Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 217.

26 jul 1846 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Mort de l’abbé Fournéry – Mon amitié pour vous – Au sujet d’une postulante.

Informations générales
  • PM_XIV_217
  • 0+475|CDLXXV
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 217.
  • Orig.ms. ACR, AD 439; V. *Lettres* III, pp. 98-99 et D'A., T.D. 19, pp. 96-99.
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 AMITIE
    1 ANGOISSE
    1 CREANCES A PAYER
    1 CRUCIFIEMENT DE L'AME
    1 DESIR DE LA PERFECTION
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 ERREUR
    1 FATIGUE
    1 FIERTE
    1 FRANCHISE
    1 GRANDEUR MORALE
    1 JOIE SPIRITUELLE
    1 MORT
    1 OUBLI DE SOI
    1 PAIX DE L'AME
    1 PATERNITE SPIRITUELLE
    1 RECONNAISSANCE
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 RENDEMENT DE COMPTE
    1 STATUE DE LA SAINTE VIERGE
    1 UNION DES COEURS
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    2 COMBALOT, THEODORE
    2 ESGRIGNY, MADEMOISELLE D'
    2 FOURNERY, LOUIS
    2 JEHAN DE SOLESMES
    2 SEMENENKO, PIERRE
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 26 juillet 1846.
  • 26 jul 1846
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
  • *Madame*
    *Madame la Supérieure de l'Assomption*
    *n° 76, rue de Chaillot
    *Paris.*
La lettre

Je reçois votre lettre sous le poids d’une préoccupation qui me donne une plus grande liberté pour vous répondre. Mon corps est brisé de fatigue, mais il m’est impossible de prendre du repos, avant de vous avoir écrit. Hier, à huit heures et demi ou neuf heures du soir, M. Fournéry (un jeune abbé, que vous avez peut-être vu une fois, il y a deux ans, m’accompagner à l’Assomption) était gai, joyeux; à neuf heures et demi il perdait connaissance; à trois heures du matin, je déposais sur son front le baiser du dernier adieu. Il venait de se confesser, quand il est rentré dans la maison pour y mourir. Avant que cette lettre ne parte nous l’aurons accompagné à sa dernière demeure.

Eh bien, ma fille, je suis heureux que votre lettre m’arrive maintenant, car en face de tout ce qui me bouleverse dans cette nuit qui m’est encore inexplicable, je trouve l’énergie de vous parler et de vous dire: vous vous êtes trompée et je me suis trompé. Je me suis trompé à votre égard, parce que j’avais cru que vous aviez été blessée par des faits où j’avais pu être coupable de maladresse. Mais je ne pouvais penser que vous en fussiez venue à douter de mon fonds habituel, en sorte que lorsque je vous assurais de ma confiance en votre dévouement, je voulais dire qu’il n’y avait pas de ma part le moindre nuage à votre égard, causé pour moi par la manière dont vous aviez pu prendre quelques-unes de mes actions, quelques-uns de mes rapports, avec vous. Quant au fonds de mon amitié, je le croyais inattaquable et surtout par vous. En vous montrant du calme au milieu de vos perplexités, je croyais vous faire voir que je ne doutais pas plus de vous que je ne doutais de moi, afin que vous eussiez foi en moi à votre égard, comme j’avais foi moi-même dans l’amitié que je vous porte. Je vous ai dit que je vous voyais comme ma mère, ma fille et ma soeur, que pouvais-je dire de plus? Je l’ai dit avec tout le calme d’une profonde énergie, et je vous le dis de même parce que cela est. Après cela, il y a eu quelques variations dans ma manière d’agir avec vous. Ceci venait de la difficulté que j’éprouvais à allier par moments la conduite de l’ami avec celle du directeur. Quelquefois, comme directeur, il me semblait bon de vous mettre à l’épreuve. L’autre rôle m’était bien plus doux, et vous ne vous faites pas une idée de la joie que m’a causée la décision que vous a donnée l’abbé Semenenko. Vous en êtes venue à croire que vous me fatiguez. Oh! que vous êtes dans l’erreur! Mais que faut-il faire pour vous en convaincre? Vraiment, si, à midi, par des jours comme ceux que nous avons, vous veniez me dire: « Je crois qu’il fait nuit », comment devrais-je m’y prendre pour vous persuader que ce n’est pas le moment d’allumer les lampes?

Je m’ennuie de vous et de l’intérieur de votre âme? Mais ai-je trouvé quelque bonheur de la part d’une créature comparable à celui de m’occuper de ce qui vous concerne? C’est tout comme lorsque vous me parlez de l’idée que vous avez eue d’inspirer de l’estime et de l’amitié à quelques personnes pour me les communiquer. Ah! mon enfant, je ne vais pas par quatre chemins. Lorsque j’ai vu qu on avait pour vous ces sentiments, je n’en ai pas éprouvé de la jalousie, mais du bonheur, et je ne sais quelle indéfinissable fierté qui me paraissait venir moins de l’orgueil que de la reconnaissance.

Maintenant, vous l’avouerai-je? Me fallût-il renoncer à votre amitié, et, ce qui est peut-être plus dur, me voir compris à faux comme je l’ai été, je l’accepterais bien volontiers, si cela peut vous donner un demi-degré de plus de perfection. Ce dont je suis le plus sûr devant Dieu, c’est du désintéressement de mon amitié. Vous le dirai-je et en voudrez-vous? Vous pouvez me traiter un jour, à force de froissements éprouvés par vous de ma part, comme vous avez traité l’abbé Combalot, j’ai la certitude que je serai toujours le même pour vous; j’expliquerai votre conduite par une permission de Dieu, mais vous n’en serez pas moins la personne pour qui j’aurai le plus d’estime, de confiance et de respect délicat dont je me crois capable, malgré vos reproches. Et pourtant, mettez que j’aie été directeur quand vous avez cru que j’aurais dû être ami seulement, vous expliquerez bien des choses, si vous ne les pardonnez pas. Il est possible que je me trompe, mais j’avais cru que l’acceptation d’un don en amitié impliquait la réciprocité d’un échange. Cela me paraissait couler de soi. Vous m’aviez donné beaucoup, vous deviez au moins me supposer l’intention de vous rendre. Pourquoi ne suis-je pas de cristal? Il est certains points en moi que je ne vous ai pas révélés, il n’en est pas un que je ne sois pas prêt à vous découvrir; mais en affection, il en est comme des séjours que l’on fait quelque part, dans les voyages rapides. On veut tout voir, on est pressé et l’on voit tout. Avez-vous le projet de séjourner longtemps dans une ville? Vous laissez couler les jours; vous avez, croyez-vous, toujours le temps d’en parcourir les monuments, je croyais vous avoir fixé ce poste éternel dans votre âme.

Enfin, chère enfant, et si vous connaissez ma fatuité, comme vous le dites, ceci devra être décisif pour vous: ce que je m’explique peu naturellement, mais ce qui vous prouverait que je sens mon bonheur d’être vôtre, c’est la bonne grâce avec laquelle je me vois accepter ce que je trouve en vous de supérieur à moi. Vous aurez beau faire, je le verrai avec bonheur. Et ceci est très calme chez moi, parce que, lorsque je vous disais que vous m’étiez une fille et une mère, je disais vrai. Je vous considère très sérieusement sous ce dernier rapport et je trouve très simple de passer après vous. Suis-je assez à vos pieds? Ne croyez pas que je m’en fasse un mérite; je trouve très naturel d’être aux pieds de ma mère. Je voudrais vous répéter le cri d’un enfant que sa mère avait jugé à faux: ce n’était que ce nom de mère lui-même. Il disait beaucoup. Je n’en ai pas d’autre pour vous exprimer le calme de ma conscience, alors que cependant je souffre beaucoup de vous avoir fait tant de mal.

Je sens que je devrais aller me jeter sur mon lit. Pourquoi est-ce que je vous reviens, mon enfant? Sinon parce que j’ai le désir d’apaiser vos troubles et vos peines, sinon parce que je suis réellement votre Père. Ma fille, ma fille, rendez-moi ce que je veux de vous, parce que je crois que c’est la volonté de Dieu que nous soyons un. Pour moi, j’ai le sentiment que je suis vôtre. Pourquoi Dieu me le donne-t-il lorsqu’il vous le refuse? Très certainement pour un bien. Et plus j’y pense et plus je suis disposé à traiter l’impression qui vous tourmente comme une tentation, tant le contraire est pour moi la vérité.

Je viens de lire votre rendement de compte. Voulez-vous que j’y réponde ici? Je vous avoue que je m’assure de plus en plus que Dieu a fait par une tentation ce que j’aurais peut-être dû faire moi-même; mais tout ceci tournera à un bien, et, quoi que vous disiez, j’en remercie Dieu, parce que, si vous ne me sentez pas être avec vous, moi je le sens. Je sens aussi ce devoir de père à remplir, devoir que Dieu rend cruel, ou dans lequel il permet que, malgré moi, je le sois.

Je veux vous imiter, ma chère enfant, je ne déchirerai pas cette lettre toute obscure qu’elle est. Elle voudrait six pages de commentaires, mais je veux en commencer une autre, où je tâcherai d’être un peu plus explicite. Seulement pour clore celle-ci, je vous dirai que la supérieure des Carmélites m’envoya, avant-hier, une lettre pour Mlle d’Esgrigny. Je refusai de la faire parvenir et je lui donnai seulement l’adresse, afin de maintenir ma neutralité. Me voilà bien avancé avec deux supérieures qui se disputent un sujet et m’accusent l’une et l’autre d’aider à le leur enlever. Je reçois à l’instant les caisses des statues. On les fait suivre d’un remboursement énorme et qui dépasse de beaucoup les 200 francs que je devais donner pour chacune des deux. Je ne parle pas des frais de port qui s’élèvent à 75 francs. Seriez-vous assez bonne pour voir le P. Jean et vous entendre avec lui?

Notes et post-scriptum