Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 230.

17 aug 1846 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

L’approbation par elle du prospectus du collège lui est allée au coeur – Motifs pour lesquels il est contraint de bâtir – On prendra position à Paris plus tard – Il a renoncé, pour le moment, à sa maison de hautes études – Fonds qu’il faudra consacrer à la construction – Leur amitié – Nouvelles diverses.

Informations générales
  • PM_XIV_230
  • 0+479|CDLXXIX
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 230.
  • Orig.ms. ACR, AD 446; V. *Lettres* III, pp. 109-113 et D'A.,T.D. 19, pp. 110-111.
Informations détaillées
  • 1 ACHAT DE TERRAINS
    1 AFFRANCHISSEMENT SPIRITUEL
    1 AMITIE
    1 ANNEE SCOLAIRE
    1 ASSOMPTION
    1 BATIMENTS DES COLLEGES
    1 CELLULE
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CORRECTION FRATERNELLE
    1 CREANCES A PAYER
    1 EDUCATION RELIGIEUSE
    1 ELEVES
    1 ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
    1 FRANCHISE
    1 FRERES CONVERS
    1 HUMILITE
    1 JOIE
    1 LIBERTE DE L'ENSEIGNEMENT
    1 MAITRES CHRETIENS
    1 MAITRISE DE SOI
    1 MORT
    1 OUBLI DE SOI
    1 PARDON
    1 PENSIONS SCOLAIRES
    1 PUBLICATIONS
    1 RECRUTEMENT SACERDOTAL
    1 REPOS
    1 RETRAITE SPIRITUELLE
    1 SOINS AUX MALADES
    1 TEMPERAMENT
    1 VENTES DE TERRAINS
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    2 AFFRE, DENIS
    2 BEVIER, MARIE-AUGUSTINE
    2 FOURNERY, LOUIS
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 MAC GAURAN, MISS
    2 MESNARD, MADAME DE
    2 MICHEL, ERNEST
    2 MONNIER, JULES
    2 RAIGECOURT, MADEMOISELLE DE
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 17 août 1846.
  • 17 aug 1846
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
La lettre

Il est bien permis de s’enfermer quelquefois pour s’occuper à l’aise des pensées qui doivent diriger ensuite notre conduite, et c’est ce que je fais. Me voilà dans ma cellule, où je m’enferme, sinon avec vous, du moins avec votre bonne longue lettre. S’il peut vous être agréable de savoir, en passant, qu’aucune approbation de notre prospectus ne m’a été autant au coeur que la vôtre, je puis constater devant vous un fait qui m’a causé une véritable joie, et, vous le dirai-je? une fort douce surprise, car j’avais un peu peur de vous. Rassurez toutefois Soeur Marie-Augustine. Si nous faisons quelquefois passablement, nous la considérons toujours comme notre soeur aînée, et vous pouvez la prévenir que M. Monnier ne se mettra en relation avec elle que dans les dispositions du plus profond respect. Quant à vous, mon enfant, je vous ai bien reconnue dans votre penchant à vous reposer dans ce qui empêche les autres de dormir(1), et n’était ce que vous me dites de bon, je vous assure que je serais tout disposé à protester contre vos actes d’humilité, quand vous vous déclarez moins bonne que moi. Enfin, toujours est-il que votre approbation me fait un plaisir extrême, et que je ne crois pas que ce soit la vanité qui me fasse vous l’exprimer. L’impression que j’ai éprouvée ne vient pas de ce côté-là.

Maintenant, parlons des bâtiments de notre maison. Je suis forcé à bâtir:

1° Parce que, du train dont vont les choses, la maison dans quelques années comptera peut-être 400 élèves, au moins 300, qui serait le nombre où je voudrais la limiter. Faut-il refuser les enfants qui nous sont présentés, quand ils offrent les garanties que, bien entendu, nous sommes toujours résolus à prendre? J’ai, en ce moment, plus de cinquante nouveaux élèves promis pour l’internat, sans compter les demi-pensionnaires et les externes. Je vais bâtir hors la ville; les externes diminueront, mais les demi-pensionnaires et les internes augmenteront d’autant.

2° Un établissement dans un pays où, ayant pris les premiers position, nous sommes toujours assurés d’une antériorité de succès, me semble chose très avantageuse. Pour ma part, j’y tiens assez comme [à] un moyen d’indépendance. La possibilité de quitter Paris me paraît une garantie de liberté à l’égard de l’archevêque, quand un jour nous irons nous y fixer.

3° Le terrain et le local que nous occupons nous seraient achetés immédiatement par les Carmélites, et, si nous ne faisons pas de bénéfices, au moins n’y perdrons-nous pas.

4° L’étendue du bâtiment doit être, selon moi, fixée par la quantité d’élèves que nous pourrons avoir. Je tiens à ce que nous puissions nous y établir, d’ici à un an, sauf à poursuivre les constructions plus tard, selon un plan préparé à l’avance.

5° La question de l’éducation du midi de la France est toujours pour moi une chose capitale.

6° Enfin, je suis convaincu que, pour arriver à quelque chose de solide en fait de vocations, il faut préparer des éléments dans nos élèves. Or, déjà j’en découvre d’excellents, et ils le deviendront d’autant plus que notre maison aura ici plus de développement. Cela n’infirme en rien ce que M. Michel dit sur la nécessité de prendre position à Paris. Seulement, je maintiens qu’il faut que ce soit au moment favorable. Vous pensez que ce sera dans un an. Je crois que ce ne sera peut-être pas si tôt, soit parce que la question n’ira pas aussi vite qu’on pourrait le croire au premier abord, soit parce que je crois qu’il faudrait que nous fussions un peu plus prêts que nous ne le sommes.

Je crois pouvoir vous dire que je ne pense pas, depuis quelque temps, à travailler à la maison des Hautes-Etudes; elle me paraîtrait un obstacle au succès de l’oeuvre. Quant à une providence d’orphelins, je croyais y avoir une pépinière de Frères convers.

Me faudra-t-il consacrer à l’oeuvre des fonds considérables? Oui et non; car, si nous avons le succès qui semble nous attendre, les avances seront bientôt couvertes, une fois les intérêts payés et quelques dépenses extraordinaires acquittées. Je compte que mes 100 pensionnaires nous donneront une quinzaine de mille francs de bénéfice net, et plus leur nombre augmentera, plus évidemment les bénéfices augmenteront. Quant au plan, je suis résolu à le faire aussi bien que possible. Je l’ai déjà conçu et combiné d’une manière qui me semble assez commode, et tout ce que vous me dites d’une course à Paris, si la chose l’exigeait, entre tout à fait dans mes idées. Mais j’attends un architecte, à qui j’ai fait faire le plan par terre, afin qu’ensuite l’on puisse combiner les distributions secondaires et le style. J’oubliais de vous faire observer que, dans l’hypothèse où nous resterions dans la maison, jamais il ne serait possible d’établir une séparation telle entre les maîtres et les élèves que nous pussions espérer de former les premiers à des usages religieux.

En résumé, il me semble que bâtir avec les fonds que nous retirerons de la maison me paraît une chose assez praticable, d’autant plus que, par un assez bon arrangement, je n’aurai probablement pas à donner, de quelque temps, de l’argent pour le terrain sur lequel j’avais la pensée de bâtir. Ma pensée était de demeurer ici, à poste fixe, au moins deux ans. Vous savez que l’archevêque de Paris ne me réclamerait qu’au bout de la troisième année, à partir du mois d’octobre; et finalement, il me paraît que ce serait le meilleur terme que je puisse choisir, à moins que la question de la liberté de l’enseignement n’allât plus vite que je ne le présume.

Je vous remercie de ce que vous me montrez encore aujourd’hui votre nature sauvage: c’est étonnant comme je l’aime. Seulement ce qui vous amène à me la découvrir encore est une expression de moi mal comprise par vous: Que vous êtes heureux(2) de trouver tant de joie à constater que l’on ne recherche aucun plaisir dans votre amitié! Voilà vos paroles. J’avais envie de n’y pas revenir. Cependant il me semble que je puis bien tout vous dire. Ce que je redoute le plus, (vous allez ne pas me croire) c’est l’emportement de mes affections. Je sens que si je n’en étais pas toujours le maître, j’en serais dominé d’une manière nuisible. Posséder son âme me semble un bien nécessaire pour notre sanctification. Ne lui permettre du plaisir que de ce qui convient est très difficile. Voilà pourquoi je suis porté à l’excès contraire, la privation complète du plaisir. Mais en ceci il y a exagération, je le crois au moins, et, dès lors aussi, perte de liberté. Or je crois, avec la grâce de Dieu, en être venu au point de faire un peu comme vous, dont les allures à cet égard sont bien plus franches. Voilà des choses que je croyais n’avoir pas besoin de vous dire; mais, méchante fille que vous êtes, quand je vous ai encore tourmentée, je sens qu’il faut que je vous fasse voir tout ce qu’il y a en moi jusqu’à mes plus intimes misères. Et maintenant serez-vous contente et me chercherez-vous encore querelle?

La rentrée des élèves n’a lieu que le 15 octobre. M. Gabriel ne pourra leur prêcher la retraite. Mais les maîtres se réunissent le 4 octobre pour en faire une. Voulez-vous que je l’engage à nous la donner? Je le redoute un peu, mais vous savez mieux que moi où il en est en ce moment. M. Monnier ne sera à Paris que pendant le mois de septembre; il est en ce moment en Franche-Comté. Je vous plains de toute mon âme d’avoir à donner les derniers soins à cette pauvre enfant qui se meurt. Je sais ce que j’ai souffert, il y a trois semaines, pour déposer dans le cercueil mon pauvre Fournéry. Mais aussi cette vue de ce que nous sommes nous avertit bien fortement et nous force, malgré nous, à prendre des résolutions. Ah! ma pauvre fille, nous nous en allons bien vite et nous sommes toujours les mêmes.

De grâce, ma chère enfant, ne me demandez jamais pardon de la peine que vous me pourriez faire. Ne connaissez-vous pas la devise: Je pique, mais j’attache*? Voilà encore comme je suis bâti! Mais tout ce que vous avez pu m’écrire de pénible pour moi m’a produit cet effet. Cependant, si vos craintes de m’avoir peiné me valent des lettres comme celle d’aujourd’hui, mon égoïsme vous souhaitera de nombreuses terreurs. Mais adieu. Il faut que je vous dise un mot d’une affaire que j’oubliais. Miss Mac-Gouran m’a écrit qu’elle était très disposée à aller chez Mme de Mesnard, mais ce ne serait que vers le mois de juin ou de juillet qu’elle serait libre. Elle est très bonne musicienne, m’écrit ma soeur. Comme Mlle de Raigecourt n’aime pas la musique, Mlle Mac-Gouran l’avait assez négligée. Quant à son instruction, je la crois très remarquable. Faut-il mettre comme condition que, toutes les fois que ma soeur ira à Paris, on permettra à Mlle Mac-Gouran de la voir à son aise? Ces deux dames s’aiment trop, pour que je ne redoute pas les préventions favorables de ma soeur pour son amie, si moi qui suis moins inflammable, comme vous savez, je ne les trouvais pas tout à fait légitimes. Bien entendu, Mme de Mesnard n’a pas été nommée. Veuillez lui offrir mes humbles respects.

Notes et post-scriptum
1. Allusion à une pensée de la fondatrice: vos succès empêchent la Soeur Marie-Augustine de dormir, pour moi ils me satisfont si bien que j'en ai retrouvé le sommeil.
2. Les T.D. ont transcrit *heureuse*. Mais le sens exige le masculin, et c'est lui en effet que l'on retrouve dans le manuscrit et dans la lettre de Mère Marie-Eugénie (13 août, n° 1756) que cite le P. d'Alzon. (D.D.)