Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 214.

16 jul 1846 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Dieu lui donne la force aussitôt que l’épreuve – Sur plusieurs maîtres – Ses lectures spirituelles – Temps consacré aux récréations des religieux – Ils dorment plus que les Dominicains – Les épreuves fortifient – Nouvelles de sa santé – Qu’elle envoie son portrait – Nouvelles et demandes diverses.

Informations générales
  • PM_XIV_214
  • 0+472|CDLXXII
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 214.
  • Orig.ms. ACR, AD 437; V. *Lettres* III, pp. 90-93 et D'A., T.D. 19, pp. 94-95.
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 APOSTOLAT DE LA CHARITE
    1 AUTEURS SPIRITUELS
    1 BONTE
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 COLERE
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CORPS ENSEIGNANT
    1 EDUCATION RELIGIEUSE
    1 ENSEIGNEMENT DU DESSIN
    1 ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
    1 EPREUVES SPIRITUELLES
    1 FRERES CONVERS
    1 FUTURS PRETRES
    1 LANGAGE
    1 MAITRES
    1 MALADIES
    1 NOVICIAT DES ASSOMPTIONNISTES
    1 PATIENCE
    1 RECREATIONS DES RELIGIEUX
    1 REGLEMENTS
    1 REPOS DU RELIGIEUX
    1 REVOLTE
    1 SANTE
    1 SOUFFRANCE
    1 SURVEILLANCE DES ELEVES
    1 TRAITEMENTS
    1 TRAVAIL
    1 VERTU DE FORCE
    2 DECKER, FRANCOIS-JOSEPH
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 HENRI, EUGENE-LOUIS
    2 IMLE, HENRI-JOSEPH
    2 JEAN-BAPTISTE DE LA SALLE, SAINT
    2 MAC GAURAN, MISS
    2 MESNARD, MADEMOISELLE DE
    2 MONNIER, JULES
    2 O'NEILL, THERESE-EMMANUEL
    2 RAIGECOURT, MADEMOISELLE DE
    2 RANCE, ABBE DE
    3 IRLANDE
    3 NIMES
    3 PARIS
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 16 juillet 1846.
  • 16 jul 1846
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
  • *Madame*
    *Madame la Supérieure de l'Assomption*
    *n° 76, rue de Chaillot*
    *Paris.*
La lettre

Décidément, ma chère fille, je me ferai désormais scrupule de mes doléances, puisqu’elles vous préoccupent si fort et qu’elles vous font souffrir, quand je commence, moi, à me tranquilliser et à prendre mon mal avec plus de patience. Il ne faut pas tant vous préoccuper de mes ennuis; autrement, je ne vous les dirai plus. D’autant plus que vous voyez combien Dieu est bon. Il me voit tout faible, prêt à être brisé par un rien, et il me donne la force aussitôt que l’épreuve, ou plutôt il enlève, pour ainsi dire, l’épreuve au moment où elle semblait devoir devenir la plus terrible.

Il est conclu que Decker reste à l’Assomption, mais comme simple professeur. Voilà trois ou quatre jours qu’il ne cesse de me faire des excuses sur ses folies passées. Nous verrons à quoi tout cela aboutira. Mais comme, en dernière analyse, sa classe s’est trouvée la plus forte, proportionnellement, pour le grec et pour le latin, j’espère que ce qu’il y a d’incomplet dans sa science du français disparaîtra par son habitude de professer et grâce aux leçons que les enfants recevront dans les classes suivantes. Si vous pouviez me procurer un bon maître pour les tout petits enfants qui commencent à lire et à écrire, vous me rendriez un grand service. J’en ai un qui est assez bien, mais il est marié, ce qui m’ôte l’espoir de l’avoir jamais parmi les miens; et puis, il a un assent détestable. C’est pur provençal, avec les ritournelles beaucairoises. Il me semble qu’à cet âge l’on peut, par une bonne prononciation, corriger bien des imperfections chez ces petits êtres.

Je reviens à votre lettre si bonne. Elle m’a fait grand bien; mais, vous le dirai-je? c’est un bien de surcroît. Il me semble que je n’en avais pas besoin, tant m’ont été profitables les lectures que j’ai faites, ces jours-ci, dans la Vie de l’abbé de Rancé, que j’ai finie, et dans celle de M. de la Salle, que j’admire, quoique je ne me propose certainement pas de l’imiter en tout; j’aimerais bien mieux prendre M. de Rancé pour modèle.

Je crois que ma lettre, qui vous est parvenue le lendemain du jour où vous m’écriviez celle que je reçois de vous aujourd’hui, vous aura expliqué bien de mes idées qui me paraissent cadrer avec ce que vous me dites. Il ne faut pas vous effrayer de nos si courtes récréations. Nous avons à passer ensemble de midi et demi à 1 h. 1/2, et de 8 h. 1/2 à 9 h. 1/4, pendant l’hiver; pendant l’été, de 8 h. à 9 h. 1/4, ou bien de 6 heures à 8 heures, le dimanche et le jeudi, où nous allons nous promener ensemble, du moins tous ceux qui sont libres. L’année prochaine, ne voulant pas avoir de maîtres non religieux dans la maison, il nous sera facile de nous rapprocher davantage. Mais il faudra que nous songions à avoir un noviciat indépendant. C’est ce qui est absolument impossible de pratiquer, par le temps qui court et avec la disposition actuelle de la maison.

J’entre assez dans votre manière de voir, quand vous dites qu’il vaut mieux que la première génération d’écoliers soit un peu négligée, afin de pouvoir préparer un peu mieux les maîtres; car, après tout, ces élèves se réduisent à peu dans les classes supérieures et nous aurons toujours dans la main les classes inférieures, qui sont les plus nombreuses pour le moment. Je ne suis que trop entré dans votre pensée, à propos de ceux qui disent: Je n’en suis que plus à vous. J’ai tellement établi que je n’avais besoin de personne que je crois, à la fin, être venu à bout de le trop persuader. Quoi qu’il en soit, le pauvre abbé Henri, après m’avoir fait une algarade, m’est revenu tout attrapé, et j’espère le tenir sous la main, tant qu’il restera à la maison. Maintenant, y restera-t-il? C’est ce que je ne puis dire.

Les Dominicains dorment moins que nous, car nous pouvons être couchés à 10 heures et nous nous levons, au plus tôt, à 4 h. 1/2. On permet de s’assoupir un peu après dîner, de 1 h. à 2 h. 1/2; ce qui est quelquefois indispensable par les chaleurs étouffantes qui nous écrasent. Pour ce qui est des récréations, dont je vous parlais il n’y a qu’un moment, elles offriront toujours de grandes difficultés, si nous devons admettre que les maîtres doivent toujours être ensemble, puisqu’il en faudra au moins sept à huit dispersés, au moment où elles auront lieu. Immédiatement après le dîner, l’économe a besoin d’être à la cuisine; il y a le président de la retenue; nous avons quatre divisions; il nous en faudra bientôt une ou deux de plus, et cela par la force des choses. Je ne vois qu’un moyen, c’est de placer, pour surveiller les récréations, des maîtres d’études qui sont seulement aspirants à l’Ordre et qui se préparent à venir parmi nous.

Je ne puis m’empêcher de déplorer les effets de ces ravages intérieurs que vous me dépeignez, ma chère enfant, et toutefois comme toute chose a son bon côté, je préfère m’arrêter à cette pensée que là où tout est profond, si l’on peut parvenir à cicatriser une blessure, on peut espérer que la crise passée il en sera de vous comme de ces malades, dont le tempérament se fortifie à l’épreuve de certaines maladies. Je vous remercie de ce que vous voulez cependant, et malgré tout, m’être bonne. Je vous assure que vous l’êtes et que, sous toutes vos révoltes et tous vos ravages, vous avez beau dire, je sens toujours le coeur de ma fille.

Vous me demandez des nouvelles de ma santé. Elle est très bonne, depuis quelque temps; elle a été un peu abattue par les chaleurs, mais je me suis très bien remonté depuis quelque temps. Vous, au contraire, pauvre chère enfant, vous succombez sous le poids du travail que vous laisse la maladie de Soeur Th[érèse]-Em[manuel]. Envoyez-moi vite et bien vite votre portrait. Il est étonnant comme moi, qui suis ridicule sur ce chapitre en général, j’ai une absence complète de scrupule pour l’heureuse idée que vous avez là. Je vous assure que vous voilà engagée par votre offre, et que je ne vous tiendrai quitte que lorsque vous l’aurez accomplie. Le portrait aura ici une excellente place(1).

Je crois que Miss Mac-Gouran serait une excellente institutrice, si elle ne se fait pas religieuse. Je vous donnerai un exemple de sa charité. Il y a quelque temps, n’ayant plus d’argent à donner aux pauvres, elle vendit ses cheveux, qui sont très beaux, pour en distribuer le prix. Je ne sais cependant si Mlle de Raigecourt la laissera libre pour le mois de septembre. Faudra-t-il que je lui fisse écrire? Ou sachant son adresse vous chargeriez-vous de la proposition? Elle doit avoir une trentaine d’années. Elle est très instruite, très pieuse, très discrète et pleine de tact. Mlle de Raigecourt l’aime autant qu’on puisse aimer une créature. Quant aux talents d’agrément, j’ignore de quoi elle est capable. Je crois que Mlle de Mesnard et elle se trouveraient fort bien ensemble. Je crois que ses appointements sont chez Mlle de Raigecourt assez élevés: 2.000 francs, si je ne me trompe. Elle a à pourvoir à l’existence de sa mère.

Je ne me sens aucun attrait pour votre Frère convers, ou plutôt pour celui de M. Imlé, et pourtant j’en voudrais quelques-uns qui eussent un bon accent. M. Monnier arrivera à Paris, vers la fin du mois d’août, et y restera tout le mois de septembre; il reconduira à Nîmes qui l’on voudra. Seriez-vous assez bonne de vous rappeler l’Histoire d’Irlande, en anglais, que je vous avais priée de me procurer? J’espère avoir encore à vous écrire demain ou après-demain; c’est pour cela que je m’arrête. Vous ai-je demandé un novice maître de dessin? M. Imlé pourrait peut-être m’en procurer un. J’avais encore deux ou trois demandes à vous faire, mais elles ne me reviennent pas. J’ai oublié l’époque à laquelle doit venir l’abbé Gabriel pour notre retraite des enfants.

Adieu, ma chère fille. Il est surprenant comme vos ravages me laissent cependant tranquille à votre égard. Il me semble que vous avez beau faire, vous êtes meilleure pour moi que vous ne le paraîtriez, si je vous croyais. Adieu.

Tout vôtre en Notre-Seigneur.

E.D'ALZ[ON].
Notes et post-scriptum
1. Dans sa lettre du 13 juillet, la Mère Marie-Eugénie de Jésus lui avait offert son portrait en ces termes: "J'ai pensé à vous faire un singulier cadeau, mon portrait, qu'on fait en ce moment. Ce n'est qu'un petit dessin. En voudriez-vous? J'ai quelque honte de vous l'offrir, mais l'offre au moins vous témoignera une bonne et affectueuse intention, alors même que le portrait vous semblerait mal placé à Nîmes." Imlé, peintre connu, était l'auteur de ce portrait.