Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 223.

31 jul 1846 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Convention au sujet de leur correspondance – Sur une postulante – Il répond d’elle devant Dieu – Nouvelles diverses – Vocations de religieux et demande de maîtres – Son portrait avec auréole et ailes de chérubin – Autres nouvelles.

Informations générales
  • PM_XIV_223
  • 0+476|CDLXXVI
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 223.
  • Orig.ms. ACR, AD 442; V. *Lettres* III, pp. 99-103 et D'A., T.D. 19, p. 105.
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 AUTEURS SPIRITUELS
    1 BATIMENTS DES COLLEGES
    1 BONTE
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CORPS ENSEIGNANT
    1 DEFENSE DE L'EGLISE
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 ELECTION
    1 ERREUR
    1 ESPRIT ETROIT
    1 FRANCHISE
    1 FRERES CONVERS ASSOMPTIONNISTES
    1 INSTITUTEURS
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 RIRE
    1 ROYALISTES
    1 SYMPTOMES
    1 TRISTESSE PSYCHOLOGIQUE
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    2 BECHARD, FERDINAND
    2 BEVIER, MARIE-AUGUSTINE
    2 CART, JEAN-FRANCOIS
    2 CROY, MADAME DE
    2 ESGRIGNY, MADEMOISELLE D'
    2 FERRAND DE MISSOL, AMEDEE
    2 FEUCHERES, JEAN-ADRIEN-VICTOR DE
    2 GOERRES, JOHANN-JOSEPH VON
    2 MAC GAURAN, MISS
    2 MESNARD, MADAME DE
    2 MICHEL, ERNEST
    2 O'NEILL, THERESE-EMMANUEL
    2 OLIVAINT, PIERRE
    2 PERROULAZ, ABBE
    2 PITARD, FELIX
    2 VERDIER, AYMARD
    3 NIMES
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 31 juillet 1846.
  • 31 jul 1846
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
  • *Madame*
    *Madame la Supérieure de l'Assomption*
    *n° 76 rue de Chaillot*
    *Paris.*
La lettre

Je reçois votre lettre, ma chère enfant, et j’ai besoin de vous dire que la peine que pourraient me faire quelquefois vos lettres ne doit jamais être un motif de ne pas parler [de] la même chose. Il me semblait que c’était convenu depuis longtemps. Quelques-unes de vos paroles me font craindre que vous n’ayez oublié notre convention; je tiens à vous la rappeler. J’ai trop à coeur de vous être bon, lorsque quelque épine vous entre dans l’âme, pour ne pas chercher à la retirer, dût-elle me piquer à mon tour. Samedi (1er août].

Je vais essayer si le plaisir de vous écrire me fera oublier une crampe d’estomac, à laquelle je suis assez sujet pendant les chaleurs de l’été.

Je reviens à votre lettre. Ce que vous me dites de Mlle d’Esgrigny serait fort juste, si je ne savais ce qu’elle m’avait dit en particulier et ce qui a pu me gêner un peu pour la presser d’entrer chez vous. Maintenant, Dieu, ce me semble, jugera, car elle s’est présentée à moi pour être Carmélite. C’est moi qui l’ai engagée à faire votre connaissance. Il me semble que, si je n’avais pas eu le désir de vous la donner, je n’aurais pas fait tant de démarches auprès d’elle dans les commencements. Mais je vous avoue que j’ai peut-être trop de respect pour les vocations, sur lesquelles on me consulte. Je crois que vous devriez tenir compte de ce scrupule, que je n’ai jamais bien pu secouer. Vous ai-je dit que la supérieure des Carmélites est, de son côté, très mécontente de moi, parce que je suis, à ses yeux, capable de faire tous mes efforts pour vous donner Mlle d’Esgr[igny]? Le fait est que, de vous à moi, je suis effrayé de l’étroitesse de tête de ces bonnes filles, qui, par l’effet de leur solitude, peuvent bien voir plus facilement les choses de Dieu, mais semblent ne plus rien comprendre aux choses de la vie humaine. Sous ce rapport, je n’aurais pas été fâché de voir quelqu’un qui eût le sens commun pour les affaires du dehors se mêler à ces bonnes âmes, pour leur donner quelques idées qu’elles ne sont pas, je crois, absolument incapables de recevoir.

Quoi qu’il en soit, pour cette circonstance, je vais garder un silence absolu, même envers Mlle d’Esgr[igny]. Je vous prie de ne pas en conclure, comme vous paraissez me le dire, que je ne vous souhaite pas des sujets distingués. Il me semble que, dans cette occasion, les circonstances sont tout à fait spéciales. Franchement, je suis innocent de ce reproche. J’aurais bien plutôt à redouter le reproche contraire, et vous en conviendriez, si vous pouviez voir le sentiment qu’a inspiré le départ des dernières Nîmoises pour l’Assomption. Mais, chère enfant, n’ai-je pas tort de vous donner des explications là-dessus et ne préféreriez-vous pas que je vous répondisse par cette seule parole: « Vous vous trompez »; ce qui me semble bien vrai.

J’ai dit tout à l’heure la messe pour vous, parce que je n’ai pu le faire mardi, à cause de la messe des héros de juillet qu’il m’a fallu dire à la cathédrale, ni hier, non plus, à cause d’une neuvaine. Plus je me sonde devant Notre-Seigneur, plus je me sens vôtre, avec je ne sais quelle intimité absolue qu’aucun de vos doutes ne peut ébranler. Ainsi, chère enfant, le parti le plus simple que j’ai à prendre, est sans doute de faire ce qui dépendra de moi pour vous prouver que vos appréhensions sont imaginaires, mais après m’être tourmenté et avoir été porté à croire ce que vous me disiez sur vous, je reviens toujours à ce sentiment que, quoi que vous fassiez et puissiez dire, je suis chargé de vous, j’en réponds devant Dieu. C’est là une grande partie de ma vie, et de mon devoir sur la terre et de mon bonheur.

Je reprends vos commissions. Veuillez témoigner à M. Michel toute l’amitié possible de ma part. Je suis vraiment touché de tout ce qu’il fait pour moi. Je ne sais si je suis capable de prendre la position qu’il voudrait me donner. Figurez-vous que je suis très incapable sur une foule de points. Il me semble que vous, qui commencez à me connaître, devriez ne pas trop me pousser vers des positions, où je finirai par me casser le nez. J’attends sur ce chapitre la lettre que vous me promettez. Vous êtes effrayée de me voir bâtir ici; mais c’est une question de vie ou de mort pour la maison. Il n’y a plus de place ici, et je compte bien qu’avant la fin de l’année prochaine tout sera archirempli.

Je connais beaucoup M. Pitard, et, depuis deux ans, je conjure M. Ferrand de me le donner. Tous les deux doivent venir cette année dans le Midi(1). Je verrai bien de tenter un dernier coup, mais je doute fort qu’il réussisse. M. Ferrand n’a pu me donner Olivaint ou Verdier, deux jeunes professeurs de premier ordre; il a préféré les envoyer aux Jésuites. Soyez assez bonne pour me dire si M. Michel a les yeux sur quelque nouveau sujet, parce qu’il faut songer à mes professeurs de l’année prochaine et que les places doivent être remplies avant le dernier moment. Je ne serais pas embarrassé, pourvu que je sois averti un peu à l’avance, parce que je puis avoir ici quelques excellents sujets comme professeurs, mais non pas comme religieux.

Je serai fort embarrassé pour M. [Perroulaz](2); il n’a pas répondu à ma dernière lettre, ce qui pourtant est assez important. Aussi, s’il vient, je ne puis lui offrir pour cette année que les tout petits enfants. Est-ce que ce ne serait pas trop peu? J’avoue que ce n’est pas engageant. Mais aussi pourquoi me laisser si longtemps le bec dans l’eau?

Je vous prie d’offrir mes hommages les plus humbles à Mme de Mesnard et de lui dire que j’ai déjà écrit pour savoir si Miss Mac-Gouran peut aller chez elle. Dès que j’aurai une réponse, je la lui ferai parvenir. Mme de Croÿ me tue par sa déraison. Ne serait-il pas possible de lui procurer quelque traduction, la Mystique de Goerres par exemple? Je la crois capable de bien faire ces choses-là, beaucoup mieux que mon portrait avec une auréole sur la tête et des ailes de chérubin aux épaules, qu’elle va donnant à ses amies et connaissances. Jugez de l’agrément. Si j’en trouve un exemplaire, je vous l’enverrai pour égayer Soeur Marie-Augustine.

Depuis un mois que Monseigneur est parti, je lui ai écrit plusieurs fois. Je vais lui écrire aujourd’hui, mais je n’ai pas un mot de lui. J’attendrai le Frère convers, quand il pourra venir. J’aime assez les attendre, parce qu’ils sont déjà à un bon pli.

Adieu, ma chère enfant. Je n’ose pas vous dire écrivez-moi souvent, les occupations qui vous sont imposées par la Soeur Th[érèse]-Em[manuel] ne vous le permettent peut-être pas. Mais cependant je suis assez égoïste pour désirer ce secours, qui m’est si bon pour me relever et me tirer de quelques idées sombres qui me viennent par moment. Je vous laisse pour aller faire une démarche fort ennuyeuse; il me faut voter pour Béchard. Je n’en avais pas grande envie, mais il est évident qu’il y a ici une question de liberté religieuse, devant laquelle il ne faut pas reculer(3).

Adieu encore une fois, mais du fond du coeur, quoi que vous en disiez.

Notes et post-scriptum
1. Alors professeur de troisième au collège Louis-le-Grand, à Paris.
2. Le nom manque dans la copie, mais il se trouve dans la lettre de la Mère Marie-Eugénie de Jésus.
3. Candidat légitimiste et excellent catholique. Son concurrent officiel, le général de Feuchères, dont une belle avenue de Nîmes porte le nom, fut élu député.