entre elles vous faire une opposition sérieuse d’arrêter votre essai. Il est très avantageux de faire désirer aux forts les actes de zèle, auxquels ils veulent se livrer, et il est très nécessaire d’attendre les faibles, dont la ferveur souvent devient d’autant plus grande qu’on a usé de plus de condescendance envers eux. De fait, puisqu’au moment où les voeux ont été prononcés, [c’était] avant l’usage de se lever la nuit, je trouve admirable ce respect de toute une communauté en face d’une opposition unique, manifestée par une seule volonté. C’est là un des plus beaux titres de votre Congrégation que cette indépendance pour tout ce à quoi l’obéissance n’est pas engagée. A la vérité, si l’opposition durait longtemps et que la volonté de la communauté fût toujours la même, vous pourriez user de votre faculté de dispenser une Soeur de l’office, et tout s’arrangerait par ce moyen. Quant à la question en elle-même, je vous dirai que je ne présume pas que, de quelque temps, nous acceptions un usage pareil; ce qui n’empêche pas que je ne l’approuve pour vous.

D’abord, à cause des santés, je ne l’autoriserai que lorsque l’on pourra, comme chez vous, aller à la chapelle sans sortir dans les cours. Ensuite, nos Frères s’exerçant à ne dormir que six heures, il me paraît peu utile de leur faire interrompre un sommeil si court. Troisièmement, je verrai une heureuse combinaison dans la succession de prières des deux Ordres. Nous disons l’office à 9 h. 1/4, vous à minuit. Nous retournons à la chapelle vers 4 h. et demie; quelques-uns des nôtres y sont à 4 h. un quart. L’obligation où nous sommes, à cause des enfants, de ne nous coucher qu’à 9 heures au plus tôt, nous jetterait dans quelque embarras pour les Conseils, qui, deux fois par semaine, finissent fort tard. Vous, au contraire, pouvant vous coucher à 8 heures, avez un immense avantage sur nous. Je ne dis pas que, plus tard, nous ne marchions [pas] sur vos traces; aujourd’hui, ce serait trop difficile. Mais pour vous c’est tout autre chose. Du reste, la honte que vous nous ferez quand nous vous verrons si ferventes, influera peut-être sur notre détermination.

M. Philippe pourra être, selon moi, quelque temps encore un très bon pourvoyeur. Je ne regrette point son musicien; mais si vous connaissiez quelqu’un pour enseigner la musique ou le dessin, je le prendrais très volontiers. Il me faut aussi un teneur de livres qui me fasse des comptes pour une foule de choses. Si M. Bergeret(5) veut venir, je le prendrai sur-le- champ. Si vous pouvez avoir des renseignements, fournissez-les moi, car je désire assez de m’en emparer.

Notes et post-scriptum
1. Cette Vierge, connue sous le nom de *Mater admirabilis*, fut peinte en 1844.
2. Un ancien novice Jésuite. - Le ms a *Gontaud* mais les lettres de Mère M.-Eugénie ont toujours *Gontaut*.
3. L'abbé Pion, aumônier des Visitandines à La Côte-Saint-André, dans l'Isère.
4. Précepteur chez la famille Récamier et ayant reçu seulement le diaconat.
5. Bergeret de Frouville, jeune homme qui tenait les comptes dans une maison de tapisserie, à Paris.