Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 227.

9 aug 1846 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Je veux de vous pour moi votre nature sauvage et non votre nature aimable pour tous – Cherchons à mieux nous comprendre – Questions diverses concernant l’Assomption de Nîmes – Les plans de ma future maison – Je sens la nécessité de former des novices – Mon petit peuple – Reprenez votre bonne ancienne manière d’être.

Informations générales
  • PM_XIV_227
  • 0+477 a|CDLXXVII a
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 227.
  • Orig.ms. ACR, AD 444; D'A., T.D. 19, pp. 106-110.
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 BATIMENTS DES COLLEGES
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CONNAISSANCE DE SOI
    1 CREANCES A PAYER
    1 EGOISME
    1 ELEVES
    1 FORMATION DES JEUNES AUX VERTUS
    1 FORMATION DES NOVICES
    1 FRANCHISE
    1 HUMILITE
    1 MAITRES
    1 MAITRISE DE SOI
    1 OUBLI DE SOI
    1 OUVRIER
    1 PROFESSIONS
    1 REFLEXION
    1 RELIGIEUX ENSEIGNANTS
    1 SOLITUDE
    1 SOUFFRANCE
    1 SURVEILLANCE DES ELEVES
    1 TEMPERAMENT
    1 VACANCES
    2 BUCHEZ, PHILIPPE
    2 GUYHOMAT, ABBE
    2 JEHAN DE SOLESMES
    2 LAURENT, CHARLES
    2 LEDREUILLE, ABBE
    2 RAVIGNAN, GUSTAVE DE
    2 SAUGRAIN, HIPPOLYTE
    2 SEMENENKO, PIERRE
    2 VERDIER, AYMARD
    3 NIMES
    3 PARIS
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 9 août 1846.
  • 9 aug 1846
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
  • *Madame*
    *Madame la Supérieure de l'Assomption*
    *76, rue de Chaillot. Paris.*
La lettre

J’ai reçu ce matin votre bonne lettre. N’ayez aucun regret à l’avoir écrite; elle nous sera utile à tous les deux. Premièrement et par-dessus tout, établissons que je veux de vous pour moi votre nature sauvage, et non pas votre nature polie, aimable pour tous. Sous ce rapport, il me semble que, si nous devons nous comprendre par un point, c’est par celui-ci, que nous allons en général l’un et l’autre à ce qui est intime, réel, et que si c’est ce que vous voulez de moi, c’est bien aussi ce que je veux de vous. Il me semble qu’à ce point de vue nous devons toujours nous rencontrer. Il paraît que ma lettre vous a découvert un fait que vous avez l’air de constater avec étonnement, que je vous aime même avec vos défauts. En avez-vous jamais douté? Je serais bienheureux si vous n’en aviez pas; j’en serais bien fier. C’est une humiliation personnelle que j’éprouve quand j’en aperçois, tout comme quand je vois les miens. Enfin, pour tout vous dire, un de vos défauts qui m’a le plus affligé, c’est que si je ne vous ai pas comprise toujours, vous ne m’avez pas compris, non plus, plus d’une fois. Ainsi, le jour où je vous remerciais, sottement peut-être, de ce que vous ne me pressiez pas trop de venir vous voir, je vous assure que je croyais constater chez vous une des qualités les plus précieuses de l’amitié, le désintéressement du plaisir. Vous dirai-je que cette disposition, quand je la trouve, m’a toujours causé une espèce d’enivrement, dont vous me réveillâtes assez rudement, méchante fille, à quelques jours de là. Ce degré-là il faut le demander à bien peu de personnes. Ma mère l’a à un degré prodigieux, au moins pour moi. Je crois l’avoir pour vous, (le je crois est de trop; c’est positif) et, en le constatant chez vous, j’étais loin de penser de vous faire de la peine. Cependant il est sûr qu’une impression douloureuse vous en est restée plusieurs jours. Lorsque plus tard je vous parlai de l’égoïsme de votre amitié, je le prenais dans un autre sens que l’opposé de désintéressement.

Il me semble que le résumé de tout ceci doit être que nous cherchions un peu à nous mieux comprendre, en comptant l’intention de l’un pour l’autre. Pour moi, chère enfant, soyez sûre que si ma dernière lettre vous a fait du bien, je n’ai jamais été dans une disposition autre à votre égard. Si vous croyez que quelques épreuves vous feraient plus de mal que de bien, n’en parlons plus. Je crois qu’en un sens vous avez raison et même jusqu’à un certain degré, dans tous les sens. Mais ceci voudrait un volume d’explications, et pour aujourd’hui je vous demande la permission de ne pas vous le donner. L’avis du P. Sem[enenko] me paraît très bon, quand il dit que je n’ai ni assez de solitude ni assez de réflexion. Je crois pourtant en acquérir chaque jour.

Maintenant, permettez-moi de passer à quelques autres sujets: 1° J’ai reçu M. Saugrain; nous en sommes tous très contents. Il est un peu naïf, mais son dévouement est grand, il a de très bonnes dispositions.

2° M. Guyhomat ne pourra peut-être pas nous rester. Il a une mauvaise santé, ce qui lui donne un assez mauvais caractère.

3° Le nombre de nos élèves augmente d’une façon effrayante. J’en ai au moins 45 nouveaux inscrits pour l’internat de l’année prochaine; ils iront à près de cent, sans compter le demi-pensionnat et l’externat.

4° Il faudra absolument que je songe à bâtir. J’ai proposé un plan et j’espère avoir des fonds.

5° Quant au plan, je voudrais bien le faire reviser par M. Verdier ou tout autre, car je commencerais au mois de janvier. Le plan par terre est fait. Si une légende pouvait suffire, je vous l’enverrais.

6° Il me faut quelques jeunes gens, mais je les veux avec le caractère de M. Saugrain, c’est-à-dire dévoués. Vous ai-je dit que j’avais retenu un prêtre que m’avait recommandé le P. de Ravignan?

J’ai rêvé la possibilité de faire bâtir ma maison par une association d’ouvriers. Est-ce que M. Buchez ne pourrait pas me donner un coup de main pour cela? Il ne faudrait que quatre ou cinq chefs bien disposés; le reste marcherait de lui-même. Si vous trouvez des maçons, des menuisiers, des serruriers, etc., faites-m’en part. Peut-être le fameux abbé Ledreuille pourrait-il nous venir en aide? En attendant, si quelque tailleur ou cordonnier voulait venir servir Dieu chez nous, vous comprenez que nous les prendrions sans difficulté.

Lundi 10, Saint Laurent.

Je vous enverrai, au premier jour, les plans de ma future maison, car si je pouvais commencer à bâtir au mois de janvier, pour peu que l’été fût aussi chaud qu’il l’a été cette année-ci, nous pourrions prendre possession d’ici un an. Il est bien entendu que les ornementations viendraient plus tard, mais il ne serait pas difficile, je crois, de nous déloger pour 1847 de notre local actuel, et ce serait à mon gré un avantage inappréciable.

Seriez-vous assez bonne pour m’expliquer ou plutôt pour demander au P. Jean l’explication d’un remboursement que j’ai fait pour ses statues. En dehors du port qui coûte 77 francs, il me faut payer 340 francs de remboursement. Je mets 20 francs pour chaque caisse -ce qui est énorme- reste 300 francs; ce qui, avec les 200 francs que j’ai déjà avancés porte les statues à 250 francs au lieu de 200 francs que nous étions, je crois, convenus.

Lorsque je vous disais hier qu’il me faudrait quelques jeunes gens, c’est que je sens plus que jamais la nécessité de former des novices. Il nous en faut absolument. Plus il y en aura, et plus nous serons à même d’établir un peu de ferveur. Les embarras de la surveillance des élèves doubleront peut-être mon travail, mais auront aussi un avantage, c’est que je pourrai parler séparément à divers groupes.

Me voilà un peu occupé de mon petit peuple, qui s’est envolé pendant les vacances et que je veux faire retourner quelquefois au nid, afin qu’ils ne fassent pas trop de sottises. Je vais organiser pour eux quelques parties aux environs de Nîmes. Ce sera pour moi un moyen de les faire parler et de savoir bien des choses, que je ne serai pas fâché de connaître.

Adieu, ma chère enfant. Je reviens toujours vers vous avec la pensée de plus en plus forte qu’il faut laisser ce en quoi vous avez pu vous froisser pour reprendre votre bonne ancienne manière d’être. Pour moi, je vous assure que je n’ai pas besoin de m’y disposer parce que je m’y trouve tout naturellement. Adieu. Si je ne craignais de faire parler les nîmois, je partirais pour Paris pour faire examiner mon plan de maison; ce serait l’affaire de huit jours. Adieu.

Notes et post-scriptum