Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 220.

26 jul 1846 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Réflexions sur leur amitié et sur un malentendu.

Informations générales
  • PM_XIV_220
  • 0+475 a|CDLXXV a
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 220.
  • Orig.ms. ACR, AD 440; D'A., T.D. 19, pp. 100-102.
Informations détaillées
  • 1 ACTION DE DIEU DANS L'AME
    1 AMITIE
    1 AMOUR DU CHRIST
    1 BONTE
    1 EGOISME
    1 EPOUSES DU CHRIST
    1 EPREUVES SPIRITUELLES
    1 FIERTE
    1 FOI
    1 FRANCHISE
    1 JESUS-CHRIST EPOUX DE L'AME
    1 LACHETE
    1 OUBLI DE SOI
    1 PAIX DE L'AME
    1 PATERNITE SPIRITUELLE
    1 PATIENCE
    1 RECHERCHE DE LA PERFECTION
    1 RECONNAISSANCE
    1 RESPECT
    2 FOURNERY, LOUIS
    3 PARIS
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 26 juillet 1846.
  • 26 jul 1846
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
La lettre

Eh bien, oui, ma chère enfant, je vais vous donner une seconde édition de ma lettre, parce que je me sens trop bien disposé à votre égard, trop sûr de moi pour ne pas vous répéter, fût-ce à satiété, ce que je n’ai pu bien expliquer jusques à présent. Tout notre malentendu me paraît se réduire à quelques points:

1° Je croyais bien que vous étiez mécontente de moi, mais pour des faits isolés. Mais ne vous rappelez-vous donc pas mes paroles en arrivant à Paris? Ne vous ai-je pas dit que je me reprochais d’avoir plus de plaisir de vous revoir que de revoir les miens? Ma bonne fille, n’ai-je pas ajouté que j’étais tout impressionné du bien que vous m’aviez fait? Est-ce que cette disposition n’impliquait pas une idée de reconnaissance, et, puisque vous me connaissez si fier, croyez-vous qu’il n’y aurait pas eu un effort de ma part à avouer ce genre de reconnaissance, si je n’avais pas été aussi à vous que je le suis? Toutefois, je suis forcé de le dire, je n’ai pas la moindre peine à vous devoir beaucoup. Expliquez cette disposition. Si je n’ai rien à vous rendre en échange de ce que vous me donnez, je consens à être votre débiteur; mais puis- je accepter cette position, si je n’ai absolument rien à vous rendre? Cependant, il faut que je sois vrai. Eh bien, il me semble que je ne suis pas votre débiteur. Si jamais j’ai été capable d’amitié pour quelqu’un, c’est pour vous, et depuis que ce sentiment a pris racine en moi, je le sens grandir tous les jours, et ses racines s’enfoncent et pénètrent dans tout ce que je suis. Or, vous pouvez demander si je suis capable de cette vie d’amitié. Je réponds: je le crois; mais que puis-je ajouter de plus? Si vous ne m’en croyez pas à la première assurance, mille protestations ne vous feront pas grand’chose. Oui, je me crois capable de beaucoup d’amitié, et ce que j’en ai de plus fort a été développé par vous.

2° Il y a eu quelquefois fluctuation dans ma manière d’agir. L’ami a quelquefois fait place au père. Je ne puis vous dissimuler que c’est, je crois, ce que vous n’avez pas compris. Je ne vous en fais pas un reproche. Le père aurait peut-être dû agir autrement, mais ce que vous n’avez pas vu, c’est que l’on a voulu quelquefois vous imposer une épreuve là où vous avez vu une blessure de l’amitié. Et cependant encore, je crois vous l’avouer, il y a de ma faute, parce que j’ai quelquefois manqué de fermeté, comme votre père; ce qui vous a égarée et déroutée. Ainsi j’ai cru quelquefois devoir exiger devant Dieu le sacrifice du charme de votre amitié, sauf à vous arrêter au moment de frapper le coup, et c’est moi qui ai chancelé. J’ai pu avoir tort, mais en un sens devez-vous m’en faire un crime? Plus de fermeté de ma part eût amené une solution plus prompte. Eût-elle été heureuse? Dieu seul le sait.

Voilà où j’en suis. Je vous dis dans l’autre lettre que je consens à tout de votre part, si je puis vous procurer un degré de plus de perfection. Et voilà un moment que j’avais posé la plume, ne me sentant pas le courage de vous le répéter, et demandant grâce pour n’être pas forcé d’être longtemps encore votre bourreau. Consentir à l’être serait d’une amitié plus forte, mais le comprendriez-vous? Eh bien, oui, ma bonne enfant, je veux l’être. Débattez-vous tant qu’il vous plaira, méprisez-moi, j’achèverai ma tâche. Oh! que m’importe que vous sachiez ce qui me fera agir? Quelques années passent vite. Il y a vingt-quatre heures, Fournery croyait bien voir se lever le soleil qui va se coucher sans lui. Ce que je vois en vous, au-dessus et des charmes de l’affection, et des preuves que l’on peut en donner, et de la compréhension plus ou moins grande de votre amitié, c’est vous, vous que je veux présenter à Jésus-Christ, parce que je suis l’ami de l’époux et de l’épouse. Et voyez, il me semble que nous nous comprenons ici et que ces mille petits froissements se dissipent, lorsqu’en présence de notre divin Maître, je vous jure que je me sens et votre père et votre serviteur, parce que je suis l’ami du Fils de Dieu.

Mon enfant, nous avons la foi. Et me comprenez-vous maintenant? Et croyez-vous qu’en ce moment la dernière fibre de mon être ait le sentiment de ce que je vous dis, et de l’autorité que Dieu me donne à votre égard, de son étendue, de sa nature et du respect presque infini avec lequel je dois en user fortement quelquefois, toujours avec une affection crue de votre part? Eh bien, maintenant, je m’arrête. Qu’ai-je à ajouter? Si enfin, comme je l’espère, je me suis fait comprendre de vous, n’y a-t-il pas là de quoi nous calmer pour l’éternité? Sinon, attendons en patience. Dieu le veut sans doute; mais ne dites pas que les blessures seraient pour la vie. Dieu qui les aurait permises saura bien encore les guérir.

Adieu, ma fille.

Le 27.

Si je m’écoutais, je vous écrirais encore, mais est modus in rebus. Je ne dirai qu’un mot. Vous m’avez trouvé dans le temps, dites-vous, une nature bienfaisante à votre égard. Ce que je puis vous assurer, c’est que jamais je n’ai eu le désir de l’être, en effet, autant qu’aujourd’hui. Mais voulez-vous avoir confiance en moi? Je m’aperçois que je ne réponds pas à ce que vous me dites sur mon opinion à l’égard de votre égoïsme en amitié. Je n’ai pu rien répondre à des observations sur les conséquences dont les prémices n’ont jamais pu m’entrer dans la tête. Oh! chère enfant, revenez-moi et rendez-moi ma fille; je vous assure que vous aurez bientôt retrouvé votre père.

Notes et post-scriptum