Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 204.

21 jun 1846 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Nous devons être l’un à l’autre une cause d’apaisement et de renouvellement dans l’énergie qui nous est nécessaire pour travailler à la gloire de Dieu – Ma maladresse à m’exprimer – La mort du cardinal Micara – Une scène de Mlle Carbonnel – Mlle Anaïs est bien résolue à partir pour Paris – Futurs professeurs et futurs religieux.

Informations générales
  • PM_XIV_204
  • 0+468 e|CDLXVIII e
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 204.
  • Orig.ms. ACR, AD 432; D'A., T.D. 19, pp. 87-89.
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 COLERE
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CONTRARIETES
    1 CORPS ENSEIGNANT
    1 CRAINTE
    1 ENERGIE
    1 EPREUVES
    1 FATIGUE
    1 FRANCHISE
    1 GLOIRE DE DIEU
    1 LANGAGE
    1 MALADES
    1 PAIX DE L'AME
    1 POSTULAT
    1 PRIERES POUR LES DEFUNTS
    1 PROGRES DANS LA VIE SPIRITUELLE
    1 PURIFICATIONS SPIRITUELLES
    1 RENOUVELLEMENT
    1 VERTU DE FORCE
    2 BASTIEN, CLAUDE-HIPPOLYTE
    2 BERGERET DE FROUVILLE
    2 BLONDEAU
    2 CARBONNEL, ISAURE
    2 CARBONNEL, MARIE-VINCENT
    2 GOUBIER, VITAL-GUSTAVE
    2 GUYHOMAT, ABBE
    2 MICARA, LODOVICO
    2 O'NEILL, THERESE-EMMANUEL
    2 PERROULAZ, ABBE
    2 ROISSELET DE SAUCLIERES
    2 SAUGRAIN, HIPPOLYTE
    3 NIMES
    3 PARIS
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 21 juin 1846.
  • 21 jun 1846
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
  • *Madame*
    *Madame la Supérieure de l'Assomption*
    *n° 76, rue de Chaillot. Paris.*
La lettre

J’ai commencé hier, ma chère enfant, à vous répondre, mais je me trouvais si fatigué que je fus obligé de me jeter sur un fauteuil. Etait-ce de la paresse? Je ne le pense pas. Outre que j’avais à vous écrire, peu de choses me préoccupent autant qu’une réponse à vous faire, et comme j’y trouve assez mon plaisir, je crois décidément qu’il fallait que je fusse souffrant pour m’arrêter ainsi. Que voulais-je vous dire hier? Je le sais bien. Que je ne veux plus tant me préoccuper de vos peines. Mais pourquoi? Voici ce qui me paraît plus difficile à débrouiller, quoique j’y aie bien réfléchi.

Je me prends à douter parfois que vous jugez ce que je suis pour vous par ce que je vous ai dit que je suis quelquefois pour les autres. Je crois que vous avez le plus grand tort. Ce serait établir que l’affection a un niveau commun; ce qui n’est pas. Puis, il me semble être tellement sûr de ce que je suis pour vous, qu’il me paraît fort inutile de me préoccuper de ce que vous croyez voir, si vous êtes dans l’erreur. Je souffre et je souffre beaucoup pour vous. Mais le moyen de vous donner un peu la paix, n’est-ce pas de vous communiquer autant que possible la paix que j’éprouve moi-même, lorsque je cherche à descendre dans le plus intime de mes sentiments pour vous? Dieu permet vos agitations et vos troubles peut-être comme une purification, mais ce que j’envisage de nos rapports, tels qu’il les peut désirer, est quelque chose de très calme, [de] très fort pour l’un et pour l’autre, de telle sorte que, loin d’être une cause de trouble, comme ce l’est depuis quelque temps, nous soyons l’un à l’autre une cause d’apaisement et de renouvellement dans l’énergie qui nous est nécessaire pour travailler à sa gloire. Voilà, ma chère enfant, comment j’entrevois le noeud de notre union, et vous comprenez que si je vois bien, il n’y a pour moi qu’à attendre que la bourrasque qui vous ballotte depuis quelque temps soit calmée.

Je relis ce que je viens de vous écrire, et je trouve que cela n’a pas le sens commun pour vous faire comprendre ma pensée. Je comprends très fort que la manière dont je l’exprime vous crispe, et pourtant ma pensée était de vous dire quelque chose qui vous fît du bien. Ainsi quand je vous dis que je ne veux plus m’inquiéter de ce que vous souffrez, il y a dans cette pensée quelque chose de fort désagréable qui est à cent lieues de ma pensée; et c’est parce que, dans le premier moment, je ne songe qu’au sens qui me frappe et qui est certainement bien meilleur, que je laisse subsister cette page où je vous prie de voir uniquement :

1° Que je ne m’inquiète pas de vos peines dans ce sens que, malgré tout ce que vous me dites quelquefois de peu aimable en apparence, je ne suis pas moins sûr de vous, tout comme je le suis de moi à votre égard.

2° Que je crois que nous devons prendre vis-à-vis l’un de l’autre la mission de nous donner la paix et la force nécessaire pour opérer l’oeuvre de Dieu et ne pas nous laisser heurter à de petites choses de forme, quand nous sommes si sûrs du fond. C’est pour cela que je laisse subsister la page qui précède, toute désagréable qu’elle soit par certaines expressions, puisque, je puis vous l’assurer, le sentiment avec lequel je l’ai écrite était extrêmement amical. Plaignez-moi d’être parfois si malheureux dans mes expressions.

J’ai eu le coeur un peu brisé ces jours-ci par la mort du cardinal Micara. J’aimais beaucoup cet homme, et je vous assure que l’éloignement de dix ans n’avait pas diminué mon affection pour lui. C’est une vraie perte pour l’Eglise. Quoique son influence fût annihilée par les Jésuites, sa présence était cependant un grand obstacle à bien des misères. Priez pour lui, si tant est qu’il en ait besoin.

A côté de bien des petites souffrances qui se rencontrent dans la maison, je crois découvrir un vrai progrès chez plusieurs; il me paraît se bien soutenir. Dieu veuille le conduire à bonne fin! Hier, après une scène où Mlle Carbonnel m’a dit qu’elle ne croyait plus en Dieu, que je n’étais pas un prêtre, qu’elle allait dire par toute la ville que je la mettais à la porte de chez moi, après m’avoir dit que je manquais à toutes mes paroles données si souvent, etc. etc., il fut convenu qu’elle se retirerait de la maison aux vacances. Ses soeurs sont écrasées par toutes ces scènes qui, il paraît, dans leur intérieur sont encore plus violentes qu’avec moi. Mlle Anaïs qui me charge de vous remettre une lettre, est bien résolue à partir pour Paris. Le pourra-t-elle? Vraiment quelquefois je n’en sais plus rien. Cependant il me semble impossible que quelque orage ne soit pas une occasion toute naturelle de rupture.

L’abbé Guiomat viendra-t-il? Je désirerais le savoir positivement, comme aussi je voudrais beaucoup que M. Blondeau me dît à peu près le nombre de jeunes gens sur qui je puis compter. Je dois une réponse à M. Bergeret. Si vous aviez une occasion de lui faire dire que je lui écrirai au premier jour, qu’il peut venir quand il voudra… Tâchez d’engager M. Saugrain à m’écrire. Je ne reçois aucune nouvelle de l’abbé Perroulaz. Je ne veux point de M. Roisselet de Sauclières, que je connais beaucoup et que je redouterais dans ma maison; il est connu à Nîmes et sa présence ferait un mauvais effet. Remarquez que c’est sa mauvaise tête uniquement qui me le fait repousser. Ni M. Bastien ni M. Goubier ne viendront encore, si tant est qu’ils viennent. Comment vont vos malades et surtout Soeur Th[érèse]-Em[manuel]? Elle me préoccupe bien.

Adieu, chère enfant. Je m’arrête, parce qu’il me faut aller à l’Evêché.

Tout vôtre en Notre-Seigneur.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum