Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 199.

15 jun 1846 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Ces mensonges d’incrédulité qui vous ont fait perdre foi en moi – Avec un peu d’humilité la paix vous reviendra.

Informations générales
  • PM_XIV_199
  • 0+468 b|CDLXVIII b
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 199.
  • Orig.ms. ACR, AD 430; D'A., T.D. 19, pp. 82-85.
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 CONNAISSANCE DE SOI
    1 CRAINTE
    1 DEVOIR
    1 EPREUVES SPIRITUELLES
    1 ERREUR
    1 FRANCHISE
    1 HUMILITE
    1 INSENSIBILITE
    1 LEGERETE
    1 LUTTE CONTRE SOI-MEME
    1 MALADES
    1 MENSONGE
    1 ORAISON
    1 PAIX DE L'AME
    1 PATIENCE
    1 PRATIQUE DE L'OBEISSANCE
    1 SCEPTICISME
    1 TRISTESSE
    1 UNION DES COEURS
    1 VENTES DE TERRAINS
    2 CROY, DE
    2 CROY, MADAME DE
    2 SAUVEBOEUF, MADAME DE
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, 15 juin 1846.
  • 15 jun 1846
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
  • *Madame la Supérieure de l'Assomption*
    *76, rue de Chaillot. Paris.*
La lettre

Je remercie Dieu, ma chère enfant, de ce qu’il vous a inspiré l’idée de m’envoyer votre méditation. Il me semble qu’elle me servira peut-être à vous aider à vous débrouiller de toutes les misères de votre pauvre coeur. Admettons pour un moment que vous ayez raison. Lorsqu’il est vrai, comme je vous le dis il y a un an, que j’ai mis à votre disposition toute mon énergie en fait d’amitié, je ne puis donner plus que cela. Je comprends qu’il soit triste pour vous de vous être trompée, mais au moins en ceci il n’y a pas de ma faute. Mais, d’autre part aussi, s’il est vrai que vous soyez dans l’erreur, si je ne suis pas aussi superficiel que la tentation vous le dit, si vous êtes la créature au monde en qui je mette le plus mon repos et du repos de qui je sois le plus désireux…

Le 16 [juin].

J’ai été presque constamment occupé de vous, ma chère enfant, depuis hier, et tout ce que je puis vous dire, c’est que je suis de plus en plus convaincu que les chagrins que vous causent vos craintes sur mon incapacité à vous rendre ce que vous me donnez, sont une tentation et pas autre chose. Dès lors, je n’ai plus qu’à chercher à vous en débarrasser en vous rendant la foi en moi, autant qu’on peut l’avoir en une créature. Mais, ma chère enfant, les protestations y feront-elles quelque chose? Est-il possible qu’au point où vous en êtes venue, la guérison de vos peines soit l’affaire d’un jour? Je ne le pense pas, au moins je n’ose l’espérer, quelque désir que j’en aie. Il faut laisser le temps agir. Tout ce que je puis vous dire avec la plus profonde conviction, c’est que je crois que vous avez tort de vous laisser aller, comme vous le faites, à ces mensonges d’incrédulité. Enfin, ma chère enfant, sondez votre coeur et répondez-moi franchement: croyez-vous sérieusement tout ce que vous me dites? Que toutes ces idées aient traversé votre esprit, j’en suis déjà étonné; mais qu’elles aient pris une certaine consistance, c’est ce qui me dépasse. Tout cela m’humilie bien, je vous l’assure, mais je ne l’envisage pas par le côté qui me concerne. Qu’importe ce que je recueille de votre amitié? Ce que je vois ici c’est vous seule, ma pauvre enfant. Vous me demandez un remède, et je n’en vois guère que la conviction, que j’espère vous donner peu à peu, que vous étiez dans l’erreur la plus complète avec tout votre scepticisme.

Je reprends maintenant votre lettre par ordre. Vous ne savez plus lire au fond de votre coeur, et tant mieux! Je crois, en effet, que vous y avez lu ce qui n’y était pas, et vous n’avez pas vu ce qui y était. Pour moi, je crois y voir très clair, et, comme je vous le disais plus haut, je n’y découvre qu’une très forte tentation, dont je ne m’inquiète pas beaucoup sous un rapport, parce que je suis sûr de vous, comme je suis sûr de moi. Vous avez souligné une ou deux fois le mot devoir; vous ajoutez l’obéissance que je vous dois. Sérieusement, ma fille, est-ce que nous en sommes là? Vous avez beau dire ce n’est pas vrai. Vous ajoutez que vous êtes tombée dans une espèce d’impossibilité à l’égard de tout le reste; ce qui, ajoutez-vous, est de la vertu. Mais n’est-ce pas précisément pour faire paraître, ou du moins, exercer cette vertu que Dieu permet ces tempêtes au fond de votre âme? Je veux voir la chose à ce point de vue, parce que je suis assuré que, peu à peu, les nuages se dissiperont et qu’il ne restera de tout ceci qu’une grande lutte d’où vous serez sortie victorieuse.

Je ne me plains pas. Ce mot me va jusqu’au fond du coeur. Savez-vous qu’il est un peu méchant, dans son calme et son impassibilité? Mais je ne veux pas le voir aujourd’hui par ce côté, car si vous ne vous plaignez pas, uniquement parce que vous voulez rendre méritoire votre peine, c’est fort bien; mais vous n’en êtes pas là, pauvre fille, en ce moment; et, en y réfléchissant, j’ai tort de dire qu’il est méchant, je voulais dire seulement qu’il me fait mal.

Je crois bien qu’avec un peu d’humilité la paix vous reviendrait; mais pouvez-vous être humble dans votre amitié? Ne disiez-vous pas que ce vous est impossible en fait d’affection?

Chère enfant, je saute à pieds joints sur une foule de mots que je n’ose pas relever. Il me semble qu’il y a des choses qui ne s’écrivent pas, et puis, si j’étais auprès de vous, je garderais le silence et vous me reprocheriez encore de ne rien vous dire. Il est bien évident que les créatures ne sont que des moyens pour aller à Dieu; mais qu’il faille les prendre l’une après l’autre et s’en servir comme de chevaux de poste, voilà une pensée un peu trop dure. Est-ce que vous m’acceptez ainsi? Je tourne la page et je vois que vous doutez par obéissance ! Eh bien, croyez-moi, cette fois l’obéissance vous aura été bonne à quelque chose; je n’ose pas ajouter et à moi aussi.

Maintenant, chère enfant, laissez-moi vous donner un conseil. Ne faites pas trop d’efforts pour me revenir; cela vous ferait trop souffrir. Il vaut mieux opérer ce retour plus doucement et plus suavement. Quelque superficiel que je sois, il y a en moi assez de force pour pouvoir vous attendre, et, quand votre coeur aura repris son pli de lui-même, il pourra bien mieux le garder sans gêne ni souffrance.

Vous avez l’air de croire que ce que vous m’avez écrit sur votre oraison ne peut me faire de la peine. Voudriez-vous que j’y fusse insensible? Et il me faudrait être ce dont vous m’accusez. Mais c’est à cause de cela même que je suis bien aise de votre envoi et que je vous conjure de continuer, jusqu’à ce que toute amertume ait disparu et que nous soyons revenus à cette belle, calme et pure unité, que Notre-Seigneur vous rendra, ou plutôt dont il vous rendra le sentiment, car pour le fond, vous avez beau dire, il subsiste bien réellement, malgré votre manque de foi en votre père.

Je finis ici, parce qu’on va me déranger. Je finirai quelque chose que j’ai à vous dire dans une autre lettre. Seulement il faut que vous sachiez que je ne touche rien, ni de la part de Mme Croÿ ni de la part de Mme de Sauveboeuf. La Gazette d’Augsbourg a fait une annonce, où l’on dit que l’on vendra une terre de M. de Croÿ si l’on ne sait ce que sont devenus ses deux enfants.

Je prie du fond du coeur pour vos malades.

J’aime assez que vous détaillez un peu plus le compte-rendu de vos oraisons.

Notes et post-scriptum