Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 194.

31 may 1846 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Une certaine légèreté, mais qui disparaît dès qu’il s’agit de nos rapports – Une certaine brusquerie, mais je préférerais souffrir dix fois plus que de vous causer *par ma faute* quelque ennui – Des vérités dites par vous sont des épines qui piquent mais attachent – Je reconnais tous mes torts et vous prie de me les pardonner – Un élève qu’il a fallu exclure – Il faut que vous laissiez toutes vos misères dans l’océan d’amour qui est le Saint-Esprit – Ma fille et ma soeur – Le motif de vos troubles – Ce que je vous suis est placé par moi au-dessus de la région des orages – La proposition d’un architecte.

Informations générales
  • PM_XIV_194
  • 0+466 c|CDLXVI c
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 194.
  • Orig.ms. ACR, AD 425; D'A., T.D. 19, pp. 75-78.
Informations détaillées
  • 1 SUSCEPTIBILITE
    1 SYMPTOMES
    1 UNION DES COEURS
    1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 AMITIE
    1 ANTIPATHIES
    1 ASSOMPTION
    1 BATIMENTS DES COLLEGES
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CONTRARIETES
    1 DETACHEMENT
    1 DOUCEUR
    1 EGOISME
    1 EMOTIONS
    1 FRANCHISE
    1 HUMILITE
    1 ILLUSIONS
    1 LEGERETE
    1 PAIX DE L'AME
    1 PARDON
    1 PATERNITE SPIRITUELLE
    1 PENTECOTE
    1 PRIERE DE DEMANDE
    1 PROFESSIONS
    1 RENVOI D'UN ELEVE
    1 REPAS
    1 SAINT-ESPRIT SOURCE DE LA CHARITE
    1 SEVERITE
    1 SIMPLICITE
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 31 mai 1846.
  • 31 may 1846
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
  • *Madame*
    *Madame la Supérieure de l'Assomption*
    *n° 76, rue de Chaillot. Paris.*
La lettre

Je reçois à l’instant votre lettre, ma chère enfant, celle du 26 où vous commencez par me dire que vous supposez que je vous trouve insupportable. Ecoutez bien.

1° J’admets une fois pour toutes que j’ai une certaine légèreté dans le caractère, mais il faut que vous admettiez qu’elle disparaît complètement dès qu’il s’agit de nos rapports réciproques.

2° J’admets que j’ai quelquefois une certaine brusquerie, mais quelque souffrance que j’ai pu vous causer, il faut que vous acceptiez l’idée que je préférerais souffrir dix fois plus que de vous causer par ma faute quelqu’ennui. Je dis par ma faute, car si je le devais dans l’ordre de Dieu, vous savez que je n’hésiterais pas.

3° J’admets enfin que certaines vérités peuvent me blesser de la part de certaines personnes, mais il faut que vous sachiez, une bonne fois, que toute la vérité pénible dite par vous a toujours été comme les épines qui piquent mais qui attachent. Je puis dire en toute franchise que mon amitié va toujours augmentant, à mesure que vous vous montrez plus à moi.

Voulez-vous que je revienne sur les deux faits qui vous ont blessée? L’égoïsme prétendu de votre amitié, et le peu d’édification que vous a causé ma peine sur ce que vous aviez parlé de vos ennuis à vos Soeurs. Eh bien, ma chère enfant, il me semble que j’aurais à répondre bien des explications, mais je préfère vous fournir une occasion de vous montrer généreuse. Soyez-le pour cette fois, ce ne sera peut-être pas la dernière avec moi. Prenez-moi tel que je suis et reprenez-vous un peu vous-même par l’effort que vous ferez en me pardonnant un tort qui après tout est plus réel que je ne serais tenté de le croire au premier abord, car, bien que je pense pouvoir me justifier, je ne prétends pas que mes raisons fussent absolument bonnes. J’ai ici sous les yeux trop de preuves de certaines illusions qu’on se fait pour ne pas croire que j’y puis tomber moi-même quelquefois. C’est donc bien réellement que je vous prie d’admettre que j’ai tous les torts que vous avez remarqués, et que je prie d’être assez généreuse pour me les pardonner.

Ma lettre ne peut partir aujourd’hui; elle a été interrompue trois ou quatre fois par la déplorable affaire d’un élève qui nous a échappé avant-hier et dont nous avons dû prononcer l’exclusion. Je quitte le dîner où une odeur de morue me soulève l’estomac, et, comme voilà quatre jours que je n’ai pu dire la messe, il n’en faut pas davantage pour ôter tout appétit. Mais il faut encore vous quitter; à un moment plus tranquille.

Je viens de lire la fin de votre lettre. J’en suis presque fâché. J’aurais voulu auparavant avoir le temps de vous écrire ce qu’il me semble que Dieu me donne pour vous avant de m’endormir. Je réfléchissais profondément à votre état et je demandais à Notre-Seigneur de me faire voir ce que je devais vous dire pour vous donner un peu de repos. Or, ce qui me paraît être très clairement la volonté de Dieu est ceci. Il faut que vous laissiez toutes vos misères, tous vos troubles dans l’océan d’amour qui est le Saint-Esprit. C’est là que nous devons nous retrouver dans ces rapports de simplicité et d’unité, tels que les veut la disposition très simple et très pure de Dieu à notre égard, de telle sorte que vous y soyez tantôt ma fille et tantôt ma soeur, ma fille dans l’ordre de la sanctification, ma soeur dans l’ordre de la formation de l’oeuvre. Ceci m’apparaît si clairement et si distinctement que je n’ai pas la moindre difficulté à vous l’exprimer, et vous voyez que je puis bien vous assurer que, si je n’eusse pas été dérangé, je vous aurais transmis la réponse avant de recevoir la question. Quand bien même, ni vous ni moi n’aurions rien compris à vos troubles passés et que nous ne pourrions en indiquer la cause, ce ne serait pas une raison pour ne pas accepter ce que je vous dis, parce que je le vois avec une telle évidence qu’il m’est impossible de dire autrement, quand même je le voudrais. Mais il me semble que tout ce qui s’est passé peut avoir une très bonne explication, et je vous la donnerai après avoir reçu une visite, car il est dit que je ne pourrai causer cinq minutes de suite avec vous.

Le motif pour lequel vous me paraissez avoir passé par tant de troubles, est qu’il est bon que, pour votre bien, une certaine écume montât à la surface de votre coeur; puis, il vous était bon de vous rassurer en un sens contre vous-même, enfin il fallait que vous fussiez humiliée par quelque bout. Mais vous comprendriez mal votre état, si cette humilité que Dieu veut vous donner, n’aboutissait pas à quelque chose de doux, de souple et d’affectueux, comme vous en êtes si capable, pourvu que vous le vouliez. Je vous dis tout cela avec une entière certitude et évidence.

Enfin, la peine que vous pouvez me faire ne doit en rien être comptée par vous. Ce que je vous suis est placé pour moi au-dessus de la région des orages, et, sous ce rapport, je crois que rien ne peut l’en faire descendre que la volonté de Dieu. Or, cette volonté, je crois que vous et moi nous la connaissons.

Devinez pourquoi j’ai été interrompu. Un honnête architecte que je connais depuis plus de trente ans, est venu me proposer de former un corps d’ouvriers comme ceux du moyen âge, pour me bâtir un collège. Où vont se fourrer certaines idées? Il m’a avoué que cette idée le préoccupe depuis longtemps. Je me suis bien gardé de la repousser, comme bien vous pensez. Mais à un autre moment; l’on m’attend.

Avec toute la bonne volonté possible je n’ai pas eu, hier, jour de la Pentecôte, le temps de vous écrire. Aujourd’hui, je ne le puis davantage. Je ne puis que vous dire que j’ai énormément prié pour vous et que vous avez beau faire, j’éprouve à votre égard une dilatation de coeur, dont vous seriez contente malgré vous, si vous la pouviez découvrir.

Adieu. Tout vôtre en Notre-Seigneur.

Notes et post-scriptum